Dijon – Le département se désengage brusquement de l’Opéra et de la SMAC La Vapeur
François Sauvadet, président du département de la Côte-d’Or, a annoncé cet été la fin des subventions pour l’Opéra de Dijon et La Vapeur, seule SMAC du département. Une décision soudaine, qui bouleverse et fragilise deux établissements artistiques majeurs du département. Explications.
Alors que les exercices budgétaires de l’Opéra de Dijon et de La Vapeur, seule scène de musique actuelle du département labellisée par le ministère de la Culture, arrivent à leur terme pour l’année 2019, les deux structures se retrouvent victimes du désengagement financier du conseil départemental de la Côte-d’Or. En effet, dans un courrier daté du 12 juillet dernier, son président François Sauvadet a annoncé qu’il ne versera pas les 50 000 euros de subventions qui leur étaient jusqu’alors attribués.
Monsieur Sauvadet a par la même missive annoncé sa volonté de substituer une politique d’achat de places à une politique culturelle de soutien aux projets, une proposition refusée par madame Christine Martin, présidente des conseils d’administration de l’Opéra et de La Vapeur, par ailleurs adjointe à la culture de la mairie de Dijon. Dans un courrier du 4 septembre 2019, l’élue socialiste lui demande en effet solennellement de revenir sur sa décision. Éclaircissement sur un geste politique qui suscite incompréhension, craintes et indignation de la part des acteurs culturels.
Une décision inattendue…
Dans une lettre du 4 septembre adressée en réponse à l’annonce de François Sauvadet, Christine Martin a fait part de son incompréhension devant un tel choix. En effet, au sein des conseils d’administration de ces deux établissements siègent deux élus du conseil départemental de la Côte-d’Or : il n’y aurait jamais eu d’alerte de leur part dans les mois qui ont précédé l’annonce soudaine de cette privation de subventions.
Laurent Joyeux, directeur de l’Opéra de Dijon, affirme avoir tenté à plusieurs reprises de prendre rendez-vous avec le conseil départemental de la Côte-d’Or depuis le mois de janvier 2019 afin de connaître sa position ; celui-ci ne s’est toutefois déclaré que tardivement, le 12 juillet dernier, alors que les deux établissements étaient fermés pour congés annuels et que les budgets avaient de toute façon déjà été votés : « Chaque année le conseil d’administration discute du budget au mois d’octobre et vote ce dernier courant décembre. L’année dernière, au moment du débat d’orientation budgétaire, le département aurait pu dire : “Attention, on n’est pas sûr de vous verser une subvention l’année prochaine”, mais on ne nous a rien dit. »
… lourde de conséquences
La situation est préjudiciable pour les deux structures qui sont engagées vis-à-vis des artistes programmés, du public et des partenaires. En effet, l’Opéra bâtit sa programmation trois ans à l’avance : la saison 2020/2021 étant déjà mise en place, les 50 000 euros dont le lieu est privé sont donc dépensés depuis longtemps. « C’est pareil pour tous les opéras, un chanteur se réserve trois ans à l’avance, François Sauvadet le sait très bien », précise Laurent Joyeux.
Du côté de La Vapeur, les aides supplémentaires reçues des autres partenaires, en particulier de la région, qui devaient répondre aux besoins d’organisation de la nouvelle Vapeur, ne serviront qu’à remplacer ce que le département a supprimé : « Si on l’avait appris en début d’année, on aurait eu un peu de marge de manœuvre sur notre exercice budgétaire pour essayer de faire moins de choses. Or là, on est engagé, donc ça va nous créer un déficit pour l’année en cours », déplore son directeur Yann Rivoal.
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Quels sont les arguments invoqués ?
François Sauvadet, que nous avons essayé de joindre sans succès pour en savoir davantage sur les motivations qui ont présidé sa décision, a fait connaître sa volonté de substituer à une politique culturelle de soutien et d’accompagnement des projets, une politique d’achat de places qui implique une relation marchande entre collectivités et établissements culturels. Pour Christine Martin, tout se passe comme si les principes d’exception culturelle et de compétences partagées étaient niés.
Par ailleurs, d’après les propos du président du conseil départemental relayés par l’article de Sophie Allemand sur France Bleu Bourgogne, supprimer ces subventions se justifie par le fait que les projets de l’Opéra et de La Vapeur doivent concerner tous les Côte-d’Oriens. Un argument qui, selon Laurent Joyeux, ne tient pas ; il avance au contraire que 64 % des collèges du département sont touchés par les actions de l’Opéra, avant de conclure : « Si François Sauvadet veut que l’on touche tous les collèges de Côte-d’Or, il faudrait dans ce cas nous donner 600 000 euros. » Par ailleurs, l’Opéra de Dijon est le moins cher de France, avec un prix moyen du billet le plus faible, à hauteur de 19 euros. Difficile dans ce contexte de remettre en doute son accessibilité, à plus forte raison si l’on compare ce coût à celui d’autres salles comme le Zénith de Dijon par exemple : « Si l’on retire la ville de Dijon, la métropole et la région Bourgogne-Franche-Comté, 15 % de notre public est Côte-d’Orien », ajoute-t-il.
« Tout ça s’inscrit dans un mouvement de désengagement profond du département vis-à-vis de son Opéra, qu’on ne voit pas ailleurs ; si on prend tous les opéras de France et qu’on fait une moyenne de ce que donne un conseil départemental à son opéra, on obtient 499 000 euros. » Depuis 2017, l’Opéra de Dijon est labellisé “Théâtre d’intérêt national” par le ministère de la Culture, statut que possèdent seulement deux opéras en France : « Tous les départements n’ont pas cette chance, il est donc à plus forte raison étrange de ne pas être soutenu. »
« On doit penser que l’on est sur-conventionné et je pourrais vous servir le discours que l’opéra est un art qui coûte cher, mais ce n’est pas ça que je veux vous dire, poursuit Laurent Joyeux. Pour vous donner un chiffre, parmi les opéras de province, nous avons le montant le plus important de recettes propres, à savoir 26 %, quand d’autres n’arrivent qu’à 10%… Alors qu’on ne vienne pas nous dire qu’on ne fait pas l’effort d’aller chercher de nouvelles recettes. »
Un contexte de rivalité politique
À l’approche des élections municipales qui auront lieu en mars 2020, une telle décision intervient dans un contexte d’oppositions politiques. En effet, François Sauvadet est un élu de l’UDI, tandis que les conseils d’administration de l’Opéra de Dijon et de La Vapeur sont présidés par l’adjointe au maire PS de Dijon. Celle-ci, en s’attristant que les clivages politiques ne puissent être dépassés dans la construction de projets, suggère implicitement que la cause pourrait être électoraliste.
Christine Martin s’inquiète d’une telle situation et des critères qui motivent ces choix. Quand l’ABC, une association dijonnaise qui possède une programmation, bénéficie encore d’une subvention de 150 000 euros, l’Orchestre Dijon-Bourgogne se voit, quant à lui, également privé de cette subvention, tandis que certaines structures majeures n’en ont tout simplement jamais vu la couleur :
« Le département de la Côte-d’Or n’a jamais soutenu le théâtre Dijon-Bourgogne : ça n’existe nulle part ailleurs qu’un département ne soutienne pas son centre dramatique national. J’ai regardé leur dernière délibération : sans vouloir de mal à ces deux structures, j’ai constaté que les théâtres de Semur-en-Auxois et de Châtillon-sur-Seine sont soutenus. Les Dijonnais ne sont-ils pas autant Côte-d’Oriens ? À qui s’adresse la politique culturelle du département ? Je m’interroge sur cette manière de faire, sans discussion, et espère que monsieur François Sauvadet reviendra sur sa décision. »
Ainsi, malgré les baisses budgétaires généralisées, ce choix politique rend manifeste une rupture d’égalité qui porte préjudice à l’Opéra de Dijon et à La Vapeur. Il impacte la force de frappe de ces deux structures qui devront maintenir une programmation riche et accessible à tous, sans les moyens financiers adaptés.
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