Victorien Robert : le questionnement de la réussite comme moteur créatif
À l’occasion de la mise en maquette d’un ensemble de textes de science-fiction, pour les Mardis Midi, nous avons rencontré Victorien Robert, jeune metteur en scène âgé de 34 ans.
Jeune diplômé de Sciences Po Bordeaux, alors qu’il marche sur un chemin confortable et socialement prometteur, Victorien Robert tourne soudainement le dos à cette réussite promise pour se diriger vers le théâtre : « C’est venu à moi comme une échappatoire : je ne désirais pas mener la vie normale que la société m’offrait. Il y avait peut-être aussi l’envie d’être aimé, qui sied si bien à tous les comédiens. On apprend heureusement à canaliser avec le temps. »
La réussite : une notion éphémère
Cette canalisation passe par les cours de Blanche Salant à l’Atelier international de Théâtre, puis par les ateliers du Sudden de Raymond Acquaviva, tout en travaillant avec l’école Charles Dullin. Il pratique comme comédien pendant quelques années, avant que l’envie ne le prenne de mettre en scène : « Je voulais essayer : j’aime avoir la maîtrise d’ouvrage, peut-être en raison d’un rapport souvent conflictuel avec l’autorité, qui fait que je ne sais pas toujours comment me positionner. Je me suis dit : je tente ça et après, j’arrête, c’est trop dur, trop précaire. » À cette époque, il n’a pas le statut intermittent.
Il découvre un texte intéressant et drôle : Italienne Scène de Jean-François Sivadier. Le présentant au concours Jeunes metteurs en scène du Théâtre 13 en 2011, son spectacle remporte le Prix du Public, la Mention Spéciale du Jury et le Prix du Théâtre de l’Opprimé. L’aventure est belle, quoique trompeuse : « Italienne Scène fut la voie royale puisque nous sommes arrivés en finale et que nous avons fait plusieurs dates, parfois dans des salles de 250 places. » Toutefois, il reconnaît dans cette réussite l’illusion d’une facilité que ses projets ultérieurs ont tôt fait de briser : il faut se battre pour s’imposer ; la réussite est une notion éphémère.
S’il intègre le Théâtre 13 comme membre du jury pour le concours des Jeunes metteurs en scène, s’il a l’impression d’avoir trouvé « une famille », l’artiste admet qu’il préfère jouer plutôt que mettre en scène, notamment en raison des risques financiers : « À mon échelle économique, la mise en scène est une aventure difficile, car il faut réunir des gens, qu’on risque de ne pas beaucoup payer, financer une scénographie, trouver des théâtres qui ne vous connaissent souvent pas ou qui ne vous font pas confiance… »
Le pari de la science-fiction au théâtre
Victorien Robert persévère néanmoins : il y a deux ans, il participe déjà à un Mardi Midi et choisit de mettre en maquette, parmi une quinzaine de textes, Inside Georges d’Emmanuelle Destremeau, représenté au Théâtre 13 et au Théâtre de Saint-Maur. La proposition est renouvelée cette année, à une nuance près : en tant que « vieux briscard », il ne choisit pas son texte. On lui commande une mise en maquette de quelques-uns des textes écrits par les Écrivains Associés du Théâtre Atlantique dans leur ouvrage collectif : Cabaret du futur. Le thème de la science-fiction lui apparaît comme un défi excitant : il accepte. Sur les 21 textes que compte le recueil, il en retient 14, qu’il réorganise pour les besoins du spectacle. La préparation de ce spectacle lui demande des mois de réflexion ; il retient quatre comédiens – remarquables dans l’ensemble : Thomas Nucci, Kathia Ghanty, Aymeline Alix et Maud Ribleur – avec qui il a déjà travaillé, la plupart pour Italienne Scène : « Je vois le théâtre un peu comme une famille : j’ai le désir qu’on avance ensemble. »
La science fiction est-elle compatible avec le théâtre ? « Quand tu as peu de moyens, le théâtre offre davantage de facilités que le cinéma : un flingue en sèche-cheveux fait cheap au cinéma, quand il suffit d’un simple geste au théâtre ; sur scène, si tu dis au gens que tes doigts représentent un pistolet à rayons gamma, ils te croiront. » Quatorze textes, quatorze auteurs, quatorze écritures différentes… En choisissant douze pupitres, en ne mentionnant ni les titres, ni les écrivains, Victorien Robert insuffle une dynamique et une fluidité à l’ensemble, comme si la science-fiction était un kaléidoscope capable de réfléchir les éclats émanant de chacun de ces textes : « Nous avons joué un ensemble et non une succession de textes. Tel était mon souhait. » Le pari est réussi.
Qu’est-ce que réussir sa vie ?
Après la science-fiction, place au classique. L’an dernier, Victorien entre en résidence, pour deux semaines, au Théâtre 13, afin de monter Bérénice, projet qu’il porte depuis longtemps, avec persévérance et difficulté, faute de moyens. Cette obstination ne tient pas tant à Racine qu’à l’héroïne, qui incarne une tragédie de l’amour ressemblant à s’y méprendre à ce que vivent les jeunes aujourd’hui : « Nous sommes nombreux à avoir vécu cette déchirure amoureuse, notamment à l’adolescence, sans qu’il y ait de mort au bout. » S’il reste encore quelques éléments à mettre en place, l’ensemble prend peu à peu forme, avec l’espérance qu’un théâtre lui ouvre bientôt ses portes.
Que ce soit comme comédien ou comme metteur en scène, Victorien Robert continue d’élaborer différents projets. Ses envies sont diverses, éclectiques, riches de ses questionnements intérieurs qu’il souhaite voir porter sur la scène : « J’ai un projet éternel de réécriture de Peer Gynt, ou plutôt du thème abordé par ce célèbre drame d’Ibsen : la réussite. Qu’est-ce que réussir sa vie ? Voilà une question qui m’obsède, même en tant que comédien : ai-je déjà réussi pour avoir joué au Théâtre 13 ? Aurai-je réussi lorsque je jouerai au Théâtre de la Ville ? Où cela s’arrête-t-il ? La réussite est impalpable, elle nous échappe toujours. » Pour quelqu’un qui a choisi de quitter la voie royale des sciences politiques afin de vivre du théâtre, la question reste effectivement lancinante, après toutes ces années…