Rétrospective Ozu : du très grand art
Depuis le 1er août, dans plusieurs salles d’art et d’essai de Paris et de province, la rétrospective Ozu est l’occasion de voir ou de revoir quelques-uns des meilleurs films du maître japonais. Leur accumulation produit le même effet que la lecture trop rapprochée des livres de Patrick Modiano : ils s’accumulent et se perdent dans nos souvenirs, formant une masse aux contours indistincts.
Il faut dire que Yasujirō Ozu – comme Modiano – ne nous aide guère. Ses films aux titres interchangeables, sans lien avec leur contenu (Printemps tardif, Été précoce, Fin d’automne…), sont joués avec la même troupe d’acteurs fidèles (Chishū Ryū dans le rôle du père, Setsuko Hara dans celui de la fille, Haruko Sugimura dans celui de la tante…) et explorent indéfiniment les mêmes sujets, comme autant de variations autour d’un même thème.
Avec Voyage à Tokyo, Printemps tardif est souvent présenté comme le chef-d’œuvre d’Ozu. À raison. Car tous les éléments du cinéma du maître y sont poussés à un point de perfection jamais égalé.
On a beaucoup parlé de son art de la mise en scène. Chaque plan, filmé à ras de tatami – Ozu s’était fait construire des pieds spéciaux pour pouvoir abaisser sa caméra au ras du sol -, est soigneusement construit. Les arrières-plans ne sont jamais rectilignes, mais offrent toujours de savantes lignes de fuite. Si les dialogues ne sont jamais ennuyeux, c’est parce que la façon de les filmer est originale : les champs-contrechamps les filment face caméra – alors que l’usage est de décaler la caméra de l’axe du regard des personnages. Assis sur un tatami, les personnages sont filmés de trois quarts dos. Étonnamment, ces postures artificielles donnent une miraculeuse impression de naturel.
Voilà pour la forme. Mais c’est le fond du cinéma d’Ozu qui bouleverse. Quoi de plus simple, de plus ténu que le sujet de Printemps tardif ? Un veuf vieillissant et aimant une fille unique qui tarde à se marier, moins par manque de prétendants – elle est belle comme le jour – que par attachement à son père. Sublime sacrifice : le père feindra de se remarier pour convaincre sa fille de le quitter pour prendre époux. Le traitement n’est jamais languissant ; l’histoire nous surprend qui emprunte des voies qu’on n’attendait pas.
Un chef-d’œuvre… qu’Ozu répètera onze ans plus tard dans Fin d’automne, en modifiant légèrement le sujet. Ce n’est plus d’un veuf qu’il s’agit mais d’une veuve (interprétée cette fois-ci par Setsuko Hara qui jouait le rôle de la fille dans Printemps tardif) qui viendra lentement à bout des réticences de sa fille avec la complicité de trois amis de son défunt époux. Le ton est plus léger que dans Printemps tardif, presque bouffon quand Ozu se moque des fausses espérances de l’un des amis qui espère épouser la mère.
Printemps tardif se concluait par une scène d’anthologie : seul chez lui, sa fille alors mariée, Chishū Ryū pèle une pomme et sent s’abattre sur lui le poids de la solitude. On attendait Ozu et Setsko Hara au tournant onze ans plus tard. Qu’allaient-ils inventer pour surpasser cette scène indépassable, pour lui être fidèle sans la singer ? Le résultat est d’une simplicité désarmante. Du grand art…
Rétrospective Yasujirō Ozu en dix films
- Ressortie : août 2018
- Printemps tardif (1949)
- Été précoce (1951)
- Le Goût du riz au thé vert (1952)
- Voyage à Tokyo (1953)
- Printemps précoce (1956)
- Crépuscule à Tokyo (1957)
- Fleurs d’équinoxe (1958)
- Bonjour (1959)
- Fin d’automne (1960)
- Le Goût du saké (1962)
- Distribution : Carlotta Films
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