“Architecture” de Pascal Rambert : adolescence et idéologie
Architecture de Pascal Rambert est un texte bavard et idéologique, servi dans une langue lâche, où tout ce qui aurait pu être proprement dramatique est évacué. Après la critique de la création au festival d’Avignon, place à la critique du seul texte littéraire, indépendamment de toute mise en scène.
Quelques mots de présentation de Pascal Rambert m’avaient donné envie de lire Architecture, la pièce qu’il donne en ce moment à Avignon, dans la cour d’honneur du palais des Papes.
Il est censé être question d’une famille autrichienne cultivée, et de son devenir entre 1910 ou 1911 et l’Anschluss en 1938. Mais c’est faux tout de suite, il n’y a pas de famille autrichienne cultivée, les personnages portent tous les prénoms des comédiens du spectacle – mon dieu, comme on côtoie des stars –, des Jacques et des Marie-Sophie, des Anne et des Emmanuelle, des Laurent et des Arthur, et Stan, c’est dingue comme on se croirait à Vienne ! Au surplus, si tous ces gens parlent dans la sale langue relâchée des bourgeois culturels de notre époque, d’une platitude poétique presque abjecte (Pascal Rambert est d’avant-garde, pas de majuscule ni de ponctuation), ils ont au moins le bon goût de se poser les questions idéologiques d’adolescents prolongés qui vont avec, l’auteur ne se souciant pas du tout de savoir ce qu’on pouvait bien penser en Autriche en 1910 ou en 1930.
J’imagine que l’idée – si j’ose ce mot –, l’idée idéologique de Pascal Rambert est que notre époque étant comparable à celle qui va permettre l’arrivée au pouvoir d’un personnage pourtant jamais nommé dans la pièce, et que prudemment je nommerais H., autant fusionner d’emblée ces deux époques, sans s’emmerder avec cette vieille scie éculée de la métaphore – tu ne vois pas le boulot que ça serait, des recherches sur la Vienne d’avant-guerre, on ne pourrait plus se contenter de suivre simplement sa pente et de bavarder dans le néant convenu… On ne nomme pas H., donc, d’un côté, mais on a des personnages capables de faire allusion au fascisme, et qui parlent de lutter contre, dès 1910 ou 1911, ce qui tout de même est un peu tôt. Mais l’anachronisme, bichon, c’est l’avant-garde !
Il sera donc beaucoup question, dans cette famille contemporaine qui parle parfois de Vienne ou de Sarajevo, où les gens qui boivent sont alcoolisés, où l’on sait dès le début de la guerre qu’elle va être un long tunnel, d’abattre le patriarcat, abattre tous les pères, de lutter contre le fascisme même avant qu’il existe, donc, de progressisme, de transparence et de procès, d’Éducation nationale (carrément), de communisme sexuel, d’avortement et surtout de l’homosexualité, quasiment sanctifiée grâce au personnage éminemment progressiste et insolent de Stan, qui ferait presque à lui seul contrepoint à tous les autres, etc. L’autre idée de Pascal Rambert, pas moins idéologique au fond, que celle du paragraphe précédent, serait que si tous ces gens cultivés et intelligents (enfin, selon eux) échouent tout de même à faire un monde meilleur, c’est parce qu’ils ne sont pas fichus de s’entendre, pourris d’égo et de vanité qu’ils sont. Saloperie d’être humain. Houlala. Car le fait est qu’ils ne s’entendent pas, certes, mais sans aller bien loin non plus – on ne refait pas les Atrides, c’est très salon, très bourgeois, mais petit, avec des dialogues de couples qui s’entremêlent (et rendent complexe la lecture, mais fort heureusement : pour rien).
Et c’est la guerre, surtout, qui va tout éclater, en envoyant mourir les uns au front, en rendant fous d’autres, etc. Ce qui ne les empêche pas, ces Viennois de pacotille, de continuer de se causer, pourquoi se gêner ? Mais même ce passage des fantômes, si possiblement dramatique, est foiré : c’est la même vacuité qui se poursuit, personne, mort ou vivant, n’a toujours rien à dire.
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Mais à la fin des fins, magie de l’adolescence terminale, miracle de la didascalie : tous sortent leurs ordinateurs, c’est aujourd’hui, et voilà que chaque personnage raconte sa mort ou celle de sa voisine, et qu’arrive enfin ce Vivian qu’Audrey cherche depuis un petit moment ; et celui-ci, véritable neuneu ex machina, vient conclure la pièce (on ne l’a vraiment jamais vu avant), annonçant les temps sombres ou leur retour (non mais, cette originalité !) :
VIVIAN. – tout à l’heure je n’ai pas très bien compris vous avez dit qu’il fallait se préparer à des temps auxquels on n’avait pas pensé ?
Noir.
Comme ça, si le lecteur/spectateur est bouché à l’émeri, il comprendra quand même ; à ce niveau-là, c’est mâché.
Il n’y a au final rien à sauver dans cette pièce au bas mot indigente, précipité de bavardage et d’idéologie servi dans une langue lâche, où tout ce qui aurait pu être proprement dramatique est évacué dès qu’amorcé – quand c’est amorcé. Ou alors la première scène, si supérieure aux autres et dont on se dit pourtant, en commençant, qu’elle est faiblarde, où Jacques (le patriarche, l’architecte) s’en prend violemment, longuement (déjà) et violemment à son fils Stan parce que ce dernier, oh le sale petit rebelle, a troublé la cérémonie de remise de décoration de celui qui l’engueule. Et de quel discours l’a-t-il troublé ? « ah ah beuh bloug rreugrr pi pi ».
LISEZ PLUTÔT ROBERT MUSIL.
LISEZ SURTOUT KARL KRAUS.
Pascal Rambert, Architecture, Les Solitaires intempestifs, 2019, 128 p., 15 €
Crédits photographiques : Christophe Raynaud de Lage