État des lieux des stratégies digitales au théâtre
Quelle utilisation les théâtres font-ils du digital ? Si certains outils reviennent régulièrement, tels que le site internet ou les réseaux sociaux, d’autres sont complètement laissés de côté, comme la gestation de la relation client. Comment mesurer dès lors l’impact des stratégies digitales mise en place ?
Impact du digital sur le public de théâtre (5/7)
Aude Chabrier a achevé en 2018 une thèse professionnelle, dirigée par Elena Borin (Burgundy School of Business), sur le thème : « L’impact du digital sur le public de théâtre ». Elle propose une synthèse de ses recherches dans une série de sept articles publiés dans Profession Spectacle.
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L’intérêt premier de cette étude est de déterminer si le digital peut avoir un impact sur la fréquentation dans les théâtres. Si oui, lequel ? Sous quelle forme et dans quelle mesure ? Aussi, adopter ce regard revient à s’interroger sur les outils digitaux aujourd’hui mis en place dans les théâtres, leurs stratégies d’utilisation et également leurs limites.
Des outils digitaux suffisants ?
L’industrie théâtrale a souvent eu la réputation d’être en retard sur le plan de l’utilisation du digital. Considérée parfois comme un art vieux, elle souffre de dissonances essentielles avec le numérique : place primordiale du corps contre utilisation du virtuel, rencontre éphémère contre sauvegarde de data sur serveurs… Toutefois, ces dissonances n’empêchent pas les théâtres d’user d’outils numériques et de stratégies digitales pour accompagner son spectateur en amont et en aval des représentations.
En novembre 2016, TMNLab, le laboratoire théâtre et médiations numériques, a publié un état des lieux de l’usage des outils numériques dans les théâtres. Cette enquête a été réalisée avec la collaboration de 446 structures diverses et variées, du théâtre national à la scène conventionnée en passant par le théâtre privé. Cela permet d’avoir un aperçu complet de l’utilisation que font les théâtres du digital.
L’usage principal demeure l’aide à la diffusion d’information : actualités sur la structure, annonces sur la nouvelle saison, etc. Pour ce faire, l’outil majeur reste le web. Aussi 99 % des théâtres possèdent-ils un site internet, qu’ils alimentent principalement à chaque nouveauté. Seul un théâtre sur cent ne met son site à jour qu’une fois par an. De plus, alors que l’utilisation du web passe de plus en plus par le mobile au lieu de l’ordinateur, près de sept théâtres sur dix déclarent avoir une version mobile ou responsive de leur site web, montrant ainsi leur volonté d’avoir une couverture numérique importante et adaptée aux besoins actuels. Afin d’attirer l’attention de leurs clients, fidèles et prospects, 90 % des structures utilisent aussi l’envoi de newsletters, celui-ci étant même ciblé pour 87 % des cas. La présence des théâtres et autres structures sur les réseaux sociaux est elle aussi pertinente : 95 % ont un compte Facebook. Twitter et Instagram sont moins communs, avec respectivement 62 % et 20 %. Ces chiffres datant de 2016 se recoupent avec les résultats de l’étude menée lors de mon mémoire en 2018.
Le second usage à considérer est l’aide à la vente des billets. En effet, 93 % des théâtres déclarent posséder un logiciel de billetterie en ligne, afin de permettre au plus grand nombre de réserver leurs places.
Ces chiffres soulignent que les outils digitaux mis en place sont encore à développer mais semblent cohérents et suffisants pour l’implantation d’une stratégie digitale complète et efficace. Le seul bémol demeurant : le nombre de sites web adaptés au téléphone pourrait être supérieur.
Une stratégie digitale au rendez-vous ?
La question d’une stratégie digitale repose sur plusieurs facteurs : la volonté des théâtres ainsi que les outils digitaux utilisés en interne.
Lors de mon mémoire, j’ai pu interroger des professionnels de théâtre. La majorité décrit cette stratégie de la même manière : un mélange entre l’usage des outils offline (posters, brochure papier, etc.) et online (site web, réseaux sociaux, newsletters, etc.), afin de garantir une communication complète et adressée à tous. Toutefois, l’étude effectuée par TMNLab met en exergue le manque de moyen digitaux des structures pour offrir une stratégie digitale viable sur le long terme. On pourrait prendre l’exemple de l’absence d’utilisation d’outils de gestion de la relation client, dits CRM : uniquement 28 % des structures en sont équipées. Ceux-ci sont des éléments primordiaux de la stratégie marketing digitale car ils permettent d’analyser le comportement des clients et prospects et de proposer des actions marketing ciblées. Il en est de même pour les logiciels de gestion de projet comme Trello ou Basecamp. De plus, la majorité des structures ne mettent pas en place de calendrier éditorial précis et adapté à leur cible, ni une stratégie de gestion et de création de contenu (texte, photo, charte graphique, etc.).
Il faut tout de même rappeler que l’idée de l’usage du digital divise les théâtres. Les résultats de TMNLab et celle de mon mémoire se recoupent une nouvelle fois : certains professionnels de théâtres sont méfiants quant à l’usage d’outils digitaux. Aussi, pour la moitié d’entre eux, adopter une stratégie n’est pas une priorité.
Limites et méfiance
Utiliser des outils digitaux, oui, mais pour quels résultats ? La difficulté première aujourd’hui de l’implantation d’une stratégie digitale à long terme est l’interprétation des résultats. Plusieurs causes sont à mettre en avant : le délai nécessaire pour pouvoir mesurer les retombées de ces actions de communication sur le public, le manque de moyens de mesure ou encore la transformation des intérêts dits virtuels en intérêts réels.
L’impact des stratégies digitales est difficile à analyser. Entre délai trop court pour justifier une analyse ou tendance délicate à affirmer, cet impact est ardu à commenter. Cela se heurte une nouvelle fois sur l’absence de logiciels numériques comme les logiciels CRM ou de gestion de projets, qui pourraient apporter une réponse ou du moins permettre l’établissement de rapports précis.
La méfiance des théâtres sur ces stratégies digitales peut aussi se comprendre d’une autre façon. Une stratégie digitale permettrait d’augmenter la couverture en ligne et de toucher un plus grand spectre de personnes. Toutefois, même si ces personnes témoignent de leurs intérêts en ligne et répondent favorablement à cette stratégie, comment garantir que ces intérêts ne resteront pas uniquement « virtuels » ? En effet, étant confrontés à de plus en plus de flux d’informations, les internautes ont de plus en plus d’intérêts virtuels qu’ils ne concrétisent pas dans la vie réelle. La crainte de certains professionnels est que le digital permette uniquement un meilleur accès l’information, sans que cela n’impacte les motivations de chacun.
Il est ainsi possible d’avancer que l’industrie théâtrale a répondu de manière efficace à la révolution numérique, en se dotant d’outils nécessaires pour répondre aux besoins actuels. Toutefois, il demeure difficile de mesurer l’impact de la mise en place des stratégies digitales.
Articles parus
1/7. Le profil type d’un spectateur de théâtre
2/7. Mais quelles peuvent bien être les motivations du public pour aller au théâtre ?
3/7. Le théâtre, une manifestation essentiellement collective ?
4/7. Liberté de création artistique et stratégies de marketing sont-elles conciliables ?
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En partenariat avec la Burgundy School of Business de Dijon.