Chronique cryptée cherche hacker vaillant
Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique.
« Restez chez vous »
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Rien d’impossible !
L’essentiel, c’est le malentendu. Il ne me viendrait pas à l’idée de penser que je parle bien ; et, à moins que vous ne soyez crétin, ce dont je doute, vous entendez mal, vraiment mal. C’est ainsi que nous nous comprenons. Ce que je dis n’est jamais ce que vous comprenez. Tant mieux. Sans cela, la guerre serait déclarée, permanente, ouverte. Elle n’est que sourde. On respire.
Des paragraphes, comme le précédent, qui ne coûtent rien, ou pas grand-chose, je pourrais au fond en aligner des dizaines, sans trop réfléchir, simplement en agençant des éléments de façon purement décorative. Cela ronronnerait doucement, le lecteur peut-être se dirait qu’il est d’accord ou non et omettrait de se demander avec quoi. Au fond, qu’importe. Il va mourir, lui aussi.
La médiocrité consiste à se mesurer à ses contemporains. On s’y trouve à son avantage le plus souvent ; du moins le veut-on croire. Comme la modernité consiste à mépriser les anciens, les géants, elle tombe de médiocrité en infamie. Tout en bas, la croyance en son propre génie, qu’à toute heure tout pourtant désavoue, dans une lumière qu’il n’est plus personne pour contempler.
J’aime bien les cons. Je me sens mieux avec eux, je n’ai rien à leur prouver. Parmi les engeances que j’ai eu à fréquenter durant ma vie tranquille, les artistes sont les gens les plus à plaindre : ils engraissent mous, payés par des gens qu’ils n’intéressent même pas, et à raison. Les gens honnêtes s’esclaffent à leur passage ; eux, baissent la tête dans leur gamelle en peau-de-chagrin.
Se conciliant le nombre, le plus cochon obtient, tissée de haines cuites et recuites, la reconnaissance forcée de ses pairs. Le bonheur est immense ; il ne se distingue guère de la joie d’humilier. Je n’ai pas bonne opinion de mes semblables : je suis pareil. Le meilleur de ces acteurs-là se contrefait ; on croit qu’il ne joue pas ; il étale simplement son faux, qui passe pour faux.
Le mépris des morts n’avait jamais atteint une proportion telle. C’en est presque magnifique, insurpassable d’abjection. Toute une génération de servants, puis deux, peut-être déjà trois, frappée de la plus profonde folie, décide de massacrer les morts. Dans sa bacchanale merdique, elle ignore s’être arraché son propre cœur et s’être tuée vive. L’image de sa force est figée dans sa mort.
Le film entier déroule sous une paupière. Peu importe cet œil, il est mort et c’est bien. Un dieu passe, dévalisé d’avance, et redondant de fric. On le tue, il se multiplie, recouvre la terre, empeste les ciels, naufrage d’innocents cours d’eau. Il fait peur et son ombre au couchant s’allonge démesurément. Partout des morts, des morts bavards, vrai châtiment.
Les muzikos seuls, bim, bam, nous feront regretter les bavards ; ils sont les plus analphabètes, les plus stupides, un ramassis de carnes beuglantes voué tout entier à la divinité du faux. Je connais un fervent catholique, arriéré des dimanches : lui-même sait que c’est faux, que le show à chants neuneus must encore go on juste un peu ! Mais c’est guignol, guignol, guignol et ladre compagnie !
Une ivresse légère rend abstrait et poétique ce texte. C’est un peu certes déloyal ; et dégueulasse. Il faudrait ne pas chercher à quitter la médiocrité, cette mère absolue, protectrice, généreuse, coupeuse de couilles pour ton bien : dans le monde où tu vas, camarade, le courage est le grand handicap, qui sur toi lance la meute. Meurs pour rien, ou rejoins-la et prends ta part de merde.
Admirable est notre lâcheté. Que nous justifions de l’inversion de tant de mots, avec une joie perfide, un sourire corrompu, émouvant. Nous défendrons toujours l’agneau, sans nous poser de questions, surtout pas celle de savoir si ce n’est pas le loup, cet animal que nous nommons agneau et avec lequel nous hurlons, festifs et gras, sur des ondes publiques. Pas se poser de questions.
Nous devons demeurer ces parasites qui… Non, nous autres, gens de la culture de ces jours merveilleux, sommes les vers qui dégraissons le cadavre d’une civilisation. Nous faisons, dans notre ignorance et notre bêtise monstres, un travail humoristiquement sain. Nous coupons toutes les transmissions, nous empêchons l’héritage, nous assistons la mort, nous sommes le progrès.
Je finirai en disant que je n’exagère pas aujourd’hui plus ou moins que d’ordinaire. Je n’exagère pas. Je m’amuse, pardon. Si j’avais cru pouvoir me passer d’écrire dans cette langue cryptée, comme chaulée pour éloigner de mon cadavre encore frais je ne sais quels charognards de censure, je l’aurais fait. J’ai beaucoup ri à écrire cette chronique en forme de pied-de-nez.
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