Démasqués !

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Chronique des confins (26)

Sylvain Renard

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Un jour, une écriture – Le confinement porte en lui-même une intimité, une profondeur dont peuvent se saisir les écrivains et les écrivaines, notamment de théâtre et de poésie. Nous les avons sollicités, afin qu’ils offrent généreusement leurs mots, leur écriture des confins… Derrière l’humour qui inonde les réseaux sociaux, il y aura toujours besoin d’une parole qui porte un désir, une attente, un espoir, du sens.

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Personnages : une gardienne de la paix, un brigadier

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Un brigadier et une gardienne de la paix font une ronde.

Gardienne de la paix. — Et un masque ? Ils en donnent aux brigadiers ?

Brigadier. — Penses-tu ! Ils disent que le masque ne sert à rien dans les métiers du maintien de l’ordre. Tout le monde est à la même enseigne !

Gardienne de la paix. — Je me demande quand même si cela ne serait pas plus prudent. Il y a déjà eu quelques cas de covid parmi les forces de l’ordre.

Brigadier. — Nous ne sommes pas prêts de recevoir des masques. Les usines ont été délocalisées en Chine.

(Il tousse.)

Gardienne de la paix. — Et voilà ! À contrôler des gens potentiellement malades sans masque, on risque gros… !

Brigadier. — Ça serait la tuile d’être contaminé.

Gardienne de la paix. — Parle pas de malheur !

Brigadier. — D’autant qu’on ne détecte pas les porteurs asymptomatiques…

Gardienne de la paix. — Les apparences peuvent être trompeuses ! Même le joggeur bien sous tous rapports peut représenter une menace ! Quel sac de nœuds !

Brigadier. — (Il continue de tousser) Allons ! La distance barrière suffira…

Gardienne de la paix. — Oui, mais… il faut bien à un moment… se saisir de l’attestation dérogatoire…

Brigadier. — Et…

Gardienne de la paix. — Et là… La distance barrière, excuse-moi, mais… difficile de la conserver…

Brigadier. — Rien de plus facile ! Tu arrêtes la personne en conservant la distance barrière ; tu demandes papier et autorisation dérogatoire ; tu attends que la personne les sorte. Et là… Attention ! Tu ne respires plus pendant toute la manœuvre qui va suivre. Tu fais un pas chassé vers l’avant ; tu prends aussitôt papier et carte d’identité du bout des doigts ; puis tu refais un pas chassé vers l’arrière. La chorégraphie pour te saisir des papiers et revenir à ta place n’a pas duré plus d’une seconde ! Alors : tu vérifies les papiers en toute sécurité… Ensuite rebelote pour le pas chassé avant, retour des papiers au propriétaire, puis pas chassé arrière pour retrouver la sacro-sainte distance barrière ! Facile comme tout !

Gardienne de la paix. — Mouais…

Brigadier. — Tout est sur le tuto qu’on nous a fait passer ce matin. La procédure ressemble à un pas de danse. C’est très beau !

Gardienne de la paix. — Mais si jamais tu dois verbaliser la personne ?

Brigadier. — Ah ! Ça ! Les ennuis commencent avec la verbalisation.

Gardienne de la paix. — Et ?

Brigadier. — Tu me donnes mal à la tête avec tes questions ! Quand tu es sur le front, faut pas trop réfléchir… Tu apprendras ça avec le temps…

Gardienne de la paix. — Franchement, j’aurais préféré faire le contrôle des automobilistes. Roberto m’a expliqué la procédure, ça m’a l’air plus sûr : tu fais arrêter le conducteur, tu lui expliques de loin qu’il va devoir présenter son attestation dérogatoire, et puis tu lui fais comprendre dare-dare qu’il doit remonter sa fenêtre et plaquer ses papiers contre pour le contrôle. C’est la fenêtre de la voiture qui fait écran dans ce cas-là.

Brigadier. — Ça ne me paraît pas tellement plus simple… La procédure tient de la pantomime.

Gardienne de la paix. — Quelle sale période !

Brigadier. —  Oui… Casser les manifestations avec les LBD était plus sûr !

Gardienne de la paix. —  Heureusement ! Il me restait encore des gants pour le ménage à la maison !

Brigadier. — T’en as !?

Gardienne de la paix. —  Une seule paire !

Brigadier. — Bien…

Gardienne de la paix. — Pourquoi « bien » ?

Brigadier. — Comme ça, c’est toi qui te saisiras des papiers, comme tu as des gants, c’est plus prudent…

Gardienne de la paix. — T’as pas ta solution hydro-alcoolique, toi ?

Brigadier. — Je n’en ai justement plus !

Gardienne de la paix. — Tu peux aussi te laver régulièrement les mains…

Brigadier. — Comment veux-tu pendant les rondes ?

Gardienne de la paix. — Mouais… Toujours les mêmes qui bossent…

Brigadier. — En plus, je ne me sens pas très bien…

Gardienne de la paix. — Je t’ai entendu tousser tout à l’heure…

Brigadier. — Je me demande si je ne fais pas un peu de température…

Gardienne de la paix. — N’approche pas ! Garde la distance barrière !

Brigadier. — Oui… Le mieux est que je reste un peu en retrait pour sécuriser.

Gardienne de la paix. — Ça me fout hors de moi tous ces clampins qui font leur jogging ! Bon sang ! La Loi, c’est la Loi !!! Un décret, c’est un décret ! Être obligé d’aller faire respecter des mesures de confinement ! Toujours les mêmes qui sont sur le front !

Sylvain RENARD

Auteur, metteur en scène

Crédits photographiques : Sylvain Renard

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