Associations culturelles : un phénomène qui explose
Le nombre d’associations artistiques et culturelles est en pleine expansion. La publication d’une étude du DEPS résonne comme un nouvel appel aux pouvoirs publics de prendre au sérieux le phénomène. L’heure est à la visibilité… pour peu que les associations culturelles s’en saisissent.
« On ne dispose que de peu de chiffres sur les associations, et sur les associations culturelles en particulier, alors qu’elles sont le troisième acteur économique, après notamment les entreprises », commence Jean-Philippe Rathle, chargé d’études statistiques au Département des études de la prospective et des statistiques du ministère de la culture (DEPS). Le chercheur vient de publier une étude intitulée : Les associations culturelles : état des lieux et typologie.
Un contexte favorable à l’invisibilité
Dans notre monde façonné par la statistique, qui dit absence de données, dit manque de visibilité, donc de reconnaissance concrète et pratique. L’activité associative n’est pas toujours bien renseignée par le code APE, lequel ne correspond pas toujours à l’activité réelle de la structure ou à ses évolutions. Autre difficulté, la démographie fragile des associations : si leur naissance est toujours identifiable, leur mort voire les changements d’activité le sont beaucoup moins. « Quand une compagnie de théâtre décide par exemple de consacrer plus de temps à donner des cours, on ne peut pas le savoir », poursuit Jean-Philippe Rathle.
Il existe néanmoins une grande enquête réalisée par l’INSEE, qui date de… 2013. Elle recensait notamment 263 400 associations culturelles, dont 34 400 associations employeuses. Mais quand on sait que la durée de vie d’une partie des associations n’excède pas cinq à sept ans, on comprend aussitôt la relativité de telles statistiques pour aujourd’hui. Il existe d’autres études, comme celles menées par Viviane Tchernonog et le Centre d’économie de la Sorbonne-CNRS ou encore par l’association Opale (qui sollicite en ce moment même toutes les associations culturelles employeuses), mais qui reposent sur des critères différents et suscitent par conséquent d’autres questionnements.
C’est donc sur l’enquête de 2013 que se fonde la récente étude de Jean-Philippe Rathle, en attendant celle que doit faire paraître l’INSEE très prochainement – du moins, l’espérons-nous, car les dernières recherches de Viviane Tchernonog parlent de près de 270 000 associations culturelles en 2011-2012 et de 350 000 en 2017 (contre 263 400, rappelons-le, en 2013). Si des critères sur le périmètre culturel peuvent éventuellement différer, il reste que la différence est trop importante pour être négligée. Ces calculs comptables seraient anecdotiques si cela ne desservait pas concrètement les associations elles-mêmes, notamment leur prise en charge par les pouvoirs publics.
Une majorité d’associations liées au spectacle vivant
Trois thématiques majeures ont été privilégiées par Jean-Philippe Rathle : les ressources humaines et financières, les domaines d’activité et le rayon d’intervention.
En 2013, une association sur cinq était active dans le domaine culturel, dont près de 100 000 – soit 37 % de l’activité culturelle – dans la seule sphère du spectacle vivant. Jean-Philippe Rathle définit quatre grands champs artistiques : outre le spectacle vivant, les arts visuels et l’écriture (65 000 associations), l’animation socioculturelle et l’éducation artistique et culturelle (65 000 associations), et le patrimoine (35 000 associations).
« Majoritairement, on trouve les associations dans le spectacle vivant, en particulier pour les associations qui emploient des salariés au cours de l’année, confirme le chargé d’études statistiques au DEPS. Près de la moitié des associations employeuses sont dans le spectacle vivant. » Parmi les 263 400 associations culturelles recensées, 43 300 sont employeuses, ce qui représente 27 % des associations employeuses tous secteurs confondus. La proportion est énorme : à titre de comparaison, dans le monde entrepreneurial, la culture ne pèse que 9 % des entreprises employeuses.
Toutefois, si le nombre d’associations culturelles employeuses est conséquent, le nombre de salariés (équivalent temps plein) l’est moins : 76 800, soit 6 à 7 % des personnes œuvrant dans le monde associatif, les arts visuels et l’écriture embauchant par exemple peu.
Pourquoi ? Parce que le monde associatif dépend beaucoup des subventions publiques : ceux qui en reçoivent le plus sont celles qui, précisément, emploient. Jean-Philippe Rathle avance notamment une hypothèse : « Une fois qu’il y a un salarié chargé des démarches administratives, il est possible que cela aide pour obtenir des subventions. » La logique inverse est dans le même temps possible : dès lors qu’une association reçoit un financement, elle peut embaucher. L’association Opale, que nous avons interrogée sur le sujet, rappelle quant à elle que c’est parce qu’elles remplissent des activités d’intérêt général (création, action culturelle, éducation, etc.) que des associations reçoivent des subventions. « Ce n’est pas une histoire de salariés qui rempliraient mieux de dossiers, insiste-t-elle, c’est en fonction de son activité qu’une association est soutenue. »
Particularités des associations employeuses dans le spectacle vivant
Il y a cependant des nuances fortes au sein même des différents domaines culturels. Une des particularités des associations employeuses liées au spectacle vivant, précise par exemple le rapport, est que « par rapport aux autres associations culturelles, [elles] se démarquent par leur mode de financement, qui dépend plus souvent des recettes d’activité (en grande partie les recettes de billetterie) que des subventions : 11 % des associations de ce groupe sont majoritairement financées par les subventions publiques, contre 21 % des associations employeuses » (p. 9).
Le secteur associatif du spectacle vivant pourrait être comparé à une juxtaposition de monades, trop souvent indépendantes les unes des autres. En comparaison avec les autres secteurs culturels, le spectacle vivant compte beaucoup de petites associations de moins de dix adhérents ; elles ont par ailleurs une durée de vie plus courte (24 % ont moins de cinq ans, contre 17 % en moyenne) et s’inscrivent peu dans les réseaux, contrairement à tout ce qui relève du patrimoine, de l’animation ou de l’éducation artistique et culturelle.
Autre caractéristique : les salariés, moins nombreux que dans les autres secteurs culturels, sont la plupart du temps des artistes (64 %) ou des ouvriers et techniciens du spectacle, ce qui expliquerait selon le rapport que la majorité soit des hommes (62 % contre 56 % en moyenne).
Construire l’avenir…
Cette étude du DEPS présente deux intérêts. Le premier est d’avoir plus que jamais conscience de la situation dans laquelle se trouvait le monde associatif culturel cette dernière décennie. À la veille de la probable publication d’un nouveau rapport par l’INSEE, la compréhension de cet état des lieux est essentielle pour espérer une évolution dans l’attitude des pouvoirs publics, d’autant que différentes mesures – comme la suppression des contrats aidés – ne sont possiblement pas sans affecter la réalité actuelle.
Tel est bien le second intérêt de cette étude : donner du grain à moudre aux associations, pour qu’elles interpellent massivement les décideurs politiques. Si l’augmentation du nombre d’associations culturelles est confirmée, les pouvoirs publics ne pourront pas ne pas en tenir compte, sous peine de favoriser l’anarchie ou une forme d’ultralibéralisme.
« Ce que montre l’étude de Jean-Philippe, c’est l’importance, le poids de ce champ, un champ qui mériterait d’être plus investi et mieux compris, insiste Loup Wolff, responsable en chef du DEPS. On pourrait rêver d’un répertoire des associations mieux tenu. Ce sont des instruments qui nous manquent pour constituer une information de meilleure qualité. »
C’est pourquoi l’heure est à l’engagement, à la visibilité. Une étude d’Opale – menée en partenariat avec le DEPS – est en cours, à laquelle toutes les associations culturelles employeuses sont invitées à participer jusqu’au 30 septembre.
Associations culturelles employeuses, faites-vous entendre !
C’est urgent.
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Téléchargez l’étude et la synthèse du DEPS : Les associations culturelles : état des lieux et typologie.
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Cordialement,
Fatima BEN SALEM