Dans l’antre de la prestigieuse Librairie Théâtrale avec Christophe Mory

Dans l’antre de la prestigieuse Librairie Théâtrale avec Christophe Mory
Publicité

Le premier contrat retrouvé dans les archives date de 1852. C’est dire si la Librairie Théâtrale est une institution dans le milieu ! Les grands noms du théâtre du boulevard s’y sont fait éditer, à commencer par Georges Feydeau et Tristan Bernard. Il y a plus de cinq ans, Christophe Mory a repris la prestigieuse affaire, y investissant tout son temps et son argent, pour poursuivre l’aventure…

Christophe Mory nous reçoit à l’étage de la Librairie Théâtrale, derrière un bureau encombré de papiers, manuscrits, contrats… Autour de nous, les portraits de Molière, de Rimbaud, d’Hugo ou encore – magnifique – de Beckett. Son débit de parole est rapide, fluide, à l’image de sa passion pour le théâtre auquel il a décidé de consacrer dorénavant sa vie.

Sa première rencontre avec la Librairie Théâtrale ? Il a neuf ans : venu seul afin d’acheter une pièce pour ses marionnettes, il repart avec Le Bourgeois gentilhomme. Quarante ans plus tard, il se retrouve à la tête du lieu. Rencontre avec un entrepreneur enthousiaste, dont la dernière pièce s’apprête par ailleurs à être jouée, pour quatre-vingt-dix représentations, dans un théâtre parisien.

Comment êtes-vous devenu le patron de la Librairie Théâtrale ?

Un jour, alors que je suis dans le bureau d’un ami éditeur, M. et Mme Orgelet l’appellent pour lui proposer de reprendre la Librairie Théâtrale. Je parviens à convaincre mon ami de le faire, travaille pour lui pendant six mois, contre quelques actions concédées. Deux ans après, ce même ami m’appelle, m’annonce qu’il a un cancer et qu’il va mourir ; il me propose alors de reprendre la maison à une condition : « tu ne touches pas au prix ». Il m’explique qu’en affaires, il n’y a pas d’amitié, ce qui n’est pas sans m’étonner, et me vend cela excessivement cher…

Mais vous le vouliez ?

Oui, parce que cela me semblait être, sans mauvais jeu de mots, un boulevard. Je me lance, m’endette de façon irrationnelle et signe chez l’avocat le 6 décembre 2011… Mon prédécesseur disparaît de la circulation trois jours plus tard. C’est là que j’ai compris l’ampleur de l’entourloupe : je ne connaissais pas les fournisseurs, ni la plupart des auteurs ; je me suis aperçu qu’il publiait beaucoup à compte d’auteur, que le chiffre d’affaires donné était complètement invraisemblable ou encore qu’il avait largement augmenté les salariés, une semaine avant mon arrivée… J’ai compris que j’avais eu à faire à un escroc, un vrai.

Qu’avez-vous fait ?

Je n’ai pas eu d’autre choix, vu le prêt bancaire contracté, que de m’en tirer par le haut. Les trois premières années, déficitaires, furent cauchemardesques. Je ne savais plus quoi faire… Ce n’est qu’à la quatrième année que la Librairie Théâtrale eut enfin un bilan positif de 20 000 euros, exploit modeste certes, réitéré néanmoins l’année suivante. Les dettes demeuraient, mais nous étions sur la bonne voie.

Il y a un an, en mars 2016, je suis toutefois acculé. Je n’ai d’autre choix que de vendre mon appartement et de mettre tout l’argent dans la boutique. Je rembourse la banque qui s’était pourtant assurée d’une garantie IFCIC, un nantissement sur les actions de l’entreprise et une garantie sur mon appartement. Et mon interlocuteur de conclure : « Vous vous êtes foutu dans cette merde tout seul ! » J’ai préféré m’en libérer, vous le comprenez.

Si bien que, aujourd’hui, vous êtes libre…

Oui, totalement. D’autant qu’au fur et à mesure des années, j’ai recruté une nouvelle équipe, constituée de collaborateurs motivés et compétents. Je ne me paye pas encore, mais le climat est fabuleux. J’aime le théâtre, c’est pour cela que je me suis mis à poil financièrement ! Je crois encore qu’autant pour sauver la nature nous sommes devenus éco-responsables, autant pour sauver la culture nous serons édito-responsables.

Alors, quelle est donc cette Libraire Théâtre nouvelle version ?

Nous développons un théâtre que nous aimons, auquel nous croyons, qui est de plus en plus joué et qui s’ouvre constamment à de jeunes auteurs : Pierre Notte, Leonor Confino, Arnaud Denis, Salomé Lelouch, Violaine Arsac, Marilyne Bal…

Notre ligne éditoriale compte trois critères. D’abord, une histoire. Pour moi, le théâtre, c’est comme le train : je suis assis dans un train pour qu’on me mène en bateau ! Je souhaite par ailleurs que les personnages soient caractérisés dans leur langage : un homme ne parle pas comme une femme, ni un vieux comme un jeune, ni un valet comme un maître… Je suis toujours étonné lorsque je lis un auteur qui passe à la ligne, change de personnage et continue le même propos. Enfin, le dialogue ne doit pas être une conversation, mais une opposition, avec une action qui la sous-tend. Il n’existe pas de théâtre sans conflit en attente de résolution, avec un achèvement clair.

Vous excluez donc d’emblée les monologues !

Non, mais je recherche en revanche des pièces pour un seul personnage… La pièce à un personnage n’est pas un récit autobiographique, mais une action en temps réel. Si j’arrive à commencer cette collection, ce sera une véritable nouveauté.

Comment s’organise la sélection des manuscrits : êtes-vous le seul à décider ?

Le choix éditorial est fait par un comité de lecture constitué de cinq personnes – deux comédiens, un metteur en scène, une auteure, une éditrice –, qui se réunissent une fois par mois. Si un lecteur dit non, c’est non ; s’il ne sait pas, cela part en deuxième lecture ; s’il est favorable au manuscrit, ce dernier arrive sur mon bureau. Je me pose alors cette question essentielle : « Ai-je le public pour vendre un tel texte ? » Si je ne l’ai pas et que je le publie tout de même, tout le monde sera mécontent, à commencer par l’auteur. Pour chaque livre, quel que soit le choix final, il y a un argumentaire précis et complet, à partir duquel nous rédigeons notre lettre de réponse.

La Librairie Théâtrale existant depuis 1852, vous disposez d’un fonds énorme que vous avez décidé de ressortir. Pourquoi ce choix ?

Notre collection « Classiques du boulevard » est un patrimoine à transmettre : les textes sont notamment introduits par des lettres inédites, écrites par les dramaturges à l’éditeur. [Christophe Mory se lève d’un bond et se saisit d’un dossier duquel il extrait des lettres originales de Georges Feydeau] J’ai toute la correspondance entre Feydeau et Madame Saint-Yves : quel trésor ! Il n’attend qu’à être partagé : c’est pourquoi j’en cite de longs passages dans la préface que j’ai écrite pour la réédition de Tailleur pour Dames.

Cette série de classiques est en résonance avec une autre collection que nous avons récemment créée : « Écritures d’aujourd’hui ». Il s’agit d’une sorte de laboratoire dramaturgique : nous prenons de jeunes auteurs dont nous publions les premiers textes.

Continuez-vous de publier des pièces pour le théâtre amateur ?

Bien sûr ! Les éditions Art et Comédie font partie de notre patrimoine. Le théâtre amateur est le dernier liant social en France, depuis que les églises et les bureaux de poste se vident. Ce sont des pièces avec une grande distribution, majoritairement des femmes. J’ai un auteur, Yvon Taburet, inconnu des journalistes, qui est joué quelque 850 fois par an. Il n’est pas le seul ! Je pourrais encore vous citer Jean-Claude Martineau, Marie Laroche-Fermis, Christian Rossignol, Jean-Paul Cantineaux, François Scharre… Certes, ce sont souvent des histoires à grosses ficelles avec mari, femme et amant, mais il ne faut pas les regarder avec snobisme : elles enchantent leur public. Je ne vais pas essayer de caser des trucs « intellichiants » à des personnes qui ont besoin de rire ! Ce théâtre de divertissement, familial et populaire, est important : 24 000 troupes ont déjà fait appel à la Librairie Théâtrale.

Des sites comme la Théâtrothèque ou ProScenium proposent des pièces en libre accès. Comment vivez-vous cette concurrence de l’internet ?

Il faut bien être conscient que l’édition théâtrale va mourir, comme l’édition musicale est morte – à cause de la gratuité sur l’internet. Ce qui est aberrant, c’est que ce sont les auteurs eux-mêmes qui se sabordent, au mépris du droit moral, leurs pièces pouvant être détournées de son sens, et du droit patrimonial, parce qu’ils ne seront jamais rémunérés au titre du droit d’auteur.

Si c’est une fatalité, pourquoi combattre ?

Je veux bien continuer à travailler pour le théâtre amateur, mais il faut que les choses soient claires et honnêtes. Ensuite, je multiplie les « Écritures d’aujourd’hui ». Enfin, je privilégierai davantage la collection « Scène » d’Art et Comédie, qui rassemble des textes joués ou sur le point de l’être.

Nous arrêtons peu à peu la fabrication maison de livres. Il faut en effet que l’objet-livre soit parfait. Depuis que nous renouvelons nos maquettes, les commandes de libraires se multiplient ! La maquette de l’Œil du Prince sera également refondue à l’automne prochain ; elle est déjà prête, ainsi que la liste des premiers titres : Le Choix des âmes de Stéphane Titeca, Migraaaants de Mateï Visniec et d’autres qui, selon moi, sont les Classiques de demain. Il y aura aussi une nouvelle traduction de Kleist. Il ne manque que les finances.

Une pièce vient également de paraître à L’Œil du Prince : La Passation. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La Passation est une pièce que j’ai écrite et qui raconte la rencontre intime, au lendemain des élections présidentielles, entre un président sortant et le nouvel élu. Elle est donc de toute première actualité ! Elle sera jouée, à partir du 24 février, au théâtre des Feux de la Rampe, pour 90 représentations. Alain Sachs assure la mise en scène, avec Pierre Santini et Éric Laugerias pour interpréter les deux politiciens. Une belle aventure commence…

Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER

Publicité

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *