Accueillir le réel jusqu’à y répondre

Accueillir le réel jusqu’à y répondre
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Si le sens ne nous est pas donné d’emblée, si nous sommes essentiellement seconds, comme je l’ai montré dans mes précédentes chroniques, c’est que nous sommes d’abord les récepteurs d’une réalité qui nous dépasse, à laquelle nous sommes invités à apporter une réponse personnelle. Mais tout n’a-t-il pas déjà été dit depuis l’Antiquité ?

L’accueil du réel commence avec nous-mêmes ; il n’est rien qui ne nous appartienne d’abord, pas même notre propre être. « Nous n’avons pas choisi de naître »,  diront les plus pessimistes, comme si la vie était une défectuosité héréditaire, telle la tare des Rougon-Macquart (Zola) : « Je subis ma vie et suis donc essentiellement une victime. »  Triste fatalité qui nie radicalement la liberté humaine ! Une amie, qui travaille auprès des personnes marginales, me disait récemment : « L’un des drames de notre temps est de ne plus savoir se reconnaître sujet. »  Parce que nous ne sommes pas dans une attitude de réceptivité fondamentale, nous nous dédouanons de toute  responsabilité a posteriori.

 Foi d’artiste

Si nous nous comprenons comme récepteurs, si nous entrons en contemplation pour accueillir, comprendre et approfondir le réel, nous devenons acteurs, capables d’exprimer ce que nous sommes, aptes à transmettre l’expérience acquise, disposés à la créativité, impulsion primordiale de tout art. Peut-être, comme artistes, avons-nous à retrouver une intuition des sagesses antiques, reprise par les grandes religions : la contemplation ne s’atteint pas à la force du poignet, mais par une reconnaissance de l’harmonie originelle. Tel est le sens du shabbat juif ou du dimanche chrétien, ce temps hebdomadaire durant lequel les croyants renoncent à l’efficience  économique pour entrer dans le repos intérieur et reconnaître, dans ceux qu’ils considèrent comme leur créateur, le propriétaire de toutes choses. Il n’est pas besoin d’être Juif ou chrétien pour entrer dans ce regard sabbatique ; faire sienne cette harmonie engendre la confiance, une  foi irréductible que l’art vient ensuite exprimer, y compris sous la forme d’une dénonciation : lorsque nous disons « ce n’est pas normal », nous reconnaissons implicitement une « normalité », une « norme », c’est-à-dire une harmonie, un ordre naturel aux choses.

 « Comment décrire ? »

Il n’est pas question d’optimisme béat, car poser un acte de foi permet tout autant l’exultation joyeuse que la déchirante révolte. Qui se laisse pénétrer de réel fait naître en lui le désir d’exprimer, comme l’évidence d’une réponse. Où frappe le désir, l’art se révèle. L’enjeu pour l’artiste réside dans l’interrogation de Chateaubriand : « Comment décrire ? » Comment faire en sorte que notre réponse artistique soit véritablement personnelle ? Nous sommes si facilement dans la maîtrise du discours, prisonniers de notre technique, d’un langage prolixe, d’une mentalité revendicative, d’idées bien brassées et qui moussent… autant de conditionnements qui entravent l’expression de notre intériorité. Nous nous faisons alors source – et non creuset – du réel, à la manière des sophistes d’autrefois. Nous en restons à la représentation, à la facilité que peut également accentuer le succès commercial, jusqu’à ce que cette vaine extériorité nous rattrape et nous vide de toute joie. Pour que l’artiste soit un sillon de clarté, il doit sentir qu’une lumière lui est donnée à chaque fois qu’il prépare un spectacle, un concert ou une performance. Toute production est appelée à naître de la contemplation, à porter ce que l’artiste est, exprimant dans l’existence – de manière éminemment personnelle – la substance intérieure, sans cesse enrichie, débordante. Il restera toujours une brisure entre ce que nous sommes et ce que nous faisons. L’art, quand il est vrai, nécessite souvent un arrachement, comme une petite mort à soi-même, vers une offrande pour le public.

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