Christophe Honoré : « Je suis assez délicat avec les acteurs, beaucoup moins avec les techniciens »
Attentif, exigeant et talentueux, Christophe Honoré incarne à lui seul les trois adjectifs. Aujourd’hui réalisateur reconnu, l’ex-critique acerbe et sans concessions des Cahiers du Cinéma, est aussi un auteur de romans pour enfants et adolescents. Des livres dans lesquels il aborde les thèmes réputés difficiles du suicide, du sida, du mensonge des adultes, de l’inceste ou des secrets de famille. En 12 ans, il a déjà réalisé huit long-métrages dont Les Chansons d’amour (2007), Non ma fille tu n’iras pas danser (2009) ou Les Bien-Aimés (2011). Le dernier en date, Les Malheurs de Sophie, tiré de l’œuvre de la Comtesse de Ségur, a réuni en 2015 à l’écran, Anaïs Demoustier, Golshifteh Farahani et Muriel Robin. Rencontre avec un réalisaeur au cinéma chevillé au cœur…
Comment est née votre vocation de réalisateur ?
En fait, cela m’est tombé très tôt dessus, en 6e-5e au collège Edouard Herriot de Rostrenen en Bretagne. Je participais au journal de la classe. Quand je commençais à dire aux gens que je voulais devenir cinéaste, ils me regardaient et se disaient « pauvre garçon». Aujourd’hui, j’en rigole, mais je n’arrive pas à comprendre comment j’ai réussi à concrétiser ce désir d’adolescent. C’était un peu un scandale social de réussir à faire ce métier-là en venant de ce milieu-là. De plus, je suis resté assez tardivement en Bretagne. Quand je suis arrivé à Paris en 1996, j’avais 26 ans et je me disais que tout était déjà un peu joué. Et puis je ne connaissais personne. Je passe d’ailleurs aujourd’hui pour le cinéaste bobo parisien, ce qui m’a toujours amusé. Cela vient certainement du fait que j’ai travaillé avec des acteurs plutôt rive-gauche ou sixième arrondissement : Louis Garrel, Chiara Mastroianni…
Comment se passe l’écriture de vos scénarios ?
J’ai toujours aimé écrire des scénarios, sans doute parce que j’étais écrivain auparavant. Je vis un peu cela comme une récréation. C’est vraiment le moment où l’on épuise tous les possibles d’une histoire. Cela va vite. Je ne solennise pas du tout le scénario. Certainement parce que je m’inscris dans un genre de cinéma post-nouvelle vague. Je fais partie de ces réalisateurs qui écrivent des scénarios parce qu’il faut les écrire mais qui, au moment du tournage, font un autre film. Il n’y a rien de plus terrible pour moi qu’une journée de travail où on a fait tout ce qui était prévu. J’aime beaucoup écrire pour les autres car je n’ai aucun sentiment d’ego. J’ai aidé par exemple Louis Garrel à écrire son scénario. Louis étant acteur, cela s’est étalé sur trois ans. Je n’ai pas cessé de lui fournir du bois. J’aime bien cette façon d’écrire. L’écriture peut être considérée comme un travail solitaire mais, paradoxalement, vous êtes très perméable au monde. Une conversation que vous allez entendre dans un bus, vous allez l’intégrer dans le texte. Je me sens beaucoup plus seul sur un plateau de cinéma que lorsque j’écris.
Quel genre de réalisateur êtes-vous ?
Sur un plateau de cinéma, j’ai une idée fixe et je passe la journée à essayer de faire en sorte que les autres ne m’obligent pas à y renoncer. Je ne supporte pas que les acteurs, une fois maquillés, retournent dans les loges. J’essaye toujours d’enchaîner au maximum. C’est cela qui me donne de l’énergie. Je suis assez délicat avec les acteurs, beaucoup moins avec les techniciens. On dit souvent que les acteurs sont parfois trop payés ; mais imaginez que, pendant 6 ou 7 semaines, vous vous laissiez regarder dans des situations que vous n’avez pas choisies. C’est d’une impudeur extrême ! Nous, metteurs en scène, sommes obligés de transformer cette obscénité en poésie. Toutes les émotions fortes que, dans la vie, on a envie de garder pour soi sont publiques et rejouées à l’infini. Il faut être très entouré par ses proches pour résister à cela. En revanche, le metteur en scène qui prend le pouvoir sur les acteurs, cela ne m’a jamais fait rire. Vous vous souvenez certainement de la polémique qu’il y a pu avoir avec Léa Seydoux sur La Vie d’Adèle. En gros ; le réalisateur [Abdellatif Kechiche, NDLR] l’a choisie en disant qu’il ne voulait pas d’elle. Pour moi, quand la question du pouvoir est au cœur du rapport avec les acteurs, je trouve cela insupportable. Je pense que cela détruit beaucoup de films français. J’ai d’ailleurs l’impression que beaucoup de cinéastes en France n’aiment pas assez les acteurs. La grande force du cinéma américain, c’est que l’on sent que les acteurs sont rois. Quoi qu’il se passe, c’est eux qui dirigent le film.
Prenez-vous autant de plaisir à écrire des romans ?
Non, pour le coup, l’écriture romanesque n’est pas liée au plaisir. La preuve, cela fait 10 ans que je n’ai pas écrit de romans. Honnêtement, je passe plus de temps à écrire des romans qu’à faire des films. L’écriture de scénarios, de même que celle journalistique, abîme beaucoup l’écriture littéraire. À un moment, même si on est complètement à la bourre et qu’on doit rendre 4 pages à 17 heures, on sait qu’on les aura. Ce n’est pas la même chose avec le processus littéraire.
N’avez-vous jamais eu envie de passer devant la caméra ?
Franchement non. J’ai fait des figurations dans des films d’amis qui n’ont jamais réitéré la chose (rires)… Et pas sans raisons. En réalité, je déteste être regardé. Déjà, être photographié, cela me stresse. J’aurais bien aimé savoir le faire parce que les cinéastes que j’admire le plus – Woody Allen, Nanny Moretti… – jouent merveilleusement bien avec leur corps au milieu de la mise en scène. Moi, j’en suis incapable.
La musique de la plupart de vos films est signée Alex Beaupain. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration ?
Avec Alex, nous nous sommes connus lorsque j’étais étudiant à Rennes. À l’époque, il était encore lycéen à Besançon. Nous avions des amis en commun que nous retrouvions à Paris. C’était très drôle car je parlais cinéma et lui n’osait pas parler chanson, d’autant plus qu’il étudiait à Sciences Po. Je sais que, lorsque j’ai commencé à faire des livres, cela lui a donné l’envie d’assumer et de tout laisser tomber. Nous avons eu cette expérience autour du film Les Chansons d’amour. Il avait écrit cet album qui n’avait pas beaucoup marché et qui était très autobiographique. Cet opus parlait beaucoup de nos deux vies. Je lui ai dit que nous allions en faire une comédie musicale. Je crois que cela l’a lancé en tant que chanteur.
Après le cinéma et le roman, place au théâtre. Est-ce vous vous sentez plus libre sur les planches qu’au cinéma ?
Oui, d’autant plus que je travaille dans le théâtre subventionné. C’est un théâtre qui n’impose pas de rentabilité. Vous pouvez lancer des projets, les développer et les concrétiser sans subir de pression économique. Sur des films d’auteurs, tant que vous rapportez plus ou moins ce que cela a couté, ça va. Mais dès que vous inversez la balance, cela commence à être un peu compliqué. Vous ne pouvez pas enchaîner deux ou trois long-métrages comme cela. Alors qu’au théâtre, j’ai développé un autre mode d’expression artistique. Ce qui est important aujourd’hui, ce n’est pas de s’enfermer dans quelque chose de figé mais d’être transversal. Cela me permet de vivre mes différentes activités artistiques de manière beaucoup plus sereine.
Pensez-vous a contrario que la télévision soit un média ringard ?
Au tout début de ma carrière, j’ai eu l’occasion de réaliser le téléfilm que Serge Moati voulait faire de l’adaptation à la télévision de l’un de mes livres pour enfants qui s’appelait Tout contre Léo. Quand je l’ai rendu à M6, j’étais très content, mais la chaîne ne l’a jamais diffusé. Tout contre Léo raconte l’histoire de quatre frères de 10, 18, 20 et 22 ans. L’un des frères annonce à la famille qu’il est malade du sida ; toute la famille décide qu’il ne faut surtout pas en parler au petit dernier. Mais celui-ci, qui s’en est rendu compte, accompagne peu à peu la maladie de son frère qui refuse de se soigner, alors que sa famille lui joue la comédie. Une relation homosexuelle était sous-tendue dans ce livre pour enfants. C’est pour cela que M6 m’a demandé de couper des scènes qui, dans leur esprit, ne pouvaient pas passer à 20h30. À chaque fois, on me disait que ça allait passer l’année prochaine : cela fait 15 ans que cela dure ! Depuis, le film a participé à beaucoup de festivals à l’étranger et le plus drôle c’est qu’il a même obtenu des prix. J’ai fait aussi pour Arte un de mes films préférés qui s’appelle La Belle personne, tiré de La Princesse de Clèves. Je n’aurais pas pu le faire au cinéma. Je suis donc allé voir Arte en disant que je voulais en faire une adaptation très libre et contemporaine dans un lycée parisien. C’était l’un des premiers films de Léa Seydoux.
Quelle expérience tirez-vous du tournage de votre dernier film Les Malheurs de Sophie ?
Mon dernier film s’attache à l’adaptation de l’œuvre écrite au XIXe siècle par la comtesse de Ségur. Je tenais beaucoup à ce que Sophie ait l’âge qu’elle a dans le livre. J’ai donc travaillé avec une actrice principale qui avait 5 ans, ce qui est très particulier. Pour moi, c’était un peu nouveau parce que c’était un film en costume. J’ai toujours été très méfiant par rapport à ce genre de film, bêtement d’ailleurs. Avec l’idée un peu naïve que les films en costumes avait un côté musée de cire. Je me suis aperçu que cela était faux, en tout cas dans ce projet-là.
Propos recueillis par David RAYNAL