Rebecca Vaissermann, entre silence et parole aux… vaches !
Rebecca Vaissermann est comédienne et écrivaine, de théâtre comme de roman. En 2013, elle publie Oubliés, son premier roman, aux éditions Parole Ouverte et obtient l’aide à la création d’Artcena pour sa pièce La Solitude. En 2017, elle écrit Je me souviens et Les Cerisiers en fleur, publiés chez Dramedition.
Avec sa pièce Salle de Traite, lauréate de la troisième saison du label Jeunes Textes en Liberté et de Texte en cours 2018, Rebecca Vaissermann est l’invitée des rencontres ALT du mois d’avril.
La soirée Emulsion Culturelle, ouverte à toutes et tous, aura lieu à Paris au Pitch Me ce vendredi 5 avril. Cette soirée proposera des lectures d’extraits de Salle de Traite ainsi que de multiples propositions artistiques inspirées par la pièce. Elle sera aussi l’occasion d’obtenir un exemplaire de la pièce, et de s’inscrire à la seconde soirée du mois, nommée Infiltration.
La soirée Infiltration, sur inscription, aura lieu à La Colline – Théâtre National le mercredi 17 avril. Elle réunira les personnes ayant souhaité lire la pièce. Cette soirée sera l’occasion de discuter avec l’autrice dans un cadre intime et convivial, et d’échanger au côté de lecteurs et lectrices curieux.
Entretien.
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Comment résumerais-tu ta pièce Salle de traite en quelques mots ? Peux-tu nous citer des éléments sensoriels pour nous mettre dans l’ambiance ?
C’est un texte dans lequel j’essaie de croiser les conditions actuelles des agriculteurs et la question de la condition animale. Pour moi, il y a deux éléments sonores : les vaches et le silence. J’espère faire entendre cet endroit de silence et d’impossibilité de dire. Les couleurs sont celles de la terre et des champs… Ça sent la terre mouillée, la sueur, la bouse. Et ça sent aussi l’argent.
Pourquoi t’emparer de ce sujet ?
Je m’intéresse à la condition des agriculteurs depuis assez longtemps, notamment parce qu’une partie de ma famille vit dans le Sud-Ouest, sur des terres agricoles. Pour cette pièce, j’ai eu un déclic en regardant BFM TV (chaîne que je regarde, non pas pour les informations en elles-mêmes, mais plutôt pour son côté révélateur d’un certain état de la société). Alors qu’une quelconque image est en plan principal, je lis, dans le mince bandeau des flashs : « Une agricultrice s’est pendue dans sa salle de traite. » C’est tout, une information jetée entre deux autres, et on passe à autre chose. On ne sait pas où, qui, ce qu’il s’est passé… Cette femme était dans l’anonymat le plus complet ; j’ai trouvé ce silence terrible. J’étais consciente du phénomène des suicides chez les agriculteurs mais en le voyant mis en scène de la sorte, j’ai eu envie d’écrire, de produire quelque chose. Je me suis demandé : « Qu’est-ce que je peux faire pour leur donner une voix ? »
En parlant de voix, tu donnes aussi la parole aux vaches dans cette pièce, puisqu’elles ont des lignes. Était-ce important pour toi ?
À l’origine, le récit a commencé avec leurs voix, ce qui n’était pas vraiment réfléchi. Pour moi, c’était une manière de présenter le paysan dans sa solitude, avec pour toute compagnie son troupeau de vaches. Je pensais d’ailleurs que le texte parlait beaucoup plus de cet agriculteur, et c’est en l’entendant lors d’une lecture que j’ai réalisé à quel point il parlait aussi beaucoup du troupeau ! Je suis dans une démarche d’écriture qui vise à ouvrir un espace de parole pour celles et ceux qui n’en ont pas. Au final, cela va donc dans la même logique.
Quelles ont été les réactions des premiers lecteurs ou auditeurs de la pièce ?
J’ai été assez surprise lors des mises en espace du texte, notamment celles de Jeunes textes en Liberté qui ont eu lieu à Paris. À ces deux occasions, des spectateurs sont venus me voir après la lecture, en me disant : « Je reconnais ce que vous avez écrit, car dans ma famille, il y a quelqu’un qui s’est pendu. » Sur deux lectures, quatre ou cinq personnes qui témoignent de cela, c’est beaucoup, qui-plus-est à Paris et pas en plein territoire agricole !
Pourquoi écris-tu du théâtre ? Et pourquoi y vas-tu ?
Mon écriture se développe à partir des sujets qui m’inspirent. En réalité, je dirais que la forme ne dépend pas vraiment de moi, mais d’eux. C’est le sujet en lui-même qui va se développer dans une forme ou dans une autre, suivant celle qui permet de l’aborder au mieux. Quand je vais au théâtre, c’est pour voir des choses sur la condition humaine, pour être bouleversée, pour avancer humainement et intellectuellement. J’attends d’un spectacle qu’il m’apprenne quelque chose. Ce n’est pas une question d’aimer ou non, mais de sortir en me disant : « Tiens, cela a modifié quelque chose en moi ». J’apprécie par ailleurs cet endroit où on est « ici et maintenant » avec des inconnus, à partager quelque chose ensemble. Tout ce monde réuni au même endroit ! Avant la pièce, je regarde les gens s’installer, j’écoute les bribes de conversations…
Un souvenir marquant ?
Mon premier immense choc théâtral fut la pièce Go down, Moses de Romeo Castellucci, au théâtre de la Ville, en 2014. C’était la première fois que je voyais un de ses spectacles, et cela m’a complètement transpercé. J’ai ressenti une immense sidération devant ce que l’artiste est parvenu à mettre en place sur le plateau, qui était transformé d’un bout à l’autre de la pièce. J’ai reçu de plein fouet une vanité de l’existence, quelque chose de la condition humaine… C’est un spectacle qui a changé ma vie.
Travailles-tu sur une nouvelle pièce ?
Je viens de terminer une réécriture du Bourgeois Gentilhomme, dans le cadre de la résidence 10 SUR 10. Cette résidence a, cette année, un partenariat avec la Comédie-Française : il s’agit de proposer une réécriture d’un texte de Molière, à destination de jeunes qui apprennent le français.
Un mot à partager avec les futurs lecteurs de ta pièce ?
Je crois qu’on peut parler de drame tout en donnant de l’espoir, et j’espère que cette pièce peut susciter des envies de renouveau ! « Le chœur des paysans en colère » et « les employés de l’abattoir », dans la pièce, font peut-être écho aux manifestations d’aujourd’hui…
Propos recueillis par Annabelle VAILLANT
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Soirées autour de Mauvaises herbes de Clara Benoît Casanova :
– Infiltration (inscription obligatoire)
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Crédits photographiques : Marie-Laure Roux