Arnaud Desplechin : « Une femme peut avoir deux visages »
Entourée de sa troupe de comédiens incluant Marion Cotillard, Charlotte Gainsbourg, Alba Rohrwacher, Mathieu Amalric, Louis Garrel et Hippolyte Girardot, le réalisateur français Arnaud Desplechin a décrypté pour la presse internationale son virtuose Les Fantômes d’Ismaël qui a ouvert hors compétition le 70e festival de Cannes.
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Les Fantômes d’Ismaël compte un trio de stars dans les rôles principaux. À quel point était-ce prémédité ?
Je n’ai jamais pensé faire un film à vedettes. Quand j’écrivais le scénario, je ne savais pas qui seraient cet homme et ces deux femmes. Mais au fur et à mesure que je creusais le personnage masculin, il ressemblait de plus en plus à l’Ismaël de Rois et Reine, alors j’ai sollicité Mathieu Amalric en espérant que nous saurions nous réinventer. Pour Marion Cotillard, j’avais le souvenir frappant de La Môme avec ce trait d’artiste fascinante qui est la capacité de s’inventer soi-même, un peu comme le personnage de Carlotta dans Les Fantômes d’Ismaël. J’aime aussi Marion dans Inception ou chez les Dardenne par exemple. Elle a cette capacité à créer du mythe et en même temps à s’en débarrasser quand cela l’encombre. Quant à Charlotte Gainsbourg, comme son personnage de Silvia est du feu sous la cendre, il fallait du feu et je trouve que Charlotte est l’actrice qui accepte le mieux le scandale.
Vos films semblent jouer sur une sorte de continuité, par exemple ces personnages récurrents d’Ismaël et de Dédalus ?
Je réagis plutôt souvent au film précédent. Trois souvenirs de ma jeunesse était sur le premier amour, la première chance. Là, c’était un thème qui me plait beaucoup dans le cinéma américain, celui de la seconde chance : les personnages doivent se réinventer. Trois souvenirs de ma jeunesse était très mélancolique, alors cette fois, cela me plaisait de filmer des personnages plus mûrs qui embrassent la vie.
Quel est le sujet principal, le message du film ?
Tout le film est résumé dans l’avant avant-dernière réplique du personnage interprété par Charlotte : « la vie m’est arrivée ». La vie imparfaite, inattendue, parfois brutale comme le personnage de Marion, en désordre comme celui incarné par Mathieu, ou comme un jeune homme qui sort de sa coquille et s’épanouit en voyageant à travers le monde à l’image de celui joué par Louis Garrel. Mais je pense aussi à la dernière réplique du film : « encore, encore, encore ». Encore de la vie, encore du roman, encore du sexe, encore de l’amour, encore du désordre.
Et les fantômes du titre ?
Ce qui me stupéfie, c’est que le personnage de Carlotta est en vie. Ce sont les autres qui la voient comme un fantôme. C’est comme après un accident dont on a réchappé, il y a du rire et des larmes. Et si Carlotta est un peu comme un diablotine quand elle se retrouve avec Ismaël et Silvia, c’est ensuite une sainte quand elle revient vers son père : une femme peut avoir deux visages.
Et la danse de Marion Cotillard sur « It Ain’t Me Babe » de Bob Dylan ?
Les paroles de la chanson sont explicites : « tu dis que tu cherches quelqu’un qui ne sera jamais faible, mais toujours fort, pour te protéger et te défendre que tu aies tort ou raison, quelqu’un pour ouvrir chaque et toutes les portes, mais ce n’est pas moi ». C’est un défi entre les deux femmes et Carlotta, en dansant, envoie à Silvia ce message : ce n’est pas Ismaël qui te protègera de la vie, Ismaël est pour moi. Je voulais une danse sauvage et je n’étais pas sûr que cela allait « groover », mais Marion a fait le nécessaire, en inventant à 95 % sa chorégraphie.
Quel est votre sentiment de voir ce film projeté en ouverture du Festival de Cannes ?
C’est une grande émotion et un honneur. En général, j’appréhende toujours la réaction des critiques. Cette fois, j’espère évidemment que le film leur plaira, mais l’ouverture me semble une position moins périlleuse que la compétition qui peut voir parfois la presse, en particulier française, se diviser et devenir brutale.
Il y aurait deux versions du film, la seconde un peu plus longue que celle qui a été projetée aujourd’hui à Cannes ?
C’est vrai. C’est une idée qui remonte très amont quand mon producteur Pascal Caucheteux était venu nous voir au montage que je faisais avec Laurence Briaud et qu’il m’a dit : « tu es sûr qu’il n’y a pas deux films ? » Donc j’ai fait une version resserrée sur le triangle amoureux, plus sentimentale, avec des sentiments plus enflammés qui est celle qui a été projetée ici à Cannes, et une autre version plus mentale.
Propos recueillis par Fabien LEMERCIER
Source partenaire : Cineuropa
Photo de Une : Georges Biard