Artistes, l’urgence est là : revenez enchanter nos rues !
Si la professionnalisation des arts vivants, milieu fragilisé par une économie précaire, tributaire d’une vision politique – et donc de subventions – considérant les arts comme un lieu de croissance pour l’être humain, est évidemment une belle nouvelle, un écueil est néanmoins à éviter : le cloisonnement désenchanteur.
« Humeurs actuelles »
Le festival d’Avignon se profile à l’horizon estival, avec son lot d’animations qui envahissent les rues et les places jusqu’à l’exubérance. Je confesse avoir une tendresse toute particulière pour les présentations travaillées des pièces.
Reconnaissons-le d’emblée : les comédiens se contentent évidemment, la plupart du temps, de poser un tract accompagné d’une formule standard, quand ils ne font pas appel à des sociétés de tractage pour plus d’efficacité, transformant ainsi la potentielle créativité artistique en machine de rentabilité économique – dérive d’un système qui impose notamment aux artistes une coréalisation qui n’est souvent qu’une location de salle déguisée, avec des coûts invraisemblables à supporter.
En marge de ce système tantôt impersonnel, tantôt honteux, il y a les artistes à temps plein, ceux qui ne se contentent pas de régaler un public déjà présent dans leur espace clos, mais qui laissent encore entrevoir un peu de leur talent, non sans une générosité imprégnée de gratuité, afin que le public goûte un enchantement ordinaire, dans les lieux du quotidien : une rue, une place, un jardin, un bar…
Je me suis déjà laissé toucher par une présentation amusante d’un Molière ou par la chorégraphie étonnante d’une pièce sur des évadés enchaînés, au point de me rendre aux spectacles lors des créneaux laissés libres. Il serait mensonger de dire que tous ces spectacles étaient des chefs-d’œuvre ; il reste que l’enchantement momentané qu’ils ont permis, en marge de leur création, méritait largement que je leur donne de mon temps en retour.
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Et je me prends à rêver à l’extension du domaine de cet enchantement. Jouer des extraits dans les rues et sur les places d’Avignon, un mois de juillet, est bien facile, le public étant sinon acquis, du moins conscient de ces élans artistiques chamarrés. Mais qu’en est-il des promenades à Bordeaux, des rues étroites du petit Chicago à Toulon ou encore des nombreuses stations du métro parisien ? Pourquoi les artistes ne viennent-ils pas nous enchanter, susciter notre désir, nous donner un avant-goût de ce dont ils sont capables, de leur spectacle à l’affiche ?
Je rêve que les artistes* viennent déclamer un extrait de leur seul-en-scène sur les terrasses gorgées de soleil et de promeneurs ; j’aspire à des mises en scène miniatures sur toutes les places, au moindre coin de rue, émanant de compagnies qui rêveraient de conquérir – encore et toujours – par leur art, leur enthousiasme et leur philanthropie, de nouveaux spectateurs.
En somme, revenir à l’esprit de la décentralisation théâtrale, qui manquait peut-être de subventions suffisantes, mais certainement pas d’esprit d’aventure. Il faut écouter le témoignage de Françoise Bertin, dans le très beau documentaire réalisé par Daniel Cling à l’occasion des 70 ans de la décentralisation théâtrale, qui raconte les tournées de bar de Jean Dasté avant la création de la Comédie de Saint-Étienne ; il faut écouter le récit d’Isabelle Sadoyan, lorsque Roger Planchon a ouvert son théâtre à Villeurbanne…
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Les arts, parce qu’ils sont un lieu d’humanité, parce qu’ils sont l’endroit destiné à interroger la culture, parce qu’ils ouvrent un espace d’émerveillement et de compréhension dans nos cœurs trop vite installés, ne peuvent être cloisonnés entre quelques murs, fussent-ils de verdure.
Il faut encore qu’ils investissent et enchantent nos quartiers, nos réalités quotidiennes, nos habitudes, nos certitudes. Les subventions offrent un certain confort, qu’il serait stupide de remettre en cause ; elles ne remplaceront jamais la mission même des artistes de créer du lien, de faire relation, de bâtir communauté, entre les vivants, entre le visible et l’invisible, entre le cœur et la raison, entre la liberté et l’égalité, entre la parole et l’action, entre l’amour et la vérité…
Artistes, l’urgence est là, partout, à Avignon et en France entière : revenez enchanter nos rues, comme l’ont fait vos illustres prédécesseurs ! Soyez des artistes à temps plein.
Maussano CABRODOR
* Précisons ici que je ne m’adresse évidemment pas aux artistes de rue, mais à tous ceux qui jouent dans des lieux clos, quand ils peinent parfois à trouver un public suffisant.
Cet article est peut-être un brin utopique, mais certainement pas à côté de la réalité ! Je trouve même l’idée excellente et compte bien la mettre en pratique, avec ou subvention (en l’occurrence, notre compagnie n’en touche pas encore !). L’article ne dit pas de jouer au chapeau, mais de venir présenter un extrait de sa pièce, pour en donner le goût, à de nouveaux publics. Beaucoup de professions vont chercher leurs clients… pourquoi nous, artistes, nous ne nous donnerions pas un peu plus de mal aussi ? Surtout si, comme en rêve l’auteur, cela contribue au réenchantement du monde ! Pour une fois qu’on nous propose une piste qui sorte de la grisaille des batailles pour subventions (qu’il faut bien mener par ailleurs, c’est sûr), je suis enchantée.
C’est un joli article. Un peu utopique non ? Ou à côté de la réalité en tout cas. La plupart des artistes n’ont aucune subvention et l’énergie qu’ils dépensent sur une co-production, ben c’est pour manger : une date vaut pour un cachet. Jouer au chapeau dans la rue , c’est dépenser encore plus d’énergie, passer encore un peu moins de temps avec ces enfants pour finalement pas être payé à la fin. Super…… Le pire c’est qu’ils le font quand même….parce c’est des artistes….