Album – La musique mexicaine de l’époque baroque retrouvée
Cet album nous offre un aperçu saisissant de ce que pouvaient être les offices au Mexique au XVIIe siècle. Un très bel enregistrement de l’ensemble Vox Cantoris chez Psalmus.
Qualité musicale : 8 / 10
Qualité sonore : 7 / 10
On retient essentiellement de la conquista espagnole la découverte du nouveau continent par Christophe Colomb. Les plus savants savent peut-être que les côtes mexicaines furent reconnues par Francisco Hernandez de Cordoba dès 1517. Mais c’est oublier toute la suite, c’est-à-dire l’apport de la civilisation européenne à tout le continent, y compris sur le plan culturel et musical. Très influencée par la musique ibérique de style antico, la musique liturgique mexicaine a progressivement connu l’émergence de compositeurs natifs avec leur style propre.
Le très bel enregistrement de l’ensemble Vox Cantoris nous donne un aperçu saisissant de ce que pouvaient être les offices du couvent de l’Annonciation de Mexico en 1648. À partir des livres de chœur originaux, qui dormaient dans une bibliothèque, il interprète une messe anonyme à cinq voix sur le thème de la chanson « Suzanne un jour », dont la célébrité dans l’Europe de la Renaissance s’est donc transmise au nouveau continent, et un office de complies polyphonique de Juan de Lienas (1617-1654), probablement le premier compositeur mexicain à avoir écrit de la musique sous son nom propre.
La messe, de facture classique et interprétée sur un tempo lent et solennel, met en valeur les voix supérieures qui s’entrecroisent et se répondent. On réalise alors quel niveau musical devaient avoir atteint les sœurs du couvent de l’Annonciation et quelle pouvait être la beauté de ces offices, soutenus par quelques voix d’hommes du chœur de la cathédrale de Mexico pour cette occasion. Le léger manque de contrastes dans le rythme et de variété dans l’expression que l’on perçoit à la première écoute (Credo, Gloria) laisse place, dès la seconde et une fois que l’on est entré dans cette musique, à la perception d’un autre monde musical, fait de grande douceur, et même contemplatif. On goûte alors la qualité d’une interprétation toute intérieure, où – chose rare – les musiciens s’effacent devant la musique. Au magnifique Sanctus répond ainsi un sublime Agnus Dei, hiératique.
L’office polyphonique de complies de Juan de Lienas, dans lequel s’intercalent des passages en plain chant, révèle d’autres qualités musicales. Loin des clichés sur la musique mexicaine, la musique de Lienas pourrait être celle d’un maître espagnol du XVIe siècle, mais, avec des tournures et envolées qui, combinées aux éléments de musica ficta qu’ajoute l’ensemble, forment un tout séduisant et surprenant : les premiers éléments spécifiques de la musique du nouveau monde, sans doute. On découvre ainsi un superbe Miserere uniquement avec des voix féminines, que l’on ne se lasse pas d’écouter, et un Salve Regina d’un exceptionnel niveau musical, digne des plus grands compositeurs de la Renaissance.
Une très belle découverte !
Prise de son : Une prise de son très claire, équilibrée et naturelle, à l’image de l’interprétation de l’ensemble et adaptée à la destination liturgique de cette musique. On distingue chaque voix individuelle sans que cela nuise à l’harmonie et à la cohérence du tout. L’acoustique est bien mise en valeur. Les timbres vocaux sont parfaitement différenciés et les plans acoustiques variés. On notera particulièrement la très belle fusion des timbres dans le plain chant ainsi que celle de la voix de basse et de la dulciane (ancêtre du basson), qui assurent un soutien sans faille de l’édifice vocal avec une grande homogénéité musicale.
Trésors des couvents, Nouvelle Espagne XVIIe, Ensemble Vox Cantoris, Psalmus, PSAL031