Les bons mots du Doc Kasimir Bisou – 7) De la « médiation culturelle » au « service de la relation »
Toutes les semaines, cette chronique proposera un instantané recto-verso d’un « bon mot » de la politique culturelle. Le recto donnera le sens du mot aujourd’hui, dans la routine des discours des acteurs du champ culturel. Le verso mettra en lumière ce qui fait sens pour une politique culturelle soucieuse de respecter les droits culturels des personnes.
Les bon mots du Doc Kasimir Bisou
Lire l’intégralité de l’introduction aux bons mots.
Septième mot des évidences : « MÉDITATION CULTURELLE ».
Il ne fait aucun doute que la politique culturelle est faite « d’actions culturelles », avec des « acteurs culturels » qui labourent le « champ culturel » alors que, dans le champ d’à côté, les acteurs socio-culturels s’occupent de « lien social », si l’on en croit la littérature scientifique sur ces sujets.
Les volontaires de la réflexion sur les droits culturels en Nouvelle-Aquitaine n’ont pas échappé à cette « vérité » générale, et l’une de leurs préoccupations majeures s’exprime en terme de « rapprochement » de leurs activités avec les « gens », les « habitants », les « citoyens », la « population », mais aussi, quand il est accolé à « vulnérable » ou « sensible », avec le « territoire » !
Nos conversations ont ainsi constaté la très grande variété des « actions culturelles », pour une mission publique unique : la « médiation culturelle ». Mission difficile mais toujours enthousiasmante, car elle s’avère essentielle pour favoriser l’accès aux activités artistiques des structures dont dépendent ces médiateurs (souvent « médiatrices » dans les faits). Certains récits font même penser à de véritables « vocations » professionnelles.
Il faut bien avouer que la mission de « médiation culturelle » a son bon côté ; la posture fréquente reste d’agir au nom de valeurs culturelles bénéfiques à tout coup et pour tout le monde : lire un livre est toujours positif, aller au concert ou rencontrer un artiste est toujours fructueux, mettre en place des ateliers de pratiques artistiques, éduquer aux disciplines artistiques ou organiser une visite d’un centre d’art est nécessairement salutaire. Le médiateur culturel se considère, sans toujours y prendre garde, comme un passeur de la « bonne » culture auprès de ceux qui ne sont pas encore des « publics fidèles » mais qui sont appelés à le devenir !
Engager la critique de ces vérités est très délicate, une sorte de marche sur des œufs ! Pourtant, elle est inévitable pour garantir la bonne compréhension de l’article 103 de la loi NOTRe qui énonce l’obligation, en matière culturelle, du respect des droits culturels des personnes.
La position de médiateur de la « bonne culture » est problématique pour les droits culturels car elle peut signifier que le médiateur culturel se pense comme seul détenteur de la culture de référence, avec des « gens » qui n’ont guère de culture de valeur à lui apporter ! Cette conception ne résiste pas longtemps à la critique. Dans nos conversations, nous avons vite convenu qu’il était impératif de s’en détacher conformément, d’ailleurs, à la position prise par les professionnels dans leur Charte déontologique de la médiation culturelle.
Cette marche franchie, le chemin des droits culturels peut s’ouvrir en considérant que chaque personne est digne d’être reconnue dans sa culture, dans le développement de ses libertés et de ses capacités d’autonomie, donc dans son droit de prendre sa part à la vie culturelle. Dans ces conditions, le « médiateur culturel » est plutôt un facilitateur de relations entre plusieurs cultures : celles des spécialistes des mondes artistiques dont il est porteur et celles des personnes avec lesquelles il est en relation. Au sens des droits humains fondamentaux, il ne peut pas être autre qu’un « médiateur inter-culturel » puisque chaque personne, libre et digne, a sa culture propre, qui n’est pas la même que son voisin, même le plus proche. Disons même que se donner le titre « d’acteur culturel » travaillant dans un « champ culturel » est très mauvais signe, puisque, en creux, cela induit que tous les autres humains n’ont pas de culture et ne sont pas, avec leurs récits, acteurs d’une culture digne d’être nommée ! Innocence ou impudence ?
Avec les droits culturels, le « médiateur » a pour mission publique de favoriser les interactions entre toutes ces cultures, les connexions entre elles, les chemins sinueux d’une culture aux autres. Ainsi, globalement, les services habituellement appelés « services d’action culturelle » feraient-ils mieux de se qualifier de « services d’inter-actions culturelles » ou, mieux, de « services de la relation culturelle », pour bien respecter l’article 103 de la loi NOTRe.
Nos conversations ont surtout permis de souligner que le « médiateur d’inter-actions culturelles » a un rôle majeur dans une politique de droits culturels. En effet, on peut aisément observer que certaines personnes, seules ou en commun, revendiquent leur culture propre en se repliant sur elles-mêmes, pour mieux éloigner les cultures des autres. Il est aussi flagrant – au-delà même des manifestations de « distinction » – que certains êtres de peu d’humanité exercent des dominations arbitraires sur des personnes qui n’ont pas les ressources nécessaires pour résister. Ces personnes (et souvent leur groupe d’affinité) affirment la valeur universelle de leur culture, exigent qu’elle soit partagée et respectée par le plus grand nombre, mais n’imaginent pas de reconnaître le respect qu’elles doivent aux autres cultures ! Ces situations sont, au sens propre, « anti-culturelles » puisque ces personnes (seules ou en commun) renoncent à prendre en considération l’humanité de l’autre.
Le médiateur – je devrais écrire ici la-e médiaterice-eur – a ainsi le rôle crucial de permettre des « inter-actions positives entre les cultures », pour atténuer les écarts et tensions entre les différentes cultures. Avec les droits culturels, pas de culture sans cette « qualité de la relation inter-culturelle », sans discussion sur la part d’humanité de chacun, sur la réciprocité des ressources apportées par les uns et les autres.
La tolérance ne suffit pas pour progresser vers la diversité culturelle qui est, rappelons-le, « le patrimoine de l’humanité ». La politique des droits culturels doit faire mieux : elle doit consacrer des moyens à établir des relations « bénéfiques » entre les libertés culturelles, des relations productives de discussions, ouvertes et documentées, de cheminements vers des reconnaissances mutuelles. Elle a besoin de médiateurs reconnus comme facilitateurs de négociations permettant le meilleur des cheminements culturels des personnes.
En somme, malgré l’immensité des tensions entre les cultures, permettre de faire relation entre êtres d’humanité, toujours un peu plus libres de faire des choix reconnus par les autres, pour espérer enclencher, selon les mots de madame Delmas-Marty, un processus dynamique et interactif « d’humanisation réciproque », pour faire route vers « une mondialité apaisée ».
Quand la politique culturelle traditionnelle organise des « médiations culturelles », les droits culturels appellent à renforcer les services de la « relation » entre les cultures.
Retrouvez les volets de la série :
– Les bons mots des droits culturels – Introduction
– 1) Des « publics » à « la personne »
– 2) D’une « offre culturelle » aux « ressources » pour faire relation
– 3) Des « besoins culturels » au développement des « libertés » et « capacités »
– 4) De la « création » à la « liberté d’expression artistique » et la « discussion sur les valeurs publiques »
– 5) De la « démocratisation de LA culture » au « débat entre cultures »
– 6) De la « culture » à l’art de « faire humanité ensemble »
– 7) De la « médiation culturelle » au « service de la relation »
À paraître
– 8) De la « transversalité » à la « globalité »
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