La culture construit les siècles
Quel lien entretiennent la culture et la transmission ? La question n’est pas nouvelle : nous la retrouvons sans cesse, de magazines en émissions de radio, de sites en blogs. Olivier Frettois réagit à une analyse de Claude Poissenot, maître de conférences au Centre de recherches sur les médiations de l’Université de Lorraine. Le débat n’est pas fini…
Un site branché qui se gratifie lui-même comme possédant « l’expertise universitaire et le flair journalistique » exhibe la pensée d’un représentant de l’élite universelle qui aurait découvert – un peu comme Copernic, la rotondité de la terre – que la culture devait être « réfléchie, non plus comme une totalité figée, mais comme un processus permanent de reformulation ».
Médium ou contenu ?
Voilà une avancée décisive dans la compréhension de la culture : elle ne serait plus l’objet exclusif de la transmission, comme nos archaïques anciens le pensaient.
« Chaque génération est porteuse d’une culture dont elle est à la fois héritière et auteure. Elle négocie avec celles qui l’ont précédée comme avec celle qui lui succédera le contenu des références, goûts, pratiques et habitudes. Cette approche dynamique offre l’avantage de mettre l’accent sur la dimension relationnelle et dynamique de la culture. »
L’auteur de ce morceau de bravoure utilise un peu vite les travaux de Ralph Linton pour nous faire avaler une conception réductrice de la transmission culturelle (pour ne pas dire déconstructiviste) ; cela lui est d’autant plus aisé que les nouvelles technologies semblent offrir des outils capables de nous affranchir des contraintes imposés par les modes anciens de communication.
Ainsi nous trouvons-nous (quelques pieds en-dessous quand même) dans la continuité de la réflexion de Mac Luhan qui donne plus d’importance au médium qu’au contenu.
Mais si l’outil peut faire progresser la culture en facilitant le lien social, il peut aussi provoquer une dégradation… Il n’est plus un sociologue qui ne tire le signal d’alarme sur le rôle néfaste et dangereux des réseaux sociaux auprès des jeunes générations.
Des schémas bien propres précisent la pensée de notre universitaire, journaliste au flair affûté, pour montrer que la culture n’est qu’un va-et-vient entre les générations : celles-ci doivent s’adapter à la nouveauté en général et au numérique en particulier.
Ainsi, il y aurait un refus de la culture en travail et de la culture morte, ainsi qu’une acceptation de la culture émergente et vivante ? Si quelqu’un comprend ce que cela veut dire qu’il m’envoie un cours !
Ce qui semble manquer à Claude Poissenot, tout maître de conférence qu’il soit, c’est de faire le constat suivant : même les utilisateurs de la plus moderne des technologies aujourd’hui ne sont que des nains juchés sur les épaules de géants qui sont à l’origine de notre civilisation.
Donner raison à l’État Islamique ?
Il apparaît dans ce discours que l’orthographe n’aurait plus d’intérêt, la connaissance des pratiques anciennes n’ayant plus cours… En extrapolant un peu, dans la même logique, les enseignements de nos savants, de nos philosophes ou de nos encyclopédistes deviendraient par conséquent obsolètes. Il en résulterait une profonde amnésie partagée par un grand nombre, ce qui du reste est déjà fréquemment le cas aujourd’hui.
Nous pourrions résumer cela par une espèce de stupide formule-type : « Du passé faisons table rase ». C’est une manière de dire que l’État Islamique a raison de transformer le site millénaire de Palmyre en désert de sable ! En éminent archéologue, Ralph Linton, un peu pris en otage dans cet audacieux papier, aurait fort apprécié.
Nous sommes ici dans la négation du réel et la spéculation idéologique pure. Sans racines, il n’y a plus de vie, plus de progression, ni d’avenir.
La vision de la transmission culturelle nous est présentée comme un acte d’individu à individu, alors qu’il s’agit plutôt d’un acte collectif.
La culture comme acte collectif
Si, comme le prétendait Aristote, l’homme est bien un animal social, il s’exprime donc avec le NOUS plutôt que le JE. Mais ce NOUS ne se limite pas à l’horizontalité de nos contemporains, ni même à la verticalité de la seule génération d’avant ou d’après ; il s’inscrit dans la construction des siècles, de communautés naturelles en communautés de destin.
À l’heure où l’on ne parle que de solidarité, mais où on cherche – dans le même temps – à gommer les différences, pourtant source de la diversité de la culture, on devrait prendre conscience que nous sommes des héritiers : nous ne confondons pas culture et idéologie, cette matière que l’on prend et rejette à sa convenance. La culture est un tout que l’on reçoit sans choisir et que l’on doit s’efforcer de retransmettre, avec la certitude que celui qui reçoit affinera et partagera avec ses contemporains sa perception de la richesse culturelle dont il est solidairement le dépositaire.
Un des dangers de vouloir épargner à nos enfants la transmission la plus large possible de notre héritage culturel, serait de susciter des inégalités entre ceux qui savent et ceux qui croient (tout) savoir.
Olivier FRETTOIS