Brèves estivales
Nouveaux mots, moteur Diesel et revalorisation du rail par la coopérative Railcoop… Autant de petits sujets légers qui éclairent sur la place de l’économie sociale aujourd’hui. Une chronique sous forme de brèves estivales.
Actualité de l’économie sociale
L’été que nous vivons ne me semble guère propice aux réflexions de fond. COVID et Climat, tels les deux pieds dérisoires du colosse de Rhodes effondré, devront attendre la rentrée pour qu’on s’occupe mieux d’eux. Car entre s’enliser dans la mélancolie ou se complaire dans l’indignation, notre esprit ne doit pas balancer : mieux vaut virevolter dans une légèreté de saison, même feinte, que de se savoir toujours en hiver et d’en geindre.
Enfin, de la terminologie intelligente !
Tout en reconnaissant son utilité, voire son absolue nécessité, je déplore assez souvent le travail des commissions de terminologie. Le flux des mots anglais qui nous submerge est tel que nos pauvres traducteurs n’ont plus pris de vacances depuis la bataille de Trafalgar. Alors ils nous fabriquent tant bien que mal des équivalents francophones à tout ce qu’on leur soumet, et cela donne des locutions besogneuses à rallonge dont il ne faut pas s’étonner que le public ne les adopte pas. Quand on vous suggère « clef de dédoublonnage » à la place de matchcode, ou « entreprise de publipostage » à la place de lettershop, vous ne souriez plus, vous ne soupirez même plus, vous levez les bras au ciel.
Aussi ai-je été transporté d’enthousiasme à la lecture d’une dépêche provenant du Parc régional du Jura vaudois. J’y ai découvert un mot tout nouveau pour moi, le choupisson, qui est le synonyme ô combien agréable à l’oreille du lourdingue hérissonneau prôné par l’Académie Française, c’est-à-dire le petit du hérisson.
Contact établi et renseignements pris, choupisson n’est ni un mot d’enfant ni un emprunt fait à un quelconque dialecte romand, mais un authentique néologisme issu d’échanges entre sociétés locales de protection de la faune. Voilà de la terminologie bien vue ! Qui oserait faire du mal, ou vouloir du mal, à un choupisson ? Qui ne sera pas attendri, sachant leur nom, à la vue d’une portée de petits choupissons mignons chéris ? Une telle invention lexicale fera plus pour la sauvegarde de cette espèce utile d’insectivores à piquants que n’importe quelle coûteuse campagne de communication.
Pourquoi tant de haine contre le Diesel ?
Je n’ai jamais accepté, ni compris, la haine viscérale que les ayatollahs de l’écologie vouent au moteur Diesel. Voici maintenant qu’on parle carrément de l’interdire à partir de 2035, un horizon qui va bien au-delà des prochains rendez-vous électoraux et sur lequel on peut en conséquence dire n’importe quoi, mais qui est fichtrement proche en matière d’investissement industriel. La simple idée d’éradiquer une technologie utile et bienfaisante, après l’avoir consciemment diabolisée, relève d’une forme de perversité suicidaire que je ne parviens pas à m’expliquer.
C’est pourtant une bien belle invention que ce moteur Diesel. Sobre, rustique et d’une grande longévité, il devrait séduire les partisans de la frugalité et de la durabilité. Eh bien non, c’est le contraire qui se produit ; comprenne qui pourra. Constamment amélioré ces dernières décennies, il bénéficie désormais, pour rien, de tous les acquis de sa longue « courbe d’expérience » ; c’est l’avantage des technologies matures que d’offrir à l’utilisateur, sans nouvel effort, le fruit accumulé du travail passé de milliers d’ingénieurs et d’artistes de la mécanique. Ce serait folie que de s’en passer ! En tous cas, personnellement, étant coutumier des longs parcours routiers, c’est-à-dire autoroutiers, je ne vois pas comment je pourrais faire sans.
Ce qu’on sait moins, c’est que son inventeur, Rudolf Diesel, fut aussi un penseur social, un des précurseurs méconnus de l’Économie Sociale moderne. Son principal ouvrage, Solidarismus, fut publié en 1903. Il porte comme sous-titre Natürliche Wirtschaftliche Erlösung des Menschen, que je traduirais par « la Rédemption de l’Humanité par une Économie inspirée par la Nature ». À ma connaissance, cet opuscule n’a jamais été traduit en français ; ce pourrait être une occupation pour mes vieux jours…
Bien qu’Allemand et revendiqué comme tel par les plus chauvins de nos voisins teutons, Diesel fut un peu français aussi. D’ailleurs il est né à Paris et il possédait parfaitement notre langue. Il revint en France à l’âge de 22 ans pour poursuivre ses études, et c’est à l’exposition universelle de 1900, celle du fameux Pavillon de l’Économie Sociale de Charles Gide, qu’il présenta au grand public son moteur et obtint une médaille d’or. On a beaucoup glosé sur sa mort mystérieuse en 1913 ; certains ont prétendu qu’il aurait été assassiné par les services secrets de son pays, alors qu’il s’apprêtait à vendre son savoir-faire à la marine britannique.
La France, et l’Économie Sociale, devraient défendre Diesel, son moteur et sa mémoire !
Pavane pour une cause perdue ?
Je suis plein d’admiration pour la coopérative Railcoop, et cependant je reste sceptique devant la cause qu’elle défend. J’aurais aimé que l’élan solidaire qui préside à son développement, unissant particuliers, professionnels et collectivités territoriales pour la renaissance de lignes ferroviaires délaissées, connaisse des équivalents dans bien d’autres secteurs où, hélas, l’Économie Sociale ne brille que par son absence. Mais je ne veux pas paraître négatif : Railcoop est une belle initiative, je lui souhaite d’accumuler les succès et de prouver par sa réussite que mes préventions n’avaient pas lieu d’être.
D’où viennent mes réserves ? C’est que je ne crois pas du tout au retour du train dans nos provinces. Il y a un marché pour la grande vitesse là où les flux potentiels de déplacements sont suffisants. À l’extrême opposé il y a des niches pour des trains touristiques. Et il y aura toujours de la demande pour certaines liaisons régionales et pour le périurbain. Mais l’idée de relancer le rail pour revivifier les zones en déshérence tient plus de l’idéologie que de l’analyse économique. Il ne faut pas céder à une nostalgie « rousseauiste » d’un passé mythifié qui n’a jamais existé. Les qualités que l’on prête généralement au train ne résistent pas à l’examen. Non, le train n’est pas économe en énergie ni en espace. Allez visiter une gare de triage pour vous en rendre compte ! Surtout, son inertie et son manque de souplesse le rendent impropre aux services que l’on attend d’un mode de transport, qu’il s’agisse de voyageurs ou de fret.
Pour beaucoup d’observateurs, d’ailleurs souvent peu utilisateurs, le train c’est collectif, donc c’est bien. Et la route, c’est individuel, donc c’est mal. Or lorsque vous interrogez les chargeurs, aucun n’est a priori contre le train ; au contraire, ils aimeraient bien y recourir, si toutefois celui-ci répondait à leurs besoins. Il ne faut pas chercher plus loin ! Tout le monde est prêt à aimer le train, mais on ne peut lui demander plus que ce qu’il peut offrir – c’est à dire pas grand-chose, quand on le compare à la route. Autrement dit, l’avenir n’est pas dans un absurde conflit entre modes, mais dans une socialisation intelligente de la route, à laquelle le train peut, parfois et sous certaines conditions, apporter sa contribution.
Railcoop le comprendra tôt ou tard. Entre Lyon et Bordeaux, un TGV ne sera jamais rempli, à supposer que la construction de la ligne tombe du ciel. Et un omnibus ne sera jamais rempli non plus. Pour irriguer convenablement les zones traversées, il faudra combiner rail et route. Ceci étant, l’adhésion de tant de personnes et d’intérêts disparates autour d’un projet symbolique de remise en service du rail sur cet axe transversal sujet au risque de désertification a quelque chose d’admirable, en tous cas de réconfortant.
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* Spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, le statisticien Philippe Kaminski a notamment présidé l’ADDES et assume aujourd’hui la fonction de représentant en Europe du Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire de Côte-d’Ivoire (RIESS). Il tient depuis septembre 2018 une chronique libre et hebdomadaire dans Profession Spectacle, sur les sujets d’actualité de son choix, afin d’ouvrir les lecteurs à une compréhension plus vaste des implications de l’ESS dans la vie quotidienne.