Arts du spectacle, recyclez !

Arts du spectacle, recyclez !
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Économie circulaire ? Le spectacle, lui aussi, doit faire sa part… Un mantra, porté par des structures citoyennes, issues du théâtre et du cinéma.

Du rouleau de feutrine à la gondole vénitienne, du cimetière en polystyrène à l’éléphant en résine, rien ne se perd, rien ne se crée et tout se transforme, selon la formule apocryphe de Lavoisier. Le père de la chimie moderne serait bien aise de voir la petite révolution en cours dans les coulisses de l’art vivant, lui qui signa avant la Révolution un traité sur l’éclairage des salles de spectacle.

« Rien ne se crée, ni dans les opérations de l’art, ni dans celles de la nature, et l’on peut poser en principe que, dans toute opération, il y a une égale quantité de matière, avant et après l’opération, que la qualité et la quantité des principes est la même, et qu’il n’y a que des changements, des modifications », écrivait-il.

Donner une seconde vie aux décors, aux costumes et aux accessoires de théâtre ? S’intéresser à l’envers du décor, à sa matière première, aux matériaux, le bois, les métaux, les tissus, utilisés pour une centaine de représentations seulement, puis stockés pendant des années avant d’être découpés et finalement mis en bennes, enfouis ou déversés dans les incinérateurs ? L’initiative n’est pas venue des décorateurs mais des metteurs en scène.

Moins cher que le stockage et la benne

L’un d’eux, Yann Domenge Lab, a créé en avril 2009 la première et principale plate-forme de recyclage du spectacle, en France et en Europe. « Au début, on nous a pris pour des hippies, parfois pour des escrocs ! On voulait donc récupérer gratuitement, et en plus pour revendre ? Seuls quelques directeurs techniques, comme Philippe Lagrue du théâtre du Vieux-Colombier, ont compris qu’il y avait un enjeu, qu’ils allaient économiser du stockage, ‘‘décarbonner’’, et que l’initiative était avant tout, citoyenne. »

Treize ans plus tard, quinze théâtres, privés comme publics, fournissent Artstock et son entrepôt de stockage et de recyclage, implanté sur 3 000 m2 à Blajan, un village d’Occitanie, dans une ancienne briqueterie. Parmi ces fournisseurs de décors qui optent pour le recyclage plutôt que le stockage et la benne, on trouve le théâtre des Amandiers à Nanterre, le théâtre des Champs-Élysées, le théâtre de la Colline, le théâtre du Châtelet et, plus récemment, l’Opéra de Lyon et la compagnie Le Pilier des Anges, du marionnettiste Grégoire Calliès, dont les ateliers sont situés en Isère.

Concrètement, comment ça se passe ? « Les théâtres nous appellent et nous payent pour qu’on mette un camion, au cul du théâtre, afin de transporter le matériel jusqu’à Blajan. » Arrivé à bon port, le chargement est trié par typologie de matériaux ; certains décors sont démantelés, d’autres sont réparés, d’autres transformés, pour être enfin tous stockés par catégories. Grâce aux dix salariés – logisticien, manutentionnaire, menuisier, électricien, couturière et costumier –, commence alors la seconde vie des décors, accessoires, son, lumière et vêtements de scène.

« C’est souvent du très beau matériel. » Étonnamment, c’est le grand public qui en profite le plus ! Soixante pour cent des matériaux stockés sont achetés par les particuliers venus fouiner dans l’entrepôt, à la recherche d’une bonne affaire, tandis que quarante pour cent repartent dans le circuit culturel, celui des associations, des écoles et des collectivités locales. Pour finir, sur trois cent cinquante tonnes de matériaux récupérés chaque année, quatre-vingt-dix-huit pour cent repartent dans le circuit. Tout est fait pour que les matériaux ne deviennent jamais des déchets : une boucle vertueuse, dans la logique de l’économie circulaire.

Le réseau ‘‘Up Cycling’’ du théâtre

L’enjeu environnemental est de taille… Les quasi six mille cinq cents tonnes de matériaux récupérés par Artstock auprès des théâtres et réinjectés dans le circuit depuis dix ans – l’équivalent d’un convoi de deux mille camions – représentent une énorme économie d’émissions de CO2. « Le stockage, la benne et l’incinération produisent, selon les matériaux, cent à mille fois plus de carbone que le transport et le recyclage. » Sachant qu’Artstock ne gère que dix à quinze pour cent de la recyclerie du spectacle vivant, on imagine le gain pour la France et pour le climat.

Mais sur le plan économique, quel intérêt pour les théâtres ? « Ils évitent un coût de stockage très élevé, en particulier à Paris où se trouvent 80 % des salles de spectacle. Si on ajoute le salaire des techniciens pour réduire les décors en miettes ainsi que le coût des bennes, la filière classique est cinq à six fois plus élevée que la filière du réemploi : pour 80m3, 5 à 6 000 €, au lieu de 1 000 €. »

Autant d’argent économisé qui pourrait être affecté à l’artistique ! Les petites compagnies, elles aussi, s’y retrouvent. « On récupère leurs décors au passage, en mutualisant les camions. Ou alors, on leur donne du matériel ; on pratique la location et de tous petits prix. » Récemment, ce fut le cas avec le cirque Bouglione qui cherchait des vêtements de parade.

Sur ce modèle, une dizaine de structures émergentes et subventionnées se sont créées en France. « On ne pouvait pas faire face, seuls, à un tel océan de déchets », se réjouit Yann Domenge Lab. Avec Damien Forget, de La Ressourcerie Culturelle, 1 000 m2 dans un tiers-lieu près de Nantes et dix salariés aussi, ils ont mis en place le réseau Ressac. On y trouve sept « start up » du ré-emploi des décors, costumes, sons et lumières dont La Caverne à Rennes et La Réserve des Arts à Marseille, avec, en parallèle de cette nébuleuse, une version en ligne, Récup’ Scène, le bon coin des décors et arts du spectacle.

« Start up de l’up cycling » culturel, elles sont la version 2.0 de la récup’ des années 1980, en plus professionnelles ! Le monde du spectacle passerait-il enfin de la conscience aux actes ?

Kakie ROUBAUD

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Artstock 2. recyclerie

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Crédits photographiques : Association Artstock



 

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