Cinéma – Production française : comment bénéficier des aides financières ?
Chaque année, de nombreux films voient le jour grâce au mécanisme de financement du CNC. Si tous les projets cinématographiques ne parviennent pas à accéder à ces graals du milieu de la production audiovisuelle, les chiffres n’en sont pas moins importants et se maintiennent d’année en année. Comment les aides financières sont-elles attribuées et quelles sont les conditions pour les obtenir ?
En France, les règles pour produire un film agréé sont nombreuses. Loin d’être des voies de soumission, elles sont aussi utiles pour protéger le milieu du cinéma français de la fuite à l’étranger ou encore tout simplement de sa mort. Nombreux peuvent être les sceptiques vis-à-vis de ce système de pouvoir et de contrôle des films. Pourtant, sans ce rouage, les salles de cinéma pourraient ne pas être aussi pleines et les co-productions étrangères aussi importantes.
En l’occurrence, les aides financières du CNC aux sociétés de production sont diverses et souvent indispensables pour mener des projets d’envergure. Ce sont les aides automatiques, ou fonds de soutien financier, et les avances sur recettes avant ou après réalisation. État des lieux d’un système complexe pour les films d’initiative française, sur la base d’une étude publiée par le CNC concernant l’année 2017.
Quelques chiffres en 2017
- 45, 9 % du soutien est mobilisé par dix sociétés de production : TF1 Films Production, Jerico, Europacorp, France 2 Cinéma, Pathé Films, Mandarin, France 3 Cinéma, Pan-Européenne, Fechner Films et Fidélité Films.
- 257 entreprises de production cinématographique ont mobilisé 75,96 M€ de soutien automatique, majorations comprises.
- 97 films agréés ont mobilisé 42,60 M€ de soutien automatique pour le financement.
- 50 films ont été produits grâce à l’avance sur recettes avant réalisation et 4 films après réalisation.
Agrément et barème de points
Les films de longue durée français ou réalisés en coproduction internationale sont, dès lors qu’ils remplissent les conditions fixées par la réglementation, générateurs des aides financières automatiques du fait de leur exploitation commerciale en salles, de leur diffusion télévisuelle et de leur exploitation sous forme de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public. Pour déclencher le calcul de ces aides, le film doit être titulaire d’un agrément de production, délivré par le président du CNC. Les sommes calculées sont inscrites sur les comptes ouverts au CNC au nom des entreprises de production bénéficiaires et peuvent être mobilisées par les producteurs pour investir dans la production cinématographique.
Le nombre de points obtenus sur un barème de 100 fixe le niveau d’accès à ces aides. Ensuite, il faut passer les deux étapes pour l’obtention de l’agrément. Celui des investissements, obligatoire ou facultatif selon la nature des investissements auxquels il fait appel, et celui de production, obtenu après réalisation.
« Les barèmes de points sont pour l’agrément de production, nous explique Véronique, productrice d’une société cinématographique et audiovisuelle implantée à Paris et Marseille. Effectivement, il y a plusieurs catégories. Pour tout ce qui est produit en France, on ne se pose pas la question du barème de points, puisque tout sera français a priori. Après, tout dépend des règles du pays coproducteur et s’il y a une co-production financière ou pas. » Le dispositif est complexe ; cela dépend du montage financier et du pays coproducteur, car le CNC régule les accords avec les pays étrangers. « Avec certains pays, nous n’avons pas d’accords, comme les États-Unis pour l’exemple le plus connu. On ne peut donc pas avoir d’agrément sur des co-productions franco-américaines », rappelle la productrice.
Les fluctuations liées aux coproductions
La difficulté d’obtenir le maximum de points est souvent proportionnelle à l’ancrage du développement du film à l’étranger ; le barème fonctionne donc essentiellement, en cas de co-production, à la baisse « puisque a priori c’est un film français, cela peut-être dans le cas où sont employés des étrangers pour certains postes ». « Mais pour un film français tourné en langue française et en France, en général, les employés seront essentiellement des Français, donc ce problème se pose moins. On sait automatiquement que le film sera agréé. »
Les coproductions amènent également une superposition de règles propres aux pays concernés : chaque coproducteur « s’engage à remplir ses obligations dans son pays ». La partie française doit par exemple respecter les règles qui lui permettent d’obtenir un minimum de points « pour que le film soit agréé français et avoir accès aux aides du CNC », insiste Véronique. C’est ainsi que, « sur chaque ticket de cinéma, une part revient au CNC et permet d’avoir un fonds de soutien au CNC pour un prochain film aux sociétés de productions. »
Le nombre points requis permet d’accéder aux aides, mais une autre obligation à remplir pour obtenir l’agrément est de respecter le barème de la convention collective cinéma. Même si les règles ont évolué dans le bon sens, l’agrément reste assez difficile à obtenir.
L’équilibre des financements multiples
Entre les modifications pour favoriser le crédit d’impôt, afin de permettre davantage de réalisations sur le territoire national, et l’augmentation des investissements étrangers, les aides automatiques et avances sur recettes parviennent à trouver un point d’ancrage plus satisfaisant et moins nécessaire dans le plan de financement des films.
En effet, les structures de financement de films sans crédit d’impôt ont, depuis 2012, la part la plus élevée de financements étrangers, soit 25 %, ce qui représente une évolution de 130,7 % en 2017, alors qu’elle n’était que de 63 % en 2015. Le corollaire est de compliquer l’obtention de l’agrément concernant les coproductions financières, « sur des films fragiles en coproduction avec l’étranger ça peut être parfois très difficile de l’obtenir ».
« Certains accords autorisent que l’on ait une coproduction financière ; le nombre de points n’est alors pas identique. C’est autorisé à partir de dix points. Dans ce cas, on rentre en coproduction à partir de 10 % d’œuvre française, quand la part française est minoritaire. Quand on tourne à l’étranger il y a encore d’autres règles à suivre, c’est encore plus difficile d’avoir des points car on va plutôt engager une équipe étrangère plutôt que de faire venir son équipe française. »
Les apports français représentent alors juste un petit pourcentage, parfois grâce à une chaîne de télévision, ce qui permet d’amortir un peu les dépenses. Ceux-ci sont alors surtout des coups de pouce donnés à des projets fragiles étrangers.
Tour d’horizon des autres aides
De 2016 à 2017, une baisse significative de 9 points des films ayant bénéficié de l’avance sur recettes semble directement liée au fait qu’il y ait eu beaucoup de films réalisés à l’étranger, « d’où le changement de règles du crédit d’impôt », souligne la productrice. Le résultat effectif de ce changement sera connu dans deux ou trois ans, le CNC se fondant sur les années d’obtention des agréments et non des dates de sorties des films.
« Si le CNC a modifié les règles d’obtention de l’agrément de production, c’est pour permettre plus de souplesse sur les réglementations, notamment pour avoir plus de films tournés en France et agréés français. Maintenant, soit les films ont un très petit budget, soit un très gros budget, et il y a moins de films entre les deux. Selon la convention collective, nous sommes obligés de payer l’équipe technique selon un barème ; cela pèse parfois très lourd sur le budget et cela ne permet pas de respecter toutes les réglementations. »
La difficulté pour les producteurs de s’aligner au système est d’autant plus effective depuis la nouvelle convention collective, « contraignante et complexe ». « Même les dérogations possibles aux conditions pour obtenir l’agrément sont contraignantes, fait remarquer la productrice, sauf si le film fait moins d’un million d’euros (en fiction) ; dans ce cas nous ne sommes pas tenus de respecter la convention collective cinéma, mais celle du droit du travail (ce qui signifie que les techniciens peuvent être payés au SMIC). Dans tous les cas, nous sommes tenus de respecter les règlementations », au risque d’être hors cadre.
Comment expliquer que 45,9 % du budget des aides automatiques soit accordé à 10 sociétés de production, et 32,9 % à un noyau central de 45 autres sociétés ?
« Il s’agit du fonds de soutien automatique, qui est différent de l’avance sur recettes, qui est sélective. Cela n’a rien à voir avec la qualité du projet. On peut utiliser le fonds de soutien (le compte créé et alimenté par les boîtes de production selon le nombre de points obtenus selon le barème) dans un laps de temps limité, jusqu’à environ trois ans. »
Cette aide est destinée à être utilisée pour le développement (écriture, etc.) d’un prochain film, donc pas nécessairement pour l’étape production.
La productrice déplore d’ailleurs un manque de souplesse des aides au développement, qui ne permettent pas « aux jeunes sociétés ou à des projets un peu fragiles de pouvoir se développer. On ne met pas assez l’accent là-dessus, alors que c’est difficile d’accès et très contraignant, notamment sur le fait que l’aide au développement est essentiellement destinée aux auteurs, alors que le développement comprend d’autres parties ». Elle signale également des retards dans les délais de traitement en interne (cas de personnel en arrêt de maladie), des retards de paiement, même si le système lui paraît très pertinent et pour le moins équitable.
Le problème aujourd’hui est le nombre croissant de sociétés qui veulent produire ; il y a beaucoup de concurrence, parce que la France permet, ou en tout cas favorise, ce vivier de création. Le CNC tend de plus en plus vers un équilibre des sources de financement et à une équité dans la manière d’attribuer les aides. Reste à assouplir sans doute quelques règles pour accéder à l’agrément des films, au risque de produire un cinéma français de plus en plus homogène. D’autant plus que le système de l’aide automatique créé, d’une certaine manière, un effet pervers de circuit en vase clos entre les sociétés de production dont les films sont les plus vendus en salles, qui bénéficient alors de soutien financier systématique pour produire encore. Le système de redistribution est donc ici assez relatif.
Louise ALMÉRAS
En téléchargement : La production cinématographique en 2017