Annie Genevard, députée LR : « La culture en milieu rural intéresse peu la gauche »
Députée LR dans la 5e circonscription du Doubs, Annie Genevard s’est imposée en juin dernier, lors des élections législatives, avec 59 % des voix. Briguant un second mandat, la députée a quitté ses fonctions de maire de Morteau, qu’elle assumait depuis 2002. Membre de l’Association des maires de France (AMF), elle est notamment rapporteur à la commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’assemblée parlementaire. Profession Spectacle l’a interrogée sur sa vision des politiques culturelles, locales et nationales.
Un budget culturel passant de 1 à… 10 % !
Annie Genevard est entrée en politique pour assurer une mission culturelle, sans être au préalable engagée dans un parti. « J’ai été recrutée sur la liste municipale comme adjointe à la culture de la commune de Morteau, où tout était à faire, notamment la rénovation d’un théâtre », confirme-t-elle. Ce n’est qu’après s’être investie dans la vie municipale qu’elle entre au RPR, dans le sillage du maire de l’époque, Jean-Marie Binetruy.
« En 1995, tout était à bâtir. Nous avons développé un programme d’éducation artistique jeune public, précurseur à l’époque, en trois axes : mise en place d’un partenariat avec les scolaires, municipalisation de la bibliothèque et création de la fête du livre jeunesse. »
Dans une commune comme celle de Morteau, qui compte environ 6 500 habitants, une telle action n’aurait pas été possible sans le soutien de son maire, permettant d’obtenir les crédits nécessaires : « Le budget de la culture est passé de 1 % à 10 %. Lorsque je suis moi-même devenue maire, les résultats de ce que l’on a construit ensemble étaient nets avec, aujourd’hui, lors de chaque ouverture de saison théâtrale, des salles remplies au 2/3. »
La réussite d’une politique culturelle dépend, selon elle, encore du recrutement. « Il n’y avait aucun emploi culturel au départ et j’ai eu la chance de pouvoir travailler avec une directrice très compétente. Les structures et – surtout – le personnel sont décisifs pour la bonne conduite d’une action. »
« Les petites communes sont le point aveugle de la politique culturelle »
Mère de famille et initialement professeur de lettres classiques, Annie Genevard poursuit sa carrière politique à la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’assemblée parlementaire. « Nous nous réunissons deux fois par semaine afin d’aborder le champ culturel et éducatif en fonction de l’actualité, explique la députée. Nous établissons le budget et abordons également les textes de lois, comme ce fut le cas pour la Loi création architecture patrimoine du 7 juillet 2016. »
Quelle fut l’action de cette commission depuis les dernières élections législatives ? « Jusqu’à maintenant, nous avons auditionné les ministres en début de mandature, dont Françoise Nyssen à la culture et Jean-Michel Blanquer à l’éducation nationale, ainsi que les grands patrons de l’audiovisuel, comme Mathieu Gallet, président de Radio France. Nous nous apprêtons à travailler sur les textes budgétaires. » Lors de ces auditions, ministres et patrons de l’audiovisuel présentent leur bilan des contrats d’objectifs et de moyens, avant que les députés ne leur posent des questions sur leur vision du mandat confié.
Pour Annie Genevard, il y a trop souvent un écart entre les déclarations et les actions. « Cela fait des années que j’insiste sur la prise en compte des territoires, mais on ne s’intéresse qu’aux communes de plus de 10 000 habitants. Cette indifférence reste le point aveugle de la politique culturelle. Françoise Nyssen dit les prendre en compte ; j’attends d’en voir la démonstration, car en matière d’éducation artistique, ce n’est pas encore concluant. Je suis toutefois satisfaite qu’elle soit très attentive aux livres. »
Entre économie et politique culturelle
Lorsque nous évoquons le désengagement politique de l’État, Annie Genevard dit ne pas s’en inquiéter, refusant de considérer l’économie culturelle et la noblesse de la culture comme antinomiques : « C’est une logique qu’il faut prendre en compte, pour le rayonnement d’un pays ; en revanche, cela doit rester équilibré, l’un ne doit pas prendre le pas sur l’autre ». L’État a maintenu par exemple son engagement pour la défense de droits d’auteurs avec la loi Hadopi : « Si les socialistes n’y ont pas touché, c’est donc que ce n’était pas si mauvais ! » Un argument étonnant pour qui connaît, comme nous l’avons montré à plusieurs reprises dans Profession Spectacle, les nombreuses difficultés que provoque cette loi.
Son expérience lui permet de départager les prises de position entre droite et gauche. « La politique n’est pas toujours une source de consensus. Il y a certes des points de convergence, comme l’éducation culturelle, même si celle-ci est menée différemment. Mais il y a évidemment des points de convergences, en particulier sur la place accordée au patrimoine. La gauche met au-dessus de tout le spectacle vivant et les institutions labellisées, quand la droite est plus équilibrée dans ses choix, valorisant la culture rurale et le patrimoine. »
Si la distinction entre création artistique et patrimoine est effectivement une frontière naturelle entre la gauche et la droite, la dissociation entre spectacle vivant et « culture rurale » n’est pas sans surprendre, en cette année du 70e anniversaire de cette grande aventure que fut la décentralisation théâtrale. Et même si Françoise Nyssen a récemment fait part de sa volonté de « rendre le soutien de l’État plus équilibre, et plus juste », Annie Genevard insiste néanmoins : « La culture en milieu rural intéresse peu la gauche ; j’ai d’ailleurs fait un rapport sur cette polarisation du budget. Nous attendons de voir si le budget sera maintenu*, car c’est le premier job de la ministre ; celui-ci est en effet constamment menacé de rabotage, comme ce fut le cas sous monsieur Hollande. »
Morgane MACÉ
Correspondante Bourgogne-Franche-Comté
* L’interview a été réalisée avant l’annonce du budget.
Photographie de Une – Annie Genevard (crédits : G. Garitan / Wikipédia)