Laëtitia Pitz ou la passion des mots faite scène

Laëtitia Pitz ou la passion des mots faite scène
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Une quête, une passion, un combat. Depuis plus de vingt ans, Laëtitia Pitz poursuit avec sa compagnie Roland furieux une quête puissante, celle de l’écriture, de la musique, de la scène, celle de Jason et des Argonautes, celle de la création théâtrale dans une ville – Metz – qui ne compte guère de vrai théâtre permanent.

Rencontre.

Native de Metz, Laëtita Pitz rencontre le théâtre dès son plus jeune âge, par le biais de l’école. La pièce est d’un certain Jean-Baptiste Poquelin – Molière, déjà : Le Malade imaginaire.

Bien que le théâtre ne la quitte guère au collège et au lycée, elle ne souhaite pas – ou n’ose pas – en faire sa profession. Il faut attendre l’âge de vingt ans et sa « première confrontation avec la mort », alors qu’elle suit des études de droit : son grand-père. Dans son entourage, il fait figure d’exception, de personnalité « en marge de tout ce que notre famille essayait de construire pour s’élever socialement » : il est musicien. « Son décès a joué comme une révélation pour moi, celle d’aller vers ma propre voie et non de suivre un parcours préétabli. »

Elle rejoint le cours Florent, à Paris, qui se révèle vite inadapté. « J’allais vers le théâtre pour la passion des auteurs. J’avais envie de travailler Racine, Victor Hugo et les grands tragiques grecs, ce qu’on ne fait pas au cours Florent. » Elle intègre par la suite différents cours, dirigés notamment par Andréas Voutsinas et Patrick Baty.

Début d’un récit épique : Roland furieux

En 1996, elle crée la compagnie Roland furieux, en hommage à l’Arioste. Ce récit du XVIe siècle « rejoint l’épique communautaire car le théâtre est une quête de sens, un art collectif ». Laëtitia Pitz évoque une phrase, une idée, une vision qui l’habite encore aujourd’hui : « La raison des fous se trouve sur la lune. »

Elle regagne alors Metz, espérant travailler avec une association qui souhaite revaloriser le patrimoine, avec notamment des spectacles estivaux. Elle a dans le cœur de monter L’Oiseau vert de Carlo Gozzi. Mais l’association est sur le déclin.

Laëtitia Pitz part donc en quête d’un lieu susceptible d’accueillir sa compagnie durablement. « Je n’avais rien fait alors, si bien que je gonfle un peu mes petites années parisiennes. Le maire d’Hagondange nous propose presque aussitôt une vieille école désaffectée dont il ne sait pas quoi faire. » Hagondange, petite ville du sillon mosellan de moins de 10 000 habitants, est le lieu où elle s’installe, sept années durant, en compagnie de l’acteur Valéry Plancke avec qui elle monte notamment deux pièces de Musset, On ne badine pas avec l’amour et Un Caprice.

Le travail sur le territoire commence, avec des rencontres multiples, des ateliers dans les écoles et la mise en place d’un rendez-vous atypique : les “Jeudis furieux” sont une invitation à partager chaque mois avec le public « les moments de caverne, ces temps de l’antre », par la lecture de textes. « Cet endroit d’expérimentation a marqué tout mon processus de travail par la suite. »

Une rencontre, un choc : l’écriture de Heiner Müller

Un sujet antique passionne Laëtita Pitz depuis son enfance : l’histoire de Jason et les Argonautes, qui va jusqu’à son mariage tragique avec Médée. « La création de ce grand navire construit pour la quête de la toison d’or m’a longtemps habité. »

Au début des années 2000, dans sa quête mythologique, elle croise la route d’un dramaturge allemand qui a ressaisi, à sa manière, ce mythe : Heiner Müller. « Je n’avais jamais entendu parler d’Heiner Müller… Ce fut un véritable choc littéraire ! Je me suis complètement immergée dans son rapport politique à l’histoire, fascinée par sa capacité à intégrer dans son œuvre l’intertextualité des antiques et une acuité sidérante sur le monde d’aujourd’hui. »

Son seul regret est de ne pas pouvoir lire l’auteur dans le texte. Pourquoi ? Parce que sa famille maternelle est restée longtemps marquée par l’annexion de la Moselle et la réquisition de terres par les Allemands. « Ma famille a refusé de céder, ce qui a entraîné la déportation des trois filles en camp de travail. Pour ma grand-mère, il était hors de question qu’on parle allemand ; il y a eu une sorte d’omerta familiale sur la langue allemande. »

Elle monte Quartett, qui revisite Les liaisons dangereuses. Avec Valéry Plancke et le scénographe-costumier Dominique Burté, elle décide de jouer cette pièce tous les dix ans, pour interroger à la suite du dramaturge allemand la question du désir en lien avec la mort : « Comment un tel texte peut-il durer, être vécu, avec un corps qui vieillit, avec toutes les expériences que nous traversons et qui nous traversent ? » Deux versions ont déjà été montées, lorsque Laëtita Pitz avait respectivement vingt-neuf et trente-neuf ans. Ce compagnonnage au long cours n’exclut aucunement le choc de la rencontre première : « Il y a pour moi un avant et un après Heiner Müller. »

Le chemin avec les Argonautes conduit l’artiste messine sur les rivages de Sven Lindqvist : Exterminez toutes ces brutes, ouvrage à la frontière de la poésie et de l’essai sur l’extermination de l’homme par l’homme. « C’est ma première adaptation, ainsi que ma première collaboration avec des musiciens en direct, notamment Camille Perrin et Mathieu Chamagne. J’ai vu à quel point le champ musical déplace profondément les questions posées par la dramaturgie. Le musicien nous ramène à une conscience du présent qui est unique. »

Quartett et Exterminez toutes ces brutes marquent par ailleurs une rupture croissante avec la ville d’Hagondange. La mairie continue de soutenir pour tout ce qui concerne le travail de transmission pédagogique, mais de moins en moins les créations. En 2003, la rupture est consommée.

Maturité des créations : adaptations d’Antoine Volodine et de Didier-Georges  Gabily

Laëtitia Pitz en profite pour faire une pause, intervalle pendant lequel elle fait « deux magnifiques rencontres » : la compagnie lorraine 4 Litres 12 (Michel et Odile Massé) lui fait découvrir un nouvel espace de liberté et d’improvisation pour l’acteur et « éprouver du dedans » à quel point le doute est un élément « fertile » pour l’artiste, tandis que Patrick Haggiag, artiste associé au CDN de Colmar, l’initie à la dimension chorégraphique du jeu d’acteur : « J’ai découvert à quel point le corps vibre par la parole, et comment la pensée est active par le corps. »

Avec Patrick Haggiag et la comédienne Agnès Guignard, rencontrée à la même époque, elle s’ouvre à la mise en scène : Soie d’Alessandro Baricco, début d’une longue et belle collaboration avec le clarinettiste et compositeur Xavier Charles, Manque de Sarah Kane ou encore Mevlido appelle Mevlido, adaptation de « l’œuvre-monde » d’Antoine Volodine, Songes de Mevlido. « Chaque nouvelle rencontre me redonne le goût des autres. Ce sont ces alternances de profonde solitude et de chair, de partage. »

Ce dernier travail, initié en 2013, n’est créé qu’à la fin de l’année 2016, grâce notamment au soutien de Dominique Répécaud, de la scène nationale de Vandoeuvre-lès-Nancy : un spectacle expérimental, un dispositif multi-spatial constitué de volutes de fumée et de musique, « une forme où le spectateur entre dans une sorte de matrice et se positionne de manière anarchique dans l’espace, sans jamais voir les acteurs », sept au total, qui agissent dans l’ombre.

Cette création permet à la compagnie d’obtenir une résidence au long cours à la Cité musicale de Metz. C’est dans ce cadre qu’est également créé L’Au-delà, adaptation intelligente du texte de Didier-Georges Gabily, dont nous avons longuement rendu compte dans Profession Spectacle.

Metz : cité musicale plutôt que ville théâtrale

Le combat pour la création d’œuvres originales, fondées sur des écritures puissantes, n’est cependant jamais gagné. Si la compagnie a commencé à être soutenue par la ville de Metz en 2016, par l’intermédiaire d’un dispositif d’aide triennal, de plus en plus d’équipes reçoivent des subventions, sans considération des spécificités de chaque travail artistique : il n’y a ainsi guère de compréhension des différences de fonctionnement, entre une forme jeune public de quarante-cinq minutes avec un acteur seul et un travail expérimental qui demande un à deux ans de préparation et emploie plus d’une dizaine de comédiens et techniciens.

« C’est là où je ne suis pas d’accord, regrette Laëtitia Pitz. Il y a un choix éthique qui devrait être fort. La ville devrait continuer à aider des équipes qui font un véritable travail de fond, d’autant qu’elle a la chance d’avoir des équipes solides, matures professionnellement et aux esthétiques très différentes. Plutôt que de nous opposer les uns les autres, il faudrait faire écho à cette force et soutenir cette richesse. Il manque une vision politique de soutien aux artistes. »

Selon Laëtitia Pitz, la ville de Metz a fait le choix de privilégier la musique, au détriment de bien des arts de la scène. Les espaces de travail et de représentation sont rares dans la ville, et rarement dédiés – ou de manière anecdotique – au théâtre. C’est le cas de l’espace Bernard-Marie Koltès, sur l’île de Saulcy, de la Cité musicale avec ses trois lieux, des Arènes, de l’Aérogare ou encore de l’Opéra-théâtre de Metz-métropole.

Ce ne sont pourtant pas les désirs qui manquent, du côté de la compagnie Le Roland furieux. Laëtitia Pitz évoque plusieurs textes qu’elle souhaite voir sur scène un jour, tels qu’Antigone ou la piété de Robert Garnier, écrit en 1580, ou encore Sur la trace de Nives d’Erri De Luca. Des désirs de nouvelles épopées collectives, auxquelles s’ajoute un projet plus personnel : Perfidia, texte écrit par Laëtitia Pitz elle-même, commencé en 2006 et qui sera présenté en septembre prochain.

Pierre GELIN-MONASTIER



Photographie de Une – Laëtitia Pitz (crédits : Pierre Gelin-Monastier)



 

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