27 novembre 1896 : Strauss réconcilie Nietzsche et Kubrick
Instant classique – 27 novembre 1896… 123 ans jour pour jour. Le super méga tube d’aujourd’hui dure un peu moins de 2 minutes sur les 35 de l’œuvre entière. C’est tout simplement le lever de soleil le plus célèbre de toute l’histoire de la musique, et c’est grâce aussi au cinéma.
Mais revenons au début. Richard Strauss a trente-et-un ans lorsqu’il met en chantier l’adaptation en poème symphonique de l’œuvre de Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra. Cela lui prend six bons mois de 1896, jusqu’à la création voici cent vingt-trois ans, sous sa propre direction à Francfort. L’accueil est plus frais que le gigantesque lever de soleil qui inaugure l’œuvre. La critique parle de « grimace métaphysique« .
« Je n’ai pas voulu écrire de la musique philosophique, ni traduire musicalement la grande œuvre de Nietzsche. Je me suis proposé de tracer un tableau du développement de la race humaine depuis ses origines… jusqu’à la conception nietzschéenne du Surhomme. » Vous trouvez ça aussi clair que du morse traduit en serbo-croate ? Rassurez-vous, Strauss vous a vus venir. Il a donc inscrit sur la partition cette citation de l’œuvre de Nietzsche : « La musique a trop longtemps rêvé ; nous voulons maintenant nous réveiller. Nous étions des somnambules ; nous voulons devenir des rêveurs éveillés et conscients. » C’est plus clair, là, hein ?
Strauss monte tout ça en triple crème au lait cru, en deux temps et huit mouvements. Tout commence par ce lever de soleil que Stanley Kubrick prendra pour son 2001, l’Odyssée de l’espace après avoir pensé, semble-t-il, à la Troisième de Mahler. Voilà l’univers. Ben oui, ça prend de la place, il faut voir grand.
Le premier mouvement « Ceux des arrières-mondes » décrit peu ou prou les pensées religieuses dans lesquelles l’homme se cherche (et parfois, il faut reconnaître qu’il est franchement égaré). Le deuxième mouvement, « De l’aspiration suprême », aborde le thème de la Nature ; le 3e (des joies et des passions) figure la révolte de l’Homme et son retour aux joies d’ici-bas, sa satiété et son dégoût (eh, l’Homme, si t’en as trop, laisse-z-en aux autres !). Le chant du tombeau (4) dit bien ce que c’est ; « De la science » (5) pose de nouvelles questions métaphysiques, tandis que le « Convalescent » (6) se libère du mal et de l’ignorance (y avait pourtant du boulot). Le chant de la danse introduit une charmante valse typique viennoise dont on ne sait pas bien ce qu’elle vient raconter, avant que le chant du voyageur de la nuit ne vienne poser la question existentielle, celle de la fin, quand les vers s’approchent…
Bref, vous connaissez deux petites minutes de tout ça et ce n’est pas mal, car le reste, très straussien, n’a pas forcément aussi bien vieilli. En 1973, Karajan signe l’une des interprétations les plus remarquables de ce poème symphonique. Il fera un remake onze ans plus tard, mais je préfère la puissante clarté de cet enregistrement.
On raconte d’ailleurs que Kubrick a choisi une version de Karajan des années 1960 pour son film. Mais on ne saura jamais ce qu’en aurait pensé le philosophe, qui avait déjà sombré dans la folie à la date de la création de l’œuvre.