Culture, politique : l’art des mots
Le néolibéralisme exerce un contrôle de plus en plus autoritaire sur la langue, notamment sur les mots de la politique culturelle publique, jusqu’à transformer notre perception et notre représentation du monde selon sa propre logique. Tel est l’objet fondamental de la nouvelle chronique bimensuelle du dramaturge et sociologue Michel Simonot.
Culture, politique : l’art des mots
Avec cette chronique, je vais tenter d’alimenter une réflexion sur les politiques culturelles ainsi que sur la langue qui s’impose à nous ou que nous pratiquons pour parler de la politique, de la culture, des enjeux sociaux.
Il y a, bien entendu, Facebook. Je ne l’abandonne pas, car il permet d’exprimer nos opinions, de partager et faire circuler des informations, d’entretenir nos réseaux. Il permet parfois de mobiliser. Un intérêt de FB est sa réactivité. Mais il me semble vital d’échapper à sa seule vertu réactive, c’est-à-dire enfermée dans une immédiateté trop souvent sans distance, sans développement de la réflexion. Un post chasse l’autre. Un clic chasse l’autre. Et le relai, le partage d’un texte développé n’entraîne que rarement sa lecture, parfois son survol, au mieux celles des premières lignes. FB n’est pas – sauf rares exceptions – un outil propice à travailler une langue, à en être maître.
Nous savons tout cela.
Dans le même temps, le néolibéralisme produit une langue qui, par son usage massif, invasif, systématique, nous paraît de plus en plus naturelle, alors-même qu’elle est une construction qui transforme, modèle notre perception et notre représentation du monde selon sa propre logique. Ce n’est pas seulement notre esprit critique qui est visé, mais notre capacité même à penser, à mettre en critique l’ordre du monde. Cette langue façonne la politique, et notre rapport à celle-ci.
Par chance, mais non par hasard, se diffuse de plus en plus une critique de ce contrôle de la langue, des mots par le néolibéralisme dans sa forme de plus en plus autoritaire. Voire fascisante. Et on ne peut aborder l’usage de la langue sans le rapporter au contexte politique, ce que fera cette chronique.
Ainsi, on reparle aujourd’hui de Victor Klemperer et de son travail, entrepris dès 1919, jusqu’en 1945, aboutissant au livre L.T.I. la langue du IIIème Reich (Ed. Poche-Pockett). Des livres et articles paraissent sur l’actualité brulante de cette question.
J’ai publié un ouvrage pour contribuer à mobiliser la vigilance à ce sujet dans la culture (cf. La langue retournée de la culture, Éd. Excès, 2017). Un livre conçu comme un outil de travail destiné à être approprié par qui le veut, pour poursuivre sa propre analyse critique. Une analyse en prise sur les réalités politiques, car la langue sert à produire du réel. Langue et politique sont totalement liées.
Cette chronique se veut être essentiellement le prolongement de la démarche entreprise dans ce petit livre. Comme dans ce dernier, si l’entrée de chaque chronique ne sera pas toujours un vocable, les questions soulevées concerneront toujours un rapport à la langue.
Chaque parution sera une piste, une ouverture plutôt qu’un texte achevé.
C’est Pierre Gelin-Monastier, rédacteur en chef de ce journal, Profession Spectacle, qui m’a convaincu de la nécessité de poursuivre ce travail, en me proposant la création de cette chronique, qui permet à la fois souplesse, continuité et, pourquoi pas, approfondissement.
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Écrivain pour la scène. Sociologue de la culture. Engagé dans la vie artistique ainsi dans que dans les responsabilités d’organismes artistiques et culturels. Poursuit une réflexion sur l’écriture et la scène ainsi que sur les rapports entre les enjeux artistiques et les politiques culturelles. Auteur notamment de : Le but de Roberto Carlos (Quartett, 2013), Delta Charlie Delta (Espaces 34, 2016) et La langue retournée de la culture (Excès. 2017). Il tient depuis début octobre 2019 une chronique bimensuelle dans Profession Spectacle intitulée : « Culture, politique : l’art des mots ».
Excellente initiative, et même plus, indispensable !
Ce langage de projets avec objectifs et performance mesurables, s’appuyant sur une prétendue neutralité qui serait au-delà des passions humaines et des conflits, est forgé par les maitres pour leurs esclaves. Il évacue tout débat démocratique en confiant à une poignée de « spécialistes » le soin de décider ce qui serait le mieux pour nous (enfin, pour eux). C’est bien un fascisme.
Il a largement colonisé le ministère et les instances intermédiaires, la presse spécialisée, bien gangréné nombres de jeunes programmateurs / programmatrices issus des DESS de « management culturel », et s’insinue dans l’organisation des Compagnies.
Heureusement, ça résiste ! Nombre de succès quasi hors du radar de l’institution sont ceux d’une langue de résistance. Par exemple, si l’on faisait le compte du nombre de spectateurs qui ont vu en Rue « La lumière de nos rêves » ou « La beauté du Monde » des Qualité Street, on serait fort étonné de pouvoir les compter en centaines de milliers.
Mais rien de nouveau sous le soleil : c’est par la langue que les Empires assurent, ou croit assurer, leur pérennité, et cela devient d’autant plus voyant que, leur disparition s’approchant, ils en deviennent d’autant plus frénétiques.
Génial. Ya plus qu’a.
Génial, Michel… Je me réjouis vraiment, car ça fait des lustres que je travaille sur ces problématiques de la langue, j’ai même écrit des pièces entières là-dessus dans des projets avec mes Saxifrages (groupes de « création partagée » comme on dit maintenant!!!!) où j’ai joué ces mots paralysant de l’urbanisme, de la culture, de la langue grise des dossiers. J’avais beaucoup beaucoup appris et été stimulée par ton essai sur la langue retournée de la culture. Donc, j’attends beaucoup, beaucoup de ta chronique…. C’est super..