Déontologie & culture : comment combler le retard français ?

Déontologie & culture : comment combler le retard français ?
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Dans la lignée de la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, du 21 avril 2016, la ministre de la culture Audrey Azoulay a salué un rapport récemment remis par le président de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) et annoncé l’élaboration prochaine d’une nouvelle « Charte de déontologie » spécifique à ce service public. Que peut-on en attendre ? Quelles sont les mesures majeures ?

Rencontre avec Jean-Louis Nadal, ancien magistrat français et actuel président de la HATVP.

La déontologie, bonne conscience ou réalité ?

« Je suis devenue un symbole de la trahison des élites », déclare Agnès Saal, au lendemain de sa suspension temporaire de la fonction publique. Ses 24 000 € de frais de taxis annuels (sur 2014-2015), en partie au bénéfice de son fils, en ont choqué plus d’un. Sans parler de sa réintégration quasi immédiate à la Rue de Valois ! Dans un contexte de défiance particulière vis-à-vis des élites – tropisme du débat public – et de réduction des dépenses publiques, la fonction publique doit convaincre et montrer l’exemple.

Les risques existent en effet : prévention des conflits d’intérêts, encadrement des dépenses des dirigeants, commande publique… Au-delà des procédures existantes, l’intégrité des fonctionnaires est sans doute la meilleure garantie contre ces dérives.

Certaines garanties existent cependant et ne datent pas d’hier. Une « cathédrale statutaire » régit en effet le statut des fonctionnaires grâce à 4 lois adoptées dans les années 1980 ; elle consacre les droits et les obligations de ces derniers. 30 ans après, la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires va plus loin :

  • elle réaffirme tout d’abord les grands principes qui orientent ces lois : impartialité, intégrité et probité, neutralité, respect du principe de laïcité – dégagées dès 1920 par le professeur de droit Rolland ;
  • elle donne ensuite des moyens d’actions concrets aux agents, tels que la consultation d’un « « référent déontologue » ;
  • elle réaffirme le rôle de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP);
  • elle crée une commission de déontologie sous l’autorité du premier ministre.

Et dans la culture ?

Si les enjeux sont globalement les mêmes que dans le service public en général, « il y a bien une spécificité du secteur culturel sur ce sujet », nous explique Jean-Louis Nadal, président de la HATVP. Plus qu’ailleurs, les conflits d’intérêts sont possibles : les artistes, tels les professeurs de musique et de danse, cumulent souvent plusieurs activités. « Si cela n’a rien de problématique en tant que tel, un encadrement est nécessaire pour s’assurer qu’il n’y a pas de difficultés sur le plan déontologique », souligne Jean-Louis Nadal, qui évoque aussi des risques spécifiques, liés au mécénat ou aux procédures d’acquisition des œuvres d’art. Selon lui, toutefois, « la principale zone de risque se situe probablement dans la relation entre les établissements publics et les artistes vivants ». Du fait d’un environnement compétitif et international, l’attraction des artistes dans les salles de spectacle vivant est une priorité mais suppose « une vigilance particulière ».

Là encore, certains pas ont déjà été faits : des chartes spécifiques existent, telles celle du mécénat (2014) et celle des conservateurs du patrimoine (2007). Des améliorations restent néanmoins souhaitables, ainsi que le montre le récent rapport remis par le président de la HATVP à la ministre de la culture, le 5 juillet dernier, et intitulé : La déontologie dans les établissements publics culturels.

Ce que dit le rapport…

Le rapport étudie la question déontologique dans 7 établissements publics volontaires, panel que Jean-Louis Nadal juge représentatif, à partir des dispositifs existants : charte de déontologie, référent déontologique, dispositif de prévention des conflits d’intérêt, règles sur le cumul d’activité, sur le mécénat, sur l’acquisition des œuvres, sur les cadeaux et invitations, sur les procédures d’achat commun ou encore sur l’encadrement des dépenses des dirigeants…

HATVP déontologie

L’ancien magistrat constate « un retard certain sur les institutions culturelles étrangères ». Des carences existent, soit totalement, soit partiellement couvertes par le droit commun (c’est le cas pour le droit de la commande publique) ou par des textes internes aux établissements mais qui restent génériques : règlements intérieurs, chartes de valeurs communes, etc.

À l’inverse, des établissements publics étrangers semblent plus avancés sur le sujet ; elles offrent autant de pistes d’orientation pour l’amélioration de la déontologie dans le service public de la culture. Jean-Louis Nadal explique que « des établissements comme le MoMA ou l’Opéra de Sydney [ont] des dispositifs très complets en la matière », ajoutant aussitôt une nuance : « Ce retard n’est pas propre aux établissements culturels. Dans certains pays, notamment anglo-saxons, les institutions publiques ont placé de longue date les questions éthiques au cœur de leur fonctionnement ». Et d’argumenter que les moyens concrets d’action sont venus plus tardivement en France, en dépit de la proclamation déjà ancienne des valeurs : la création de la HATVP en 2013 en est un exemple.

Faire de la déontologie une valeur à part entière

Les annonces faites au mois de juin promettent l’institution d’une charte et d’un référent déontologique commun à l’ensemble du ministère, ce que la HATVP salue.

Si de telles chartes ne visent pas tant la probité supposée des agents que les moyens d’actions proposés à ces derniers pour se conformer aux exigences du service public, l’immense majorité d’entre eux s’y retrouvent. L’intérêt de la démarche déontologique et sa qualité réside en quelque sorte dans la capacité à envisager les situations concrètes, à proposer des formations aux agents pour parer aux conflits de conscience, et n’exclut en rien des dispositifs de contrôle.

En ce sens, le président de la HATVP conclut : « Le ministère ne peut pas tout faire. Si on veut que la déontologie devienne une valeur à part entière dans les établissements culturels, leurs dirigeants doivent s’en saisir et impulser un mouvement en ce sens ». Il se réjouit du mouvement enclenché et espère que l’autorité administrative accompagnera des établissements.

Marie MOULIN

En téléchargement : Rapport sur La déontologie dans les établissements publics culturels.

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