Des conseils, toujours des conseils

Des conseils, toujours des conseils
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Où notre chroniqueur se prend lui aussi à donner des conseils, qu’il espère décourageants, à des gens dont il trouve le travail inutile et superfétatoire.

RESTEZ CHEZ VOUS

L’Arrêt Buffet du camarade Touzet donnait la semaine dernière d’excellents conseils aux jeunes auteurs dramatiques (ainsi d’ailleurs qu’aux « autrices », que l’auteur pense-toujours-bien à mentionner à part, comme si hommes et femmes ici n’avaient pas les mêmes soucis et devaient former toujours deux catégories professionnelles distinctes) ; à commencer par le premier de ces conseils, fort avisé, même et surtout si on lui ôte sa charge ironique :

« N’écrivez pas des pièces de théâtre. »

P. Touzet a raison. On est au XXIe siècle, merde. Il y a tout de même des métiers plus honnêtes ; surtout dans l’artisanat. Et si vous aimez vraiment les choses malhonnêtes, il y a plus lucratif, ou à défaut : plus universitaire. Et puis surtout, souvenez-vous bien que, sauf exception, personne ne vous demande rien. Essayez de vous tenir tranquille, et par exemple, lisez des livres, des grands, cela pourrait s’avérer dissuasif. N’écrivez pas des pièces de théâtre ; et pas non plus autre chose, merci. On croule sous les romans, sonnets neuneus de notre temps.

Si vous ne parvenez pas à vous guérir de cette graphomanie névrotique, et qu’écrire des fariboles dramatiques vous trifouille le nombril, appliquez le conseil que donne le vieil Horace, lointain prédécesseur de Philippe Touzet, de renfermer votre manuscrit dramatique neuf ans dans une cassette avant d’en faire quelque chose. Si, au bout de neuf ans, vous ne le trouvez plus à la mode, c’est que c’est la mode, et non le théâtre, qui vous intéresse, alors jetez-le et torchez vite une merde à la mode ; si, au bout de neuf ans, vous ne le trouvez fort heureusement toujours pas à la mode, renoncez car votre texte est peut-être un peu intéressant (on ne sait jamais), mais jetez-le quand même, n’encombrez pas les rayonnages, personne ne voudra de vos machins toujours à contretemps, comprenez que le temps du théâtre est terminé depuis un moment, allez exercer le métier plus ou moins honnête quand même de plombier (ou de plombière, dirais-je, pour complaire à mon bon camarade) ; si, au bout de neuf ans, vous êtes pile à la mode du moment, dépêchez-vous de vous fondre dans la légion des gens à la mode qui seront fort heureusement oubliés demain ; au moins on vous donnera deux-trois sous, guère plus, après que vous aurez léché deux ou trois choses gluantes (tu gagneras ton pain au litre de léchouille).

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« Rien n’est plus naturel que de considérer toutes choses à partir de soi, choisi comme centre du monde ; on se trouve par là capable de condamner le monde, sans même vouloir entendre ses discours trompeurs. »

Au siècle dernier, cette phrase de Guy Debord en son Panégyrique, avait immédiatement trouvé en moi un évident écho. C’est bien là, oui, je pense, presque trente ans plus tard, qu’il faut, qu’il faudrait se tenir, sans égard aucun pour la hiérarchie du milieu culturel, véritable alliage de savoir-faire, d’idéologie, de mode et de servilité. Je n’ai pas le sens de cette hiérarchie-là, et je m’en félicite. Non pas pourtant que tout se vaille. C’est bien plutôt cette hiérarchie-là qui, sélectionnant selon des critères aberrants, au mieux : imbéciles, et avec une tartuferie exemplaire, défend que tout se vaut. Et, de fait, presque tout s’y vaut : un auteur contemporain vagissant son idéologie sans aucun égard au fond pour le théâtre, et le massacre bienvenu de tel classique qu’on a rabaissé à soi, ramené à nos mœurs lamentables ; tout baigne dans le même fond de sauce froid.

L’idée de cantine culturelle me plaît bien. Les titres ronflent, filet de pommerat* sur son lit de navets déglacés au vinaigre féérique, et jusque dans le menu enfant où triomphe l’émincé de clichés à l’allemande et sa purée melquiot, mais la bouffe est dégueulasse et froide. On y retourne, pourtant. Eh quoi, il faut bien bouffer. Bouffons.

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Plaisanterie à part, il y a, tout de même, ce que l’on fait. Je n’ai jamais cru que le théâtre était une sorte de texte-exercice à trous, incomplet que l’interprétation souveraine (un ramassis de conneries prétentieuses, très souvent) du metteur en scène viendrait combler, amoureusement ou violemment, de plus en plus violemment, ces temps-ci. Ce type de bêtise proprement universitaire a fait des ravages considérables et, d’un certain point de vue, elle a ruiné l’idée même de lecture. Et, de toute façon, le milieu théâtral est un milieu où on lit très peu, aujourd’hui. L’image industrielle, avec sa sono à la con, ici aussi, a décroché le pompon.

Je pense que ce qu’un auteur, surtout dramatique, écrit, c’est une représentation. (Je ne vais pas développer ça aujourd’hui.) Et que les mises en scène, même intellectuellement honnêtes, sont au mieux décevantes (même celles que l’auteur lui-même fait) ; le plus souvent, indigentes, malhonnêtes, vérolées d’idéologie.

Il n’y a pas à attendre de reconnaissance particulière. Je ne tiens personnellement qu’à la reconnaissance des gens que je reconnais, dont la plupart sont morts, parfois depuis des siècles. Ce qui m’intéresse, dans le théâtre, c’est cette conversation avec les morts. Je ne disconviens qu’il pourrait exister quelques vivants particulièrement intéressants, et je serais d’ailleurs bien en peine d’en nommer un, mais je ne pense pas qu’il me serait agréable de leur faire perdre leur temps. Et je n’en ai pas beaucoup à perdre non plus. Quant à votre opinion, que j’écoute poliment, c’est peu dire qu’elle ne m’intéresse pas, sur aucun point. Je suis mieux au café, avec des gens simples, dans ma petite ville de province ; si je le pouvais, je monterais dans les forêts.

Pascal ADAM

* Je fais allusion à Pommerat parce que je l’aime bien. On ne peut pas dire que ce soit écrit, mais c’est construit, intelligent.

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Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique, qu’il tient depuis janvier 2018.



 

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