Derviche : la mutualisation qui tourneboule le métier de diffusion
Cap sur la mutualisation ! Tel est le credo de Derviche, nouvelle structure de diffusion qui tente depuis quelques années de renouveler la profession. Comment ? En proposant de nombreux services, pour tous types de spectacles, à coûts réduits. Rencontre avec sa fondatrice, Tina Wolters.
Diplômée d’une école de commerce, Tina Wolters travaille durant une quinzaine d’années en marketing et en stratégie pour de grands groupes, consacrant dans le même temps son mois de juillet au festival d’Avignon, afin d’aider la compagnie de théâtre de son compagnon : régie, tractage, affichage, création de décors… La jeune femme touche alors à tout.
Il y a cinq ans, la compagnie connaît un succès croissant auprès du jeune public, si bien qu’il faut penser à recruter quelqu’un à temps plein pour la production et la diffusion des spectacles. « Je me suis jetée sur l’opportunité, se souvient avec enthousiasme Tina Wolters. Peu à peu, des amis m’ont demandé un coup de main pour leur diffusion. » Elle met alors à profit son réseau et son savoir-faire pour ces compagnies, travaillant « comme une chargée de diffusion classique », à partir de propositions artistiques qui lui tiennent à cœur – « de la haute couture, comme on a l’habitude de voir », précise-t-elle.
Un budget raisonnable
Mais une dimension de son travail la gêne durablement : les budgets pour un chargé de diffusion qui prendrait en charge deux ou trois spectacles sont très importants. C’est alors qu’elle fonde Derviche diffusion, afin de pouvoir répondre favorablement à davantage de spectacles et à moindre coût : le maître-mot de son initiative est la mutualisation. La structuration de ce pôle de diffusion se fait progressivement, en 2015-2016. « C’est une histoire encore en création, un organisme vivant qui n’en finit pas de changer, d’évoluer… »
Lorsqu’une compagnie contacte Derviche diffusion, une première rencontre est consacrée à la compréhension du projet, afin de voir d’une part comme le défendre, d’autre part si la structure a la capacité de fonctionner de manière autonome. « Si nous pensons enfin que nous ne serons pas capables de vendre un spectacle dans notre réseau, nous prévenons évidemment la compagnie. »
Les compagnies s’engagent ensuite au moins pour trois mois – consécutifs ou non – pour un forfait trimestriel de 1350 € HT. « Nous ne prenons ensuite que la commission habituelle de 15 %, mais uniquement sur les dates vendues. »
Mutualisation & Transparence
Elles bénéficient alors d’une mutualisation des coûts principaux, à commencer par le cœur de métier du diffuseur : sa connaissance et son entretien d’un réseau étendu de programmateurs. Derviche œuvre par ailleurs à l’optimisation des outils, qui passe par l’automatisation de tout ce qui ne nécessite pas un contact humain. « Nous réduisons ainsi les marges d’erreur et faisons en sorte que toutes les compagnies sachent, en temps réel et en toute transparence, ce qui est fait, les contacts pris, les programmateurs qui sont venus voir leurs spectacles… »
Une originalité précieuse pour les compagnies : les coordonnées de ces programmateurs sont indiquées, afin que les compagnies puissent éventuellement les relancer, pour le présent spectacle ou un autre, à venir.
Enfin, Derviche propose des formations de base en diffusion, en communication, ainsi que des outils pratiques tels qu’une page sur le site internet, des mailings différents selon les événements et les spécialités, des présentations téléphoniques aux programmateurs les plus pertinents, deux plaquettes, en janvier et pour Avignon, les relances, les bilans post-festivals…
Pour les trente-deux spectacles proposés cet été au festival Off de la Cité des papes, sept employés de Derviche étaient à l’œuvre : une personne en charge des confirmations de réservation, une graphiste, une aide pour les accueils et quatre chargés de diffusion.
Cinq diffuseurs pour une diversité maximale
Chaque chargé de diffusion au sein de Derviche est indépendant, tout en travaillant étroitement avec les autres membres de l’équipe, dans une même éthique. Chaque spectacle a son responsable référent, mais peut bénéficier de la mutualisation à tous les échelons. « On s’entraide de sorte que chaque chargé de diffusion est capable de parler des spectacles défendus par les autres, de contribuer à la base de données, de renvoyer les programmateurs vers des spectacles plus adaptés, de donner un coup de main pour les accueils… On est vraiment une famille ! »
Lorsque nous interrogeons Tina Wolters sur le critère de la qualité artistique, elle reconnaît que la question est encore à l’étude. C’est que Derviche se positionne d’abord du côté des professionnels et du marché, non d’un désir personnel de défendre un projet particulier.
« Nous pensons qu’il serait présomptueux de notre part d’être une barrière à la tournée pour les compagnies. Si nous connaissons des programmateurs intéressés par un spectacle qui n’est pas d’emblée un coup de cœur pour nous, je ne vois pas pourquoi nous le refuserions. Ce serait trop injuste ! Moi je n’ai pas de théâtre, je ne vais programmer personne. Ce qui compte, ce sont les goûts de chaque programmateur. Ma capacité consiste à diriger ces professionnels vers des spectacles particuliers. »
La répartition des spectacles entre les différents diffuseurs qui participent à l’aventure de Derviche diffusion se fait naturellement car chacun d’eux a sa spécialité : Marion de Courville se concentre par exemple essentiellement sur le théâtre contemporain, tandis que Benjamin Bac privilégie les projets autour de la danse. « Quant à moi, précise Tina Wolters, je me situe plus sur des sujets socialement engagés et sur le jeune public. Chacun se positionne selon son histoire personnelle, même si nous veillons à ne jamais rester cloisonnés. »
Au total, ce sont vingt à trente spectacles par mois qui sont défendus, ce qui représente quelque cent cinquante projets soutenus depuis la création de Derviche. Une aventure qui, conclut Tina Wolters, ne fait que commencer.
Renseignements : Derviche diffusion
Photographie de Une – L’Ambition d’être tendre de la Cie La Parenthèse
Crédits : Fanchon Bilbille