Festival OUI ! : Barcelone acclame le théâtre français
La troisième édition du festival de théâtre en français à Barcelone, plus connu aujourd’hui sous le nom de festival OUI !, vient de s’ouvrir hier à Barcelone. Durant une douzaine de jours, du 5 au 17 février, la capitale catalane va résonner du verbe de Molière, avec la présentation de sept spectacles – dont deux créations données en première mondiale, des rencontres, des lectures, un prix de la meilleure critique, etc.
Reportage.
Dans l’auditorium de l’Institut français à Barcelone, le public s’est donné rendez-vous, nombreux : ça parle en français, surtout, bien sûr, mais aussi en anglais, en castillan, en catalan… Très vite la salle est pleine, il faut ajouter des sièges, encore, encore. Près de trois cents personnes assistent ainsi au lancement du troisième festival de théâtre en français à Barcelone, devenu cette année le festival OUI !.
Rayonnement du théâtre en français à Barcelone
Mathilde Mottier et François Vila, fondateurs et directeurs de l’événement, sont à la fois heureux et sur tous les fronts, venant à notre rencontre avec un large sourire aux lèvres, jouant les intermédiaires entre les différents invités, accueillant en parfaits hôtes tous ceux qui œuvrent et soutiennent la promotion des artistes français à Barcelone.
Après les remerciements d’usage, Pascale de Schuyter Hualpa, directrice de l’Institut français de Barcelone et soutien majeur de la première heure, à qui il appartient d’introduire brièvement la soirée, s’émerveille devant « l’énorme public » présent, signe des liens étroits entre la France et la Catalogne, comme nous avons pu le constater depuis notre arrivée à Barcelone, à bien des occasions. « Ce festival est fait pour vous, par vous… C’est une fête quotidienne ! »
Au menu, outre la pièce du soir sur laquelle nous reviendrons :
– La Magie lente de Denis Lachaud, mise en scène par Pierre Notte avec Benoît Giros,
– Pas pleurer d’Anne Monfort, à partir du roman de Lydie Salvayre, Prix Goncourt 2014,
– Reconstitution de Pascal Rambert,
– Europe Connexion d’Alexandra Badea,
– Quand j’aurai mille et un an de Nathalie Papin, mis en scène par Jérôme Wacquiez,
– ou encore Soyez vous-même de Côme de Bellescize.
« C’est vous qui faites vivre la France et la culture française à Barcelone, donc merci à vous de travailler ainsi avec nous à ce rayonnement de la langue française dans cette belle ville », poursuit Anne Louyot, nommée en mars 2018 directrice générale de l’Institut français d’Espagne, qui comprend six Instituts français : Madrid, Bilbao, Séville, Valence, Saragosse et Barcelone.
Des rapports entre festivals et institutions, démocratisation et démocratie
« Ce festival et les pièces qui le composent font partie de la saison culturelle de l’Institut français d’Espagne, qui a pour thématique l’Europe, ajoute Anne Louyot, avec ses objectifs très ambitieux, ses difficultés, ses enthousiasmes, ses doutes, sa réflexion, avec l’horizon difficile mais magnifique qu’elle propose… »
Une intégration à la saison culturelle qui nous semble à première vue, en parcourant le programme, très artificielle, car rares sont les thèmes qui ont un lien direct, et même indirect, avec l’Europe comme telle, sauf à en faire une coquille vide, un fourre-tout artificiel, ce que d’aucuns regretteraient évidemment, à commencer par la directrice générale de l’Institut français d’Espagne.
Une intégration à la saison culturelle artificielle, donc, qui ne correspond pas à la réalité et heureusement finalement, les arts ne pouvant être régis par des instances étatiques, sous peine de perdre leur liberté, sous peine de voir la diversité culturelle réduite à un slogan politique et, plus grave encore, de contrevenir aux précieux « droits culturels » inscrits dans la loi, qui rappellent que toute politique culturelle doit dorénavant être bâtie avec les acteurs sur le terrain (associatifs, artistiques, institutionnels…) afin de laisser respirer les attentes locales.
À la démocratisation artistique qui visait à « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité », sous l’impulsion d’André Malraux (mouvement du haut vers le bas), a dorénavant succédé, philosophiquement et légalement, la démocratie culturelle, qui envisage chaque être humain comme une personne, comme un être en relations, comme une culture. C’est en associant toutes ces cultures vivantes qu’une politique culturelle publique devrait se tisser maintenant, ce sont les désirs locaux, évidemment fondés et structurés, qui devraient aujourd’hui guider le principe de subventions, comme mission de service public, si du moins l’on suit les différents textes législatifs, de la Déclaration de Fribourg à la récente loi NOTRe.
Anne Louyot doit en avoir conscience, elle qui évoque publiquement la belle aide apportée par le festival à l’Institut français, et, lors d’un entretien privé, le soutien apporté par l’Institut français de Barcelone qui accueille en partie le festival. Quant à l’apport madrilène, il n’est pas tant destiné au festival OUI ! qu’à l’organisation d’une tournée de quelques spectacles, présentés lors de l’événement catalan, dans les différents Instituts français en Espagne.
Radicalisation – Du théâtre du Soleil au festival OUI !
Parmi ces spectacles, il y a la création mondiale qui ouvre le festival : Désaxé de Hakim Djaziri, mis en scène par Quentin Defalt. Une belle surprise ! Trois comédiens sur scène : Leïla Guérémy, Florian Chauvet et Hakim Djaziri, pour interpréter le chemin vécu par ce dernier vers la radicalisation, lui le fils d’un haut dignitaire d’Algérie devenu vendeur de shampoings en France, lui l’enfant d’une des rares psychologues féminines du pays, devenue rebut de la ville d’Aulnay-sous-Bois. Hier un clan reconnu et respecté ; aujourd’hui une famille piétinée, humiliée. Ce qui fut honni – l’islamisme – devient un sillon de lumière pour l’enfant perdu.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette pièce, sur le texte, la mise en scène, le propos, le jeu… Nous aurons l’occasion d’y revenir ultérieurement, longuement, très bientôt. Car une telle proposition artistique mérite que nous la prenions au sérieux. Le public ne s’y est pas trompé, qui a fait revenir près d’une dizaine de fois les comédiens sur scène, à force d’applaudissements.
Le pari du festival OUI ! est amplement réussi après une telle entrée en matière. Rien de bien étonnant en somme, si l’on en croit Cyril Piquemal, consul général de France à Barcelone, qui nous confie après la pièce : « Ce festival m’a réconcilié avec le théâtre », en raison de la qualité de sa programmation, avant d’ajouter, avec un sourire amusé, mais sans ironie : « J’ai été marqué par Ariane Mnouchkine il y a quelques années, puis plus rien. Aujourd’hui, je peux dire qu’il y a le théâtre du Soleil, et le festival OUI ! à Barcelone. »
Nulle récompense plus belle pour un programmateur, pour Mathilde Mottier et François Vila, qu’un tel aveu, qu’une réconciliation par l’art.
Pierre GELIN-MONASTIER et Frédéric DIEU
Crédits photographiques : Rita Martinos
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