Le Bar Atteint à Belfort : de la roulotte alternative au bistrot culturel coopératif
L’association belfortaine Les Créatures est née en mars 2012, sous l’impulsion d’Hélène Henry-Fohr qui eut l’idée de participer aux événements culturels locaux dans une roulotte itinérante. L’animation d’un réseau d’échanges réciproques de savoirs fut – dès le départ – et demeure l’objectif de son initiative.
Mission accomplie, puisque ce projet a très vite permis de développer un vaste réseau de sympathisants, au point que, trois ans plus tard, l’association s’est muée en Société coopérative d’intérêt collectif* (SCIC), avec la plus importante programmation de l’aire urbaine.
Retour sur l’émergence d’un bistrot alternatif au croisement du tiers-lieu, de la scène et de la restauration, en privilégiant la transversalité culturelle. Comment ces activités se conjuguent-t-elles et quels avantages offre le statut de SCIC ?
« La roulotte, c’est le meilleur outil de com qui soit »
Antérieurement travailleur social et aujourd’hui gérante des Créatures, Hélène Henry-Fohr a décidé de créer l’association avec une collègue :
« On a sillonné la région pendant trois ans sur différents événements culturels en proposant une restauration bio et en animant un réseau d’échanges par le biais d’un arbre à savoirs. Sur cet arbre étaient épinglées les offres et les demandes de chacun. Très vite, d’autres personnes nous ont rejoint, dont Gaël, qui est aujourd’hui directeur de l’association. »
Par la suite et grâce à une amie, Hélène a visité un bâtiment à vendre situé au 25 rue de la Savoureuse, dans un quartier populaire de Belfort, qui est dès lors devenu le Bar Atteint. Il est composé d’une salle de restaurant et de spectacle de 100 m2, d’un étage avec bureau, loge et vestiaire, d’un sous-sol et d’une cour intérieure.
Une structure protéiforme…
Les Créatures animent trois activités distinctes : le Récitroc (Réseau d’échange réciproque des savoirs), le Char à BIA (bistrot itinérant) et le Bar Atteint (bistrot culturel). Ces trois structures cultivent les valeurs du développement durable, le principe étant de mettre l’espace à disposition des habitants et des associations.
Le succès du Bar Atteint se mesure à la diversité des manifestations qu’il abrite : « On a de tout ici : théâtre, musique, cinéma, débats publics, expos de peinture ou encore de la danse. Nous sommes en lien avec quasiment toutes les compagnies locales ; des scènes comme le Granit et la Maison de Beaucourt externalisent certains spectacles chez nous ».
La difficulté, c’est d’avoir de la visibilité car « on obtient moins facilement des subventions en étant un restaurant qu’en étant recensé dans une catégorie de salle musicale de jazz ou de rock par exemple ».
… que le statut de SCIC a permis de pérenniser
Afin de pérenniser ses activités, le passage du statut d’association à celui de SCIC fut décisif pour Les Créatures, entité entièrement autofinancée, comptant 99 membres associés.
« Notre passage à ce statut en avril 2015 nous a permis d’acheter le lieu trois mois après. Les souscriptions des associés, ainsi que certains dons et les soutiens moraux, ont permis de convaincre les banques et d’acquérir une somme de 30 000 euros. »
L’un des grands avantages de ce statut est d’offrir le droit de se constituer un trésor de guerre, c’est-à-dire des réserves impartageables. Comme l’explique Hélène Henry-Foh : « Sur chaque bénéfice, 35 % sont non-imposables et réservés d’office pour être, soit réinvestis, soit partagés entre associés ».
« Quand on est très pauvre, on ne s’autorise pas l’accès aux savoirs »
Si le but d’un tel lieu est de démocratiser l’accès à la culture, Hélène Henry-Fohr reconnaît qu’il est difficile d’intéresser les habitants du quartier aux activités du Bar Atteint ; une population d’initiés en profite davantage.
« Aujourd’hui on n’a pas encore réussi à faire rentrer des gens du quartier. Je pense que, quand on est très pauvre, on ne s’autorise pas l’accès aux savoirs, tout comme lorsqu’on est fauché, on n’entre pas dans certains magasins, car on ne se sent pas concerné. Il y a cependant beaucoup d’associations qui font des événements chez nous, en créant un lien entre nous et ces personnes. »
Le Bar Atteint va néanmoins devenir un chantier d’insertion, dispositif d’État destiné aux personnes en grande difficulté.
Vers une mutualisation des lieux alternatifs ?
Si Hélène Henry-Fohr s’est inspirée de lieux comme l’Entrepôt à Besançon, la Péniche Cancale à Dijon ou encore l’Usine à Belfort pour créer Les Créatures, il n’existe pas encore de réseau solidaire entre ces différents lieux alternatifs.
« Il faudrait qu’on y arrive, mais on est tous tellement la tête dans le guidon qu’on n’a pas le temps de s’en occuper », explique-t-elle. « Cela nécessiterait une structure extérieure à toutes les autres », ajoute Régis Di Giorgio, chef cuisinier du Bar Atteint, en recommandant de lire Les Tisserands d’Abdennour Bidar, qui fait état des structures émergentes manquant de lien entre elles.
Le passage du statut associatif à celui de Société coopérative d’intérêt collectif a heureusement permis aux membres des Créatures de marier facteurs humains et économiques. Par ailleurs, si la transversalité culturelle est essentielle à ce lieu indépendant, l’une de ses priorités est plus encore la diversité des publics.
Correspondant Bourgogne-Franche-Comté
* La société coopérative d’intérêt collectif (Scic) est une société coopérative constituée sous forme de SARL, SAS ou SA à capital variable régie par le code de commerce. Elle a pour objet la production ou la fourniture de biens ou de services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale. La Scic peut concerner tous les secteurs d’activités, dès lors que l’intérêt collectif se justifie par un projet de territoire ou de filière d’activité impliquant un sociétariat hétérogène ou multisociétariat, le respect des règles coopératives (1 personne = 1 voix), et la gestion désintéressée par un réinvestissement dans l’activité des excédents (en savoir plus)
Photographies : Le Bar Atteint à Belfort (crédits : Morgane Macé / Profession Spectacle)