Artenréel : l’expérimentation qui bouscule les arts et le spectacle vivant
Entrepreneur, salarié et associé : trois fonctions se réunissent au sein de la coopérative d’activité et d’emploi* (CAE) Artenréel. Créée en 2004 à Strasbourg, sous forme de SCOP**, cette coopérative culturelle a pour but de répondre aux besoins de nombreux artistes et de les aider dans la gestion de leurs entreprises. Elle est ainsi pionnière en France dans le domaine artistique et culturel. Depuis, un nouveau concept est né au sein d’une autre structure, Artenréel#1, un bureau de production et d’accompagnement coopératif pour le spectacle vivant.
L’avantage d’une CAE* est de permettre à un porteur de projet de tester son activité en toute sécurité, un format original privilégié par Artenréel pour répondre à la précarité de bien des secteurs artistiques et culturels. Ainsi les entrepreneurs qui rejoignent la coopérative se retrouvent-ils salariés, tout en gardant leur statut de porteurs de projet et en ayant la possibilité de partir quand ils le souhaitent.
Fort de ce succès, ce modèle a fait naître un concept d’expérimentation, dans le même esprit coopératif, pour la production dans le spectacle vivant. Il s’agit d’Artenréel#1.
Une coopérative au service d’artistes plus performants
L’enjeu d’Artenréel est double : assurer la pérennité et la diversité des initiatives culturelles tout en les aidant à professionnaliser leur structure. À travers un accompagnement dédié à la gestion de leur économie et une mutualisation des moyens administratifs, de nombreux artistes ont pu renforcer leur projet, se concentrer sur l’aspect artistique et voler ensuite de leurs propres ailes.
La coopérative revendique clairement son attachement à l’ESS, dont les valeurs de solidarité, d’égalité et de mutualisation fondent ses actions. Dans cette optique, Artenréel a adhéré au moment de sa création au réseau national Coopérer pour Entreprendre, qui lui garantit le label ESS.
Joël Beyler, directeur adjoint d’Artenréel, explique qu’il s’agit « vraiment de l’accompagnement d’entrepreneurs dans l’optique d’une recherche d’autonomie. Au moment où ils partent, ils doivent être capables de gérer leur entreprise eux-mêmes ».
Concrètement, l’adhésion des entrepreneurs culturels est libre et s’articule dans une gouvernance démocratique exercée par tous les membres. Une participation financière leur est demandée, afin de financer les services de gestion et d’administration. Des formations sont assurées pour les accompagner dans leur développement ; quand leur activité génère des revenus, la coopérative signe avec eux un CDI, à temps complet ou partiel, qui leur donne le statut sécurisé de salarié.
De nombreux artistes, se sentant trop à l’étroit dans la coopérative, ont donné une impulsion pour aller vers un nouveau modèle afin, sinon de concrétiser davantage les projets artistiques, du moins de réunir les moyens pour leur donner vie.
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Pour aller plus loin, Artenréel#1 se lance dans la production
Le projet, en gestation depuis 2010, a été créé en 2013. Bien distinct de sa structure-mère, Artenréel#1 a sa mission propre et son autonomie : l’accompagnement et la production dans le spectacle vivant.
D’autres structures sont en réflexion pour sauver les acteurs artistiques et culturels de la faillite et de la concurrence. Car l’esprit de mutualisation que prône l’équipe est une alternative, voire une bravade à la concurrence même. « Nous sommes sur un format assez original d’organisation, sur un endroit d’expérimentation où l’on réinterroge les modèles du XXIe siècle et où on lutte contre l’atomisation des petites structures, reconnaît Joël Beyler. Je pense que nous sommes assez généreux envers les artistes. Quand on voit l’état de la diffusion, qui est de plus en plus difficile alors qu’il y a de plus en plus d’offres de spectacles, il faut trouver des solutions ».
« Ce n’est peut-être pas la réponse, mais c’est une réponse, poursuit-il. Nous ferons peut-être évoluer le projet ». En revanche, cela ne s’apparente nullement à la prestation de service, bien au contraire, puisque les adhérents sont également associés ; l’enjeu est bien « d’être en coopération et en entreprise partagée ».
Le bureau d’accompagnement est pluridisciplinaire, pour favoriser les croisements ; la structure et le personnel sont mutualisés. Une quarantaine de projets, de dimensions différentes, est actuellement en exploitation, avec « six nouvelles créations en 2018 ».
Quand un projet fonctionne bien, les bénéfices sont réinvestis dans le projet suivant. « Chaque projet ayant sa propre économie, il n’y a pas de répartition entre les projets s’il y a des bénéfices propres, précise Joël Beyler. En revanche, dans le cadre général de la coopérative qui est d’intérêt général, les bénéfices sont communs. Ainsi les projets qui tournent bien contribuent-ils à financer le fonctionnement des autres projets qui rapportent moins. C’est un principe mutualiste : chacun a droit au même service quelle que soit sa réussite. »
Expérimenter pour mieux coopérer et créer
Créé sous le statut peu connu de la coopérative de loi 1947, propice aux projets de transition, Artenréel#1 devrait « passer en SCIC*** dans deux ans ». À l’initiative de cette nouvelle structure, Joël Beyler « vient de valider le processus, car il faut trois catégories d’associés et nous sommes deux associés pour l’instant ». Cela annonce sans aucun doute une coopération plus serrée entre les artistes et Artenréel#1, déjà bien effective.
L’équipe d’Artenréel pourrait se définir comme une équipe d’expérimentation, car le mot d’« innovation » ne leur plaît pas. Quoi qu’il en soit, leur bon sens a permis de voir émerger des structures basées sur le modèle de cette CAE* dans le milieu culturel, à Paris, en Bretagne, à Clermont-Ferrand ou encore ailleurs. Artenréel#1 pourrait ainsi connaître la même destinée en France…
Louise ALMÉRAS
Petit lexique des différentes formes juridiques :
* Les coopératives d’activités et d’emploi (CAE) constituent un concept original permettant à un porteur de projet de tester son activité en toute sécurité. L’originalité de la CAE est de lui offrir un statut « d’entrepreneur salarié » qui lui permet de percevoir un salaire et de bénéficier de la couverture sociale d’un salarié classique (en savoir plus).
** Une Scop est une société coopérative de type SARL, SAS ou SA, dont les associés majoritaires sont les salariés. Réunis autour d’un même projet économique et des mêmes valeurs, ils s’impliquent totalement dans l’entreprise. Les Scop peuvent être créées dans tous les secteurs d’activités. La Scop se constitue un patrimoine propre (réserves financières impartageables). Le non-partage de ces réserves (c’est-à-dire l’impossibilité de les incorporer dans le capital social ou de les distribuer) favorise sa pérennité (en savoir plus).
*** La société coopérative d’intérêt collectif (Scic) est une société coopérative constituée sous forme de SARL, SAS ou SA à capital variable régie par le code de commerce. Elle a pour objet la production ou la fourniture de biens ou de services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale. La Scic peut concerner tous les secteurs d’activités, dès lors que l’intérêt collectif se justifie par un projet de territoire ou de filière d’activité impliquant un sociétariat hétérogène ou multisociétariat, le respect des règles coopératives (1 personne = 1 voix), et la gestion désintéressée par un réinvestissement dans l’activité des excédents (en savoir plus)
Photographie de Une – Lubenica @ Samten Norbù