Coronavirus : rien ne sera plus jamais comme avant… Vraiment ?
Tout le monde va de sa prophétie concernant l’après-coronavirus. Si la crise rendra peut-être les Occidentaux un peu plus sobres, il faudrait néanmoins bien davantage pour les rendre plus modestes ou plus raisonnables. L’économie sociale pourrait avoir un rôle à jouer, mais il est fort à parier, selon notre chroniqueur Philippe Kaminski, que nous passions à côté.
Actualités de l’économie sociale
Nous ne sommes qu’au début de l’épreuve du confinement et j’entends de partout affirmer que notre monde en sortira profondément transformé. Chacun y va de sa prophétie. En général, ces augures ne font qu’exprimer ce qu’au fond d’eux-mêmes ils aimeraient voir advenir. Les uns annoncent l’éclatement de l’Europe, coupable de s’est montrée incapable de gérer la crise et de faire montre de solidarité ; les autres y voient une occasion unique d’imposer la nécessité d’un pouvoir fédéral fort. Les uns affirment que l’urgence de la transition énergétique apparaîtra désormais à tous et ne rencontrera plus d’opposition ; les autres que cette baudruche éclatera cette fois pour de bon, se fracassera contre le mur des réalités et qu’on n’en parlera plus. Les uns proclament la mort de la mondialisation ou la fin du libéralisme ; les autres avancent au contraire que les États-Nations ne s’en relèveront pas et que l’on entend aujourd’hui leurs chants du cygne.
On pourrait prolonger à loisir cette liste de visions contradictoires, au sujet de nos mœurs, des migrations, de la consommation, des services publics, de ce qu’on voudra. Pris isolément, aucun des scénarios en présence n’est absurde ; mais aucun n’ouvre de perspective pour une composition avec les scénarios adverses, c’est-à-dire à la complexité, à la vraie vie. Tant est si bien que la prévision la plus vraisemblable reste encore le statu quo ; après une forte secousse, les choses reprendraient peu à peu leur cours antérieur.
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Je me risque cependant à imaginer que certains des chocs que nous fait subir l’épreuve sanitaire que nous traversons auront des conséquences durables, dès lors qu’ils vont dans le même sens que les lentes et inexorables évolutions démographiques. Le vieillissement pousse nos sociétés à moins consommer, à moins investir, à gérer notre épargne avec toujours plus de pusillanimité. Je pense donc, entre autres, que l’archétype du jeune retraité friand de voyages au bout du monde s’érodera aussi vite que l’ont fait l’image et l’usage du tabac, et que l’industrie touristique, comme le transport aérien, vont désormais plafonner à leur niveau d’avant crise. C’en sera fini des prévisions délirantes que l’on mettait en avant pour justifier, entre autres, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et je ne m’en plaindrai pas. D’autres mouvements de réduction de nos dépenses inutiles et énergivores se confirmeront certainement.
Cependant, il me semble hasardeux d’évoquer un recul significatif des flux internationaux de marchandises ou une relocalisation massive des activités de production. Car il y a ce qui dépend de nous, Français ou Européens, et ce qui dépend aussi des autres nations, qui ont d’autres soucis que de suivre notre exemple ou de nous faire plaisir. Nous pouvons bien vitupérer l’huile de palme, mais les milliards d’êtres humains qui vivent au Sud ont besoin de leur ration lipidique et vont la trouver là où sa production est la plus rentable. Et je ne sache pas que les contempteurs de l’huile de palme appellent à se passer de café, de thé, de chocolat ou de latex. Même les gentils végans, dont la demande a provoqué une croissance délirante des plantations d’anacardiers, devraient être dénoncés comme promoteurs de la déforestation…
La crise rendra donc les Occidentaux un peu plus sobres, mais il faudrait bien davantage pour les rendre plus modestes ou plus raisonnables.
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Et que devient l’Économie Sociale dans tout cela ? Peu de chose, hélas. Je me répète : en cette matière elle paye, encore et toujours, son alignement sur le culte de l’État.
Je ne prône aucunement d’adopter un discours anarcho-révolutionnaire, qui serait aussi archaïque qu’inefficace. Mais qu’au moins on valorise l’idée qu’on peut servir la solidarité et l’intérêt général en dehors de l’emprise de la sphère publique. Qu’au moins on sorte du dualisme castrateur entre un État devant lequel on se prosterne et un Marché, qui certes peut être parfois bénéfique mais qui serait toujours dangereux. Il faut faire toute sa place à un tiers acteur, qui n’est pas là pour prendre la place des deux autres, mais pour limiter leur prétention à la toute puissance et offrir aux sociétés des voies différentes et autonomes d’entreprendre, de consommer et d’épargner.
Il serait ridicule de penser à une « stratégie d’Économie Sociale » pour lutter contre le coronavirus. Il en existe en revanche pour en limiter les dégâts économiques et sociaux, pour organiser et orienter au mieux le redémarrage de l’activité. Et je crains que nous passions totalement à côté.
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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.
Et qui est ce « tiers acteur » que vous évoquez ?