De la désinvolture et du cul
Chronique au titre putaclic autour de la poésie avec, une fois n’est pas coutume, une fin pornographique réelle. Certains lecteurs se passeront donc du début et du milieu pour sauter directement au dernier poème de Pierre Louÿs. D’autres prendront leur temps, croiseront Claudel et Grammont, et iront voir ailleurs avant la fin. Quelques exceptions, espérons-le, lirons l’intégralité de cette chronique…
« Je m’en lave les mains » est un bel hexasyllabe.
Je voulais surtout vous parler aujourd’hui de la désinvolture et de ses conséquences heureuses, le plus souvent heureuses ; parfois funestes, aussi, c’est vrai et peu importe.
Je voulais dire un mot de la chance aussi, qui n’est pas ce que vous pensez, mais c’est un peu trop de travail ce matin, il fait beau, et je voudrais garder un peu de temps pour une promenade.
Quitte à faire vieux-jeu, je voulais retrouver une citation d’Anouilh, pour justifier mon titre, dans Ornifle, je crois, où il est expliqué que cul est un noble et vieux mot français qui n’avait jamais fait peur à personne jusqu’aux bourgeois minables du XXe qui ont eu la grotesque idée de lui substituer le mot derrière ; or un derrière de bouteille, ça ne voudrait strictement rien dire. Mais ledit bouquin a disparu de ma bibliothèque, qui est en bordel et que j’ai la flemme de ranger.
Passant à la trappe mes propres objections, et surtout celles que fait Claudel dans « Sur le vers français » au début de ses Réflexions sur la poésie, j’aurais volontiers embêté mes amis qui se croient poètes avec une citation de Maurice Grammont :
« Quant aux vers libres, ils ne sont des vers qu’à condition d’être rimés ; sans rimes il est impossible de reconnaître leur forme et de savoir à quel endroit on passe d’un vers à un autre ; sans rimes ils ne sont des vers que sur le papier et pour les yeux. Or les vers sont essentiellement faits pour être entendus : leurs coupes, leur rythme, leur musique, leur rime, tout ce qui les constitue est fait en vue de l’oreille. Lire des vers seulement des yeux est un contre-sens. »
Le point de vue est vieillot, si l’on veut, et l’on a bien sûr le droit de jeter aux clébards plusieurs siècles de développement du vers pour faire ce qu’on veut comme on veut, c’est-à-dire, ordinairement, de la merde. Plus nous serons nombreux à en faire et à en souper, d’ailleurs, par temps de démocratisme mal compris, plus nous aurons raison…
Continuons donc à nous peigner le nombril de bran en nous racontant que nous pensons, voleurs de feu au briquet dans la poche, et à nous autoriser, avec moins de sens pratique et de poésie que n’en dégage une liste de courses, à tirer à la ligne comme ces feuilletonistes des temps passés, qui avaient au moins pour excuse d’en tirer revenu.
Surtout, ce morceau de paragraphe de Grammont explique très bien pourquoi mes camarades poètes, quand ils lisent leurs bidules, se sentent obligés de marquer une pause à la fin de chaque ligne ; c’est pour faire croire qu’il y a un vers et qu’on ne remarque pas, le plus souvent, la banalité d’une prose qu’ils tronçonnent à l’envi. Par quoi ces lectures font penser à la manière jadis dont on dictait des télégrammes :
Reviens demain STOP
Dis à Bertrand STOP
Qu’il foute le camp STOP
Ton mari STOP
Et hop, ce n’est pas si difficile.
Je serais ici dans l’obligation de m’objecter à moi-même tant de choses, si je n’avais à faire cette promenade que je vous ai dite. Celle-ci, par exemple, au livre susmentionné d’un Claudel qui insiste beaucoup sur l’ïambe fondamental, un temps faible, un temps fort, et qui oppose aux grands vers narratifs à structure prosodique accusée, « le vers libre ou soumis à des règles prosodiques extrêmement souples : c’est le vers des Psaumes et des Prophètes, celui de Pindare et de chœurs grecs, et aussi somme toute le vers blanc de Shakespeare ou discours divisé en laisses d’un nombre approximatif de dix syllabes ».
Laissons donc les poètes, leurs vers et leurs retours-charriots.
Prose, au masculin et en argot, voulant dire cul, je vais plutôt citer ici, pour l’agrément du lecteur, une strophe ou l’autre des Chansons de Bilitis de Pierre Louÿs, chef d’œuvre de mystification, les chansons traduites du grec ancien pour la première fois étant intégralement de l’auteur, et, malgré cela, de poésie, fût-elle érotique. Chaque chanson de Bilitis, poète imaginaire saphique, est composée de quatre strophes en prose ; voici la quatre-vingt-quatorzième :
XCIV
A GYRINNO
Ne crois pas que je t’ai aimée. Je t’ai mangé comme une figue mûre, je t’ai bue comme une eau ardente, je t’ai portée autour de moi comme une ceinture de peau.
Je me suis amusée de ton corps parce que tu as les cheveux courts, les seins en pointe sur ton corps maigre, et les mamelons noirs comme deux petites dates.
Comme il faut de l’eau et des fruits, une femme aussi est nécessaire, mais déjà je ne sais plus ton nom, toi qui as passé dans mes bras comme l’ombre d’une autre adorée.
Entre ta chair et la mienne, un rêve brûlant m’a possédée. Je te serrais sur moi comme sur une blessure et je criais : Mnasidika ! Mnasidika ! Mnasidika !
La règle est assez simple et toujours identique.
Comme elle le sera dans ce sommet de la poésie en prose, Douze douzains de dialogues ou petites scène amoureuses, où sur une page on trouve un dialogue quelquefois assez cru, mais le plus souvent très très cru entre deux personnages dont on découvre l’identité à mesure qu’ils se parlent.
Ces dialogues, qui ne craignent ni l’inceste ni la pédophilie, qui ne craignent rien, en somme, sont triés par type, et le lecteur circule, à moins qu’il n’ouvre son livre au hasard, certain de ne jamais s’ennuyer, des « Dialogues des filles nues » aux « Dialogues des enfants », en passant par les « Dialogues des enculées » ou ceux « des pisseuses », duquel j’extrais ce dialogue très cru, quoique non dénué d’humour, au titre sans ambiguïté :
SUR LES COUILLES
« Écoute un peu : je vais té faire oune chose qué pas oune femme elle fait en France ; oune chose qué je l’ai appris dans moun pays.
– Où est-ce, ton pays ?
– Buenos-Ayres. Les poutains de là-bas elles sont plous cochonnes que les Parisiennes.
– Et qu’est-ce que tu veux me faire ?
– Tou vas voir. Viens m’encouler en lévrette, et quand tou séras bien au fond, ye te pisserai sous les couilles.
– Tu as fait ça souvent dans ton pays ?
– Oh ! oui ! tou verras, c’est bon ! Le pipi, il est chaud, ça fait bien décharger. Youste y’ai oune envie dé pisser qui me tord lé con. Encoule-moi, va bien, va bien. Là, tou es dans lé fond ; à présent, vois-tou comme jé té prends les couilles avec la main, et pisse, pisse, pisse…
– Ah ! salope, tu me fais décharger trop vite !
– Tou jouis, ma vie ? Et jé pissé encore. Là, là, là, tiens, c’est fini. Jé t’en ai pissé oune pot dé chambre. Quand tou voudras récommencer oune autre jour, tou démandéras Mercédès. »
Voilà, je puis aller en promenade, muni même d’une idée de théâtre radiophonique possible ; et d’un sujet de rêverie.
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Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique.