“J’accuse”… Affaire Dreyfus ou affaire Polanski ?
J’accuse, de Roman Polanski : Au-delà de la polémique, des différentes polémiques qui entourent la sortie du film, faut-il aller voir le dernier film de Roman Polanski ? On peut répondre par la négative… Attention, il ne sera question que de cinéma ici.
J’accuse est un film qui se veut fidèle à l’affaire Dreyfus qui agita la France et l’armée à la fin du XIXe siècle ; il cherche à expliquer comment l’erreur judiciaire a pu se mettre en place. Les toutes premières images nous projettent dans la cour d’une caserne lors de la cérémonie d’éviction de Dreyfus de l’armée. Devant tous les soldats réunis, on arrache au colonel ses insignes sur ses vêtements et on le déchoie de ses fonctions. Dreyfus – Louis Garel impeccable – retient ses larmes et sa colère, scandant qu’il est innocent. Parmi les spectateurs, un soldat déclare, quelque peu goguenard : « Les Romains jetaient des Chrétiens aux lions, nous on leur donne des Juifs : c’est ça le Progrès ! »
Le ton et le sujet sont donnés : le personnage principal sera d’une part l’armée, la grande muette dans toute « sa splendeur », une armée qui préfère punir un innocent plutôt que revenir sur une décision prise et qui ternirait son image, et d’autre part l’antisémitisme, un thème cher à Roman Polanski, qu’il a notamment traité dans Le Pianiste en 2002. Dès le début, les personnages martèlent leur position face à l’affaire : les Juifs sont gênants, les Juifs sont partout et les étrangers aussi. La France est en train de sombrer en raison de cette invasion néfaste. C’est d’ailleurs ce que clame le chef de la sécurité, Jean Sandherr – incarné par Éric Ruf, merveilleux –, obligé de quitter sa charge, rongé par la syphilis : la France est en pleine dégénérescence à cause des étrangers.
Une question se pose alors immédiatement : Roman Polanski désire-t-il parler uniquement de l’affaire Dreyfus ou, à travers celle-ci, veut-il évoquer la France contemporaine, à nouveau rongée par un antisémitisme galopant ?
Dreyfus à Disneyland et des comédiens en roue libre
Le problème majeur du film est que l’on n’y croit absolument pas. À aucun moment on ne se laisse emporter par l’histoire du capitaine déchu. Tout est si bien léché qu’il nous semble entendre à chaque séquence : « Silence, on tourne ! » et voir entrer les comédiens et les figurants dans le plan. Tout sonne et sent le décor de carton-pâte !
De plus, Roman Polanski n’a manifestement pas jugé bon de diriger ses acteurs. Certes, il a su bien s’entourer ; le casting regorge d’acteurs au somment de leur jeu : Louis Garrel incarne ainsi un Alfred Dreyfus avec sobriété et dignité, Gregory Gadebois est impeccable en soldat obéissant et veule, Mathieu Amalric, toujours aussi excellent. De nombreux personnages sont par également incarnés par des membres de la Comédie-Française : qu’il s’agisse d’Éric Ruf, Laurent Stocker, Denis Podalydès ou Didier Sandre, tous sont impeccables. Le choix de Jean Dujardin n’est en revanche pas le plus judicieux, l’acteur étant vraisemblablement plus à l’aise dans des films plus contemporains et un registre sans doute plus léger. Quant à Emmanuelle Seigner, chacune de ses apparitions est ridicule : le cinéaste ne juge sans doute pas nécessaire de diriger sa femme, qui minaude et semble surtout ânonner un texte sans émotion aucune.
Un titre hommage à Zola ou un message plus personnel ?
Toutefois, une scène est très belle, c’est celle de la parution de l’article d’Émile Zola dans L’Aurore, lettre que l’auteur écrit au président de la République, Félix Faure, dans laquelle il dénonce toutes les iniquités de l’affaire et accuse le gouvernement d’antisémitisme.
« C’est un crime d’égarer l’opinion, d’utiliser pour une besogne de mort cette opinion qu’on a pervertie jusqu’à la faire délirer. C’est un crime d’empoisonner les petits et les humbles, d’exaspérer les passions de réaction et d’intolérance, en s’abritant derrière l’odieux antisémitisme, dont la grande France libérale des droits de l’homme mourra, si elle n’en est pas guérie. »
Le jour de la publication de l’article, le 13 janvier 1898, Picqard est envoyé en prison. Par un montage alterné, chaque membre incriminé dans le texte zolien lit le passage le concernant, martelant ainsi la célèbre anaphore de Zola qui ne constitue que la dernière partie du long texte ; celui-ci se termine sur ce magnifique paragraphe :
« Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour !
J’attends. »
Texte admirable – on le voit à ces quelques extraits – qui donne son titre au film. Alors pourquoi avoir passé sous silence la mort de Zola, son possible assassinat par asphyxie ? Cela n’aurait pris que deux minutes dans le film et aurait accentué la volonté de vérité affirmée ?
Donner le titre de cet article à son film oriente l’objectif du cinéaste différemment. Roman Polanski ne veut-il pas finalement évoquer le pouvoir de la presse ? En effet, cet article constitue le symbole du pouvoir de la presse mis au service de l’homme, d’un homme et de la vérité. Confronté à la situation personnelle et juridique du cinéaste, le réalisateur cherche-t-il ainsi à lancer une question aux journalistes : faites-vous finalement votre métier qui est de mettre au jour la vérité, de sauver l’honneur d’un homme accusé injustement ? La question est posée, la réponse ne sera pas donnée ici…
Néanmoins, le film, de facture très classique, tâche de reconstituer fidèlement une affaire honteuse pour la France et l’armée : il remplit son cahier des charges honnêtement mais peut être évité. Le dernier film de Costa-Gavras ou celui de Marco Bellocchio soulèvent des questions plus cruciales, de manière bien plus brillantes…
Roman Polanski, J’accuse, France – Italie, 2019, 132mn
Sortie : 13 novembre 2019
Genre : drame
Classification : tous publics
Avec Jean Dujardin, Louis Garrel, Emmanuelle Seigner, Mathieu Amalric, Grégory Gadebois, Melvil Poupaud, Vincent Grass, Hervé Pierre, Didier Sandre, Éric Ruf, Laurent Stocker, Denis Podalydès
Scénario : Robert Harris, Roman Polanski
Musique : Alexandre Desplat
Image : Pawel Edelman
Distribution : Gaumont Distribution
En savoir plus sur le film avec CCSF : J’accuse
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