Brésil – la culture dans la tourmente : aller-retour d’un gouvernement désavoué
Le Brésil n’est définitivement pas sorti de la crise politique majeure qu’il vit depuis début 2015. Après le scandale de l’enquête Petrobras et la destitution de la présidente Dilma Rousseff par le Parlement brésilien, suite aux accusations de « pédalage fiscal » pratiqué en pleine crise économique, le nouveau gouvernement intérimaire est à son tour plongé dans la tourmente.
Le gouvernement de Michel Temer, président intérimaire, est d’ores et déjà contesté de toutes parts. D’abord pour sa composition : exclusivement des hommes blancs (une première depuis 1979), dont le tiers serait impliqué pour des faits de corruption dans le cadre du scandale Petrobras… Ensuite pour sa politique : une fusée ultra-libérale et autoritaire.
Un putsch institutionnel et des suppressions culturelles
M. Temer entend bien le faire savoir : après avoir supprimé le ministère du développement agraire, il a décidé d’éradiquer – décision hautement symbolique – celui-ci de la culture. Et avec lui, le ministère des femmes, de l’égalité raciale et des droits humains. En un tour de baguette politique, tout a été fondu dans le ministère de l’éducation et de la justice respectivement !
Un coup de massue à destination des milieux culturels et sociaux qui s’étaient érigés en premiers contestataires de la destitution de la présidente, souvent qualifiée de « putsch institutionnel ». Mais que fait donc le Contrôle Général de l’Union, organe chargé de la lutte contre la corruption ? Ah oui ! Il a été supprimé lui aussi.
Dans un pays où les milieux culturels sont très engagés et investis dans les questions politiques, de tels coups de sabres en leur direction ne pouvaient pas être ignorés. Malgré un certain endormissement des artistes de gauche après l’accès de Lula au pouvoir, il faut croire que la suppression du ministère de la culture était la goutte d’eau susceptible de faire déborder le vase.
Le recul du gouvernement face à une réaction unanime
L’association Procure Saber (« Cherche à savoir »), dont les figures emblématiques sont Chico Buarque, Caetano Veloso et Gilberto Gil (qui fut lui-même nommé ministre de la culture sous Lula en 2003), a par exemple fait diffuser une lettre ouverte au gouvernement dans laquelle ils estiment que cette décision représente un « immense pas en arrière ». On citera aussi le réalisateur Kleber Mendonça Filho, présent au festival de Cannes pour son film Aquarius, pour qui le Brésil souffre d’un « processus anti-démocratique », ou encore l’acteur Wagner Moura, figure de la contestation :
« La suppression du ministère de la culture est seulement la première démonstration de l’obscurantisme et l’ignorance donnée par ce gouvernement illégitime. Le pire est encore à venir. » (Opovo)
« C’est un mouvement malhonnête pour convaincre le public de la futilité de la culture. » (Le Monde)
Une bronca telle que Michel Temer a été forcé, le dimanche 22 mai dernier, de revenir sur cette décision, espérant « apaiser les esprits ». Le ministère de la culture a aussitôt été rétabli, avec à sa tête le désormais ex-secrétaire d’État à la culture, Marcelo Calero. Un aller-retour durant lequel le gouvernement intérimaire n’a finalement fait que se mettre à dos la quasi totalité des artistes et des professionnels de la culture. La stratégie consistant à dénoncer des artistes vivant « aux crochets de l’État » n’aura donc pas payé… pour l’instant.
Depuis… la lutte s’accentue !
Depuis, les militants qui s’opposent frontalement au gouvernement ont lancé plusieurs actions, notamment en occupant les « fundarte », les fondations d’art, institutions locales représentatives du ministère de la culture…
Depuis également, trois ministres ont déjà été forcés de démissionner, suite à des révélations concernant leurs tentatives de faire obstruction à l’enquête encore en cours sur le scandale Petrobras : le ministre de la planification puis… le ministre de la transparence, chargé de la lutte contre la corruption !
Nul doute que l’actualité politique et culturelle du Brésil nous réserve encore quelques remous.
Maël LUCAS