Chirac et la culture : un amour caché en cinq exemples
Jacques Chirac, ancien président de la République de 1995 à 2007, vient de mourir, à l’âge de 86 ans. On ne peut pas dire que l’homme politique ait marqué les esprits par son goût pour la culture, ni que les cinq ministres qui se sont succédé lorsqu’il était au sommet de l’État aient laissé un souvenir impérissable. Mais pour notre hommage à l’ancien chef de la France, nous avons décelé néanmoins cinq signes de son intérêt, voire de son amour personnel pour les arts et la culture.
Il était souvent décrit comme un rustre, aimant les westerns, regarder le foot en se sirotant une Corona, ou préférant la musique populaire aux compositeurs classiques. Une image en décalage total avec celles des hommes politiques de son temps, comme les Mitterrand, Balladur ou Giscard. Et pourtant, comme le disait Françoise Giroud : « Cet homme est du genre à lire de la poésie en se camouflant derrière un Playboy. » Un beauf, Jacques Chirac ? Plutôt un discret, aimant le contre-pied. Profession Spectacle vous en donne cinq exemples.
1. Il choisit Bettina Rheims pour sa photo officielle
C’est son premier choix fort. Arrivé à l’Élysée, Jacques Chirac n’échappe pas à la tradition et choisit un photographe pour son portrait officiel. Et il confie cette tâche à une femme : Bettina Rheims, plus connue pour ses travaux sur le nu et l’univers des transsexuels que sur les postures cérémonieuses. Un profil bien éloigné de l’exercice.
Il accepte par ailleurs le changement de décors qu’elle lui propose : pour la première fois, le chef de l’État est photographié à l’extérieur, les mains dans le dos, avec les jardins de l’Élysée en arrière-plan. La photographe recevra plus tard de ses mains la Légion d’honneur.
À noter que Bettina Rheims réalise également un reportage pour Paris-Match sur le candidat RPR, et que son père, Maurice Reihms, commissaire-priseur, historien et académicien était un grand ami du nouveau président.
2. Il obtient l’ouverture d’une salle au Louvre consacrée aux arts non-occidentaux
Le 13 avril 2000, Jacques Chirac jubile. Après des années de bras de fer, le président de la République installe une centaine de chefs-d’œuvre d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques au Louvre, dans le pavillon des Sessions. L’amour de cet art méconnu est né lors d’une visite du jeune Jacques Chirac au musée Guimet en 1947, à l’occasion d’une exposition consacrée aux arts d’Asie.
Avec cette mise en avant au Louvre, c’est la première fois que ces arts premiers se voient consacrés « art » à part entière. Mais ce ne fut pas sans mal pour le chef de l’État, comme le raconte RFI. Lorsqu’il lance ce projet en 1996, les détracteurs sont nombreux. Certains dénoncent des acquisitions malhonnêtes de pièces, d’autres déplorent un caprice présidentiel et des préoccupations esthétisantes qui dénaturent l’ethnologie. Ces pièces, soulignent les scientifiques, n’ont aucun sens, extraites de leur réalité culturelle.
Mais pas question de se laisser influencer ! Bien au contraire. Non seulement le pavillon est inauguré en 2000, mais déjà se profile le musée du Quai Branly. Le site a été choisi en 1998, avant une ouverture en 2006 (voir dans la suite de cet article). Pour autant, pas question de fermer le pavillon des Session, au grand dam de Pierre Rosenberg, le directeur du Louvre de l’époque.
3. Il décentralise le Centre Pompidou à Metz et le Louvre à Lens
Comme un pied de nez aux élites parisiennes et un symbole de son caractère !
À la fin des années quatre-vingt-dix, Jean-Jacques Aillagon, alors président du centre Georges-Pompidou, et qui sera par la suite ministre de la Culture de Jacques Chirac entre 2002 et 2004, cherche une ville pour accueillir une antenne décentralisée du musée. Plusieurs villes (Lille, Caen, Nancy) ont décliné, rappelle Jean-Marie Rausch, l’ancien maire de Metz, alors que sa ville est sur les rangs. Et c’est Jacques Chirac qui la choisit en janvier 2003.
L’histoire est sensiblement la même pour le Louvre-Lens, inauguré en décembre 2012. C’est Daniel Percheron, alors président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais (PS), qui a su convaincre Jacques Chirac que le choix de Lens était le meilleur, pour rendre justice « au peuple de la mine qui a tant souffert ». Il a été soutenu dans son combat par Henri Loyrette, président-directeur du Louvre et partisan de la démocratisation de l’art. François Hollande préside l’inauguration en 2012 et salue à cette occasion Jacques Chirac et ce « pari insensé » tenté par lorsqu’il a pris en 2004 la décision d’implanter le Louvre dans cette ville de 35 000 habitants, meurtrie par les guerres et la désindustrialisation.
4. Il combat les États-Unis pour défendre l’exception culturelle française
C’est un de ses chevaux de bataille. En ce milieu des années quatre-vingt-dix, la France se bat pour contrer le rouleau compresseur culturel américain. Il s’agit de faire échapper les produits culturels, dont le cinéma et la musique, au droit commun du commerce international et de reconnaître aux États la possibilité de défendre leur pré carré culturel par tous les moyens qu’ils jugeront bons.
En 1999, deux semaines avant l’ouverture des négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), baptisées “cycle du millénaire”, qui doivent se tenir à Seattle, le chef de l’État invite à l’Élysée ce qui se fait de mieux question showbiz à la française : Sacha Distel, Jean Yanne, Yvette Horner, Johnny Hallyday… L’objectif : réaffirmer que la France ne sacrifierait pas son « exception culturelle » sur l’autel de la mondialisation. La France doit affirmer, lors de ce “cycle du millénaire”, que « chaque pays a le droit d’organiser l’environnement juridique, fiscal, social, industriel qui favorise l’épanouissement des œuvres » et puisse « définir librement » ses « systèmes d’aides pour appuyer la production et l’exportation culturelles, et refuser tout plafonnement des subventions ».
Un rassemblement de paillettes pur Made in France, mais surtout une belle opération de communication. Puisqu’au final, lorsque l’Europe et la France n’obtiennent pas le bénéfice de l’exception culturelle réclamée à l’OMC à Seattle en 1999, Jacques Chirac propose et réussit à obtenir une convention à l’UNESCO qui légitime, en droit international public, cette exception culturelle.
5. Il construit son musée : le Quai Branly
Sa passion pour les arts premiers fut incontestablement le fil rouge de sa politique culturelle, avec comme apothéose de cette passion, l’inauguration en 2006 du musée du Quai Branly.
Lorsqu’il prononce son discours d’inauguration, Jacques Chirac a sans doute eu une pensée tout particulière pour son mentor, Jacques Kerchache. C’est à lui que le chef de l’État avait confié la charge de constituer la collection du pavillon des Sessions et de ce nouveau musée. Les deux hommes se sont battus pendant des années pour que cet écrin voit le jour. Souvent contre les puristes pour qui les arts primitifs ne sont que des arts mineurs. Jacques Chirac, lui, y voit au contraire un hommage aux populations lointaines, ainsi qu’un appel au dialogue des cultures dans un monde guetté par « l’ethnocentrisme » et l’unilatéralisme américain, note le Parisien à l’époque.
Crédits : portrait de Jacques Chirac par Bettina Rheims (détail de la photographie officielle)