« De si tendres liens » : le face à face totalisant d’une mère et sa fille par Loleh Bellon

« De si tendres liens » : le face à face totalisant d’une mère et sa fille par Loleh Bellon
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Relation fusionnelle et blessée d’une femme divorcée et de sa fille unique, De si tendres liens réunit un beau duo, constitué de Christiane Cohendy et de Clotilde Mollet au Lucernaire (Paris). Cette mise en scène de la pièce de Loleh Bellon, écrite en 1984, élude délibérément la présence des hommes pour présenter un face à face totalisant, en un jeu de miroir de dépendances affectives : celle de l’enfant et celle de la mère devenue sénile.

La pièce s’ouvre sur le moment de la sénilité de la mère, Charlotte, avant de nous plonger dans les souvenirs d’enfance de sa fille Jeanne. L’alternance entre moment présent et souvenirs permet d’établir à plein le jeu de miroir, qu’une temporalité linéaire n’aurait pas permis. Peur du noir de la vieille réveillée au milieu d’un cauchemar morbide, peur de l’enfant qui ne peut s’endormir seule, demande insatiable de preuves d’amour, reproches masqués de manque d’attention, les mécanismes se répètent et se font écho, de l’enfance à la vieillesse, de la fille à la mère au crépuscule de sa vie.

Mise en scène qui appuie l’évidence du texte

De si tendres liens, mes Laurence Renn Penel, avec Christiane Cohendy et Clotilde Mollet (crédits : Lot)Le décor fonctionne assez bien ; sobre et efficace, il sert le mécanisme relationnel en place dans la pièce. Entre pénombre et transparence, les personnages ne sont jamais vraiment seuls, l’autre est toujours quelque part derrière le paravent. Il n’y a pas de limite claire, à commencer par l’espace vital des deux personnages qui finissent par se confondre, partageant leurs comportements, leurs mots et même leurs vêtements – le manteau rouge. Le jeu de lumière, bien pensé, soutient le changement de temporalité, nous plongeant dans la pénombre quand il s’agit du moment présent, qui correspond à la fin de vie de Charlotte.

Le jeu des deux comédiennes est cependant assez inégal. Très beau et subtil dans le temps de la vieillesse, notamment celui de Christiane Cohendy dont la fragilité est palpable, vraisemblable, il est a contrario parfois caricatural dans les souvenirs – qui constitue pourtant la majeure partie de la pièce.

Le texte un peu simple en est sans doute une des raisons : situations et paroles convenues, procédé de la répétition facile pour exprimer le mécanisme psychologique du miroir. La mise en scène se laisse malheureusement prendre au piège de l’évidence, renforçant cette facilité, à la fois par le mimétisme des personnages et par leur posture surjouée, peu incarnée. Il est vrai que nous voyons bien la spirale de victimisation dans laquelle est prise la fille vis-à-vis de sa mère, mais les traits un peu forcés ont tendance à enfermer la pièce dans une dialectique psychologique de la dépendance affective. Est-ce la seule chose que la pièce a à nous dire ?

Réparation et non-dit

Un élément très intéressant de la pièce se produit au cours de ses dernières minutes : après l’enterrement du père, mère et fille rencontrent leurs souvenirs. On découvre alors toute la subjectivité des souvenirs exposés jusqu’ici. Si on avait pu se laisser prendre au jeu de la victimisation, on découvre que tout cela est le fruit d’une relecture, celle de l’enfant qui ne s’est jamais su aimé. C’est l’heure pour la mère de dire tout son amour, et tous ses renoncements, d’ajouter sa version de l’histoire. Il n’y a ni coupable, ni victime. La petite fille a été aimée, sa mère a refusé de l’envoyer en pension même pour retrouver une vie de célibataire et vivre sa vie de « jeune fille de 25 ans » à l’époque. « Je ne pouvais pas me séparer de toi », lui avoue-t-elle. Si la mémoire reste blessée – « De l’enfance, je n’ai pas de souvenirs heureux » –, ces mots sont réparateurs.

Cette dimension, très éclairante, est renforcée par le dernier et magnifique monologue de la mère – voix intérieure adressée à Jeanne –, que le spectateur entend comme une révélation. Les souffrances de la vieillesse y sont livrées dans un langage concret et parlant, où les évidences deviennent des trésors. Cette voix, c’est celle de nos vieux qui ne nous disent pas qu’ils ont besoin de nous, pour nous préserver ou ne pas sentir qu’ils dérangent : « Ne t’inquiète pas j’ai tout ce qu’il faut, ça va aller, tu peux partir. » Alors qu’ils crèvent d’inexister entre deux visites que nous leur faisons. « J’ai la télé » raisonne comme un tendre cynisme, une bonne claque. Cet aparté d’un aveu de dépendance plein de pudeur met en relief la violence de la réponse de la fille qui ne peut être à la hauteur de cette soif secrète. Jeanne s’en va retrouver son quotidien, ses enfants, son homme. Et on ne peut pas lui en vouloir. Elle n’est pas un bourreau, on ne lui dira jamais les mots de la détresse et elle a de bonnes raisons de partir.

On aurait aimé approcher d’un peu plus près cette relation au crépuscule de la vie de la mère, qui constituent les interactions les plus intéressantes de la pièce. Malheureusement, cet aspect esquissé en final de la relation humaine, entre non-dits et projection, est laissé sur la touche. La pièce aura préféré s’attarder sur le phénomène de miroir de la dépendance affective, tournant quelque peu sur elle-même, plutôt que d’ouvrir sur des questionnements plus intimes.

Pauline ANGOT

 



Spectacle : Soul
  • Création : 2018
  • Texte : Loleh Bellon
  • Mise en scène : Laurence Renn Penel
  • Avec : Christiane Cohendy et de Clotilde Mollet
  • Scénographie : Thierry Grand
  • Musique : Frédéric Gastard
  • Costumes : Cidalia Da Costa
  • Lumières : Philippe Morancé
  • Assistante mise en scène : Élise Lebargy
  • Régie son : Audray Gibert
  • Compagnie : Renn Compagnie
  • Diffusion : Élodie Kugelmann au 06 62 32 96 15 et elodie.kugelmann@wanadoo.fr

Crédits photographiques : Lot

En téléchargement


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Spectacle créé au festival d’Avignon 2017 et vu au Lucernaire en septembre 2018.

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