Affaire Hanouna : le CSA condamné à verser plus d’un million d’euros à la chaîne C8
L’affaire Hanouna va marquer durablement le droit de l’audiovisuel, à la fois par l’ampleur des sanctions infligées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) à la chaîne de télévision C8 et par l’ampleur de la condamnation mise à la charge du CSA par le Conseil d’État, le 13 novembre dernier.
Explications.
LES FAITS & LES SANCTIONS
Les faits et les sanctions prononcées par le CSA mettent en cause trois séquences de l’émission « Touche pas à mon poste » animée par Cyril Hanouna.
1/ L’altercation simulée ou « affaire Delormeau » (3 novembre 2016)
Le 3 novembre 2016 est diffusée une séquence de « caméra cachée » mettant en scène Cyril Hanouna et l’un de ses chroniqueurs, Matthieu Delormeau. Celui-ci, filmé à son insu, assiste à une altercation (simulée) entre C. Hanouna et une autre personne, suivie d’une blessure apparemment grave infligée à l’animateur, qu’on demande à M. Delormeau de ne pas signaler aux forces de l’ordre et d’endosser (affaire dite « Delormeau »).
Par une décision du 7 juin 2017, le CSA inflige à C8 une sanction consistant en une suspension pendant une durée d’une semaine de la diffusion des séquences publicitaires au sein de l’émission « Touche pas à mon poste » ainsi que des séquences publicitaires diffusées pendant les quinze minutes qui précèdent et les quinze minutes qui suivent la diffusion de cette émission.
Cette décision est toutefois annulée par le Conseil d’État le 18 juin 2018 au motif que le CSA a méconnu les exigences tenant à la liberté d’expression en sanctionnant la chaîne (décision n°412074, Société C8).
2/ La main sur l’entrejambe ou « affaire Anav » (7 décembre 2016)
Le 7 décembre 2016 est diffusée dans l’émission une scène pendant laquelle C. Hanouna propose à une chroniqueuse, Capucine Anav, un « jeu » au cours duquel il la conduit à poser la main sur son entrejambe alors qu’elle a yeux bandés (affaire dite « Anav »).
Par une décision du 7 juin 2017, le CSA inflige à C8 une sanction consistant en une suspension pendant une durée de quinze jours de la diffusion des séquences publicitaires au sein de l’émission « Touche pas à mon poste » ainsi que des séquences publicitaires diffusées pendant les quinze minutes qui précèdent et les quinze minutes qui suivent la diffusion de cette émission.
Cette décision et cette sanction sont confirmées par le Conseil d’État le 18 juin 2018 (décision n°412071, Société C8).
3/ Le canular téléphonique ou « affaire Baba hotline » (18 mai 2017)
Le 18 mai 2017 est diffusé dans l’émission un canular téléphonique consistant en un dialogue entre C. Hanouna, qui se présente comme bisexuel, et des personnes piégées, dont le nom n’est pas masqué. Ce dialogue conduit les personnes piégées à s’épancher sur leur intimité sexuelle et l’animateur à adopté une attitude donnant une image caricaturale et discriminatoire des homosexuels (affaire dite « Baba hotline »).
Par une décision du 26 juillet 2017, le CSA inflige à C8 une sanction pécuniaire d’un montant record de 3 millions d’euros. Cette décision et cette sanction sont confirmées par le Conseil d’État le 18 juin 2018 (décision n°415432, Société C8).
LA CONDAMNATION DU CSA EN FAVEUR DE C8
Le CSA condamné à réparer le préjudice subi par C8 à hauteur de 1,1 million d’euros
Dans ses deux décisions du 13 novembre 2019, le Conseil d’État se prononce sur les demandes de réparation présentées par la société C8. Celle-ci demandait en effet au Conseil d’État de condamner le CSA à lui payer la somme de 9,5 millions d’euros dans l’affaire « Anav » et la somme de 4,1 millions d’euros dans l’affaire « Delormeau ».
Les sommes demandées visaient, selon la chaîne, à réparer deux types de préjudices : un préjudice correspondant à la perte de recettes publicitaires pendant la période de suspension des séquences publicitaires et un préjudice résultant des conséquences de la sanction sur ses relations avec les annonceurs à plus long terme, c’est-à-dire après la période d’exécution de cette sanction de suspension.
1/ Rejet d’indemnisation dans l’affaire « Anav »
Dans l’affaire « Anav », le Conseil d’État rejette logiquement toute indemnisation de C8. Logiquement car, pour justifier sa demande de réparation, la chaîne soutenait que la décision du CSA qui l’avait sanctionnée dans cette affaire était illégale. Or, comme il l’avait déjà jugé dans sa décision du 18 juin 2018, le Conseil d’État juge que la sanction prononcée est légale et proportionnée à la gravité des fautes commises : la séquence diffusée « place la personne concernée dans une situation dégradante et, présentée comme habituelle, tend à donner de la femme une image stéréotypée la réduisant à un statut d’objet sexuel » (décision n°415396 du 13 novembre 2019, Société C8).
2/ Condamnation du CSA en faveur de C8
Dans l’affaire « Delormeau » en revanche, le Conseil d’État, tout aussi logiquement, décide d’indemniser C8, tirant les conséquences de sa précédente décision du 18 juin 2018 jugeant illégale la décision du CSA de sanctionner la chaîne pour la diffusion de cette séquence. La sanction de suspension des films publicitaires pendant une période d’une semaine (du 12 au 19 juin 2017) étant illégale, le Conseil d’État condamne le CSA à verser à C8 la somme de 1,1 million d’euros correspondant à la perte de recettes publicitaires pendant cette période.
Le Conseil d’État estime en revanche que C8 « n’établit l’existence d’aucun préjudice qui aurait résulté de ce que certains de ses annonceurs auraient choisi de réduire leurs achats d’espace, à partir de septembre 2017, en conséquence de la décision annulée ».
Il semble en effet que la chaîne n’ait pas durablement souffert des séquences et des sanctions en cause en termes de part de marché publicitaire.
UNE CONDAMNATION RECORD
Toute cette affaire aura donc donné à une amende record infligée à C8 (3 millions d’euros) et à une condamnation record infligée au CSA (1,1 million d’euros).
Cette condamnation pèsera lourdement sur le budget de cette autorité publique indépendante. Elle est le pendant de son considérable pouvoir de sanction.
Signalons enfin que la chaîne a fait part de son intention de saisir la Cour européenne des droits de l’homme : à supposer que sa requête soit jugée recevable par la Cour, la décision de celle-ci ne devrait pas intervenir avant la fin de l’année 2020.
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Photographie de Une – Cyril Hanouna, le 2 mars 2010
Crédits photographiques : Siren-Com / Wikipédia
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