« Quand j’aurai mille et un ans » de Nathalie Papin ou ce qui manque à l’homme augmenté
Auteure d’une vingtaine de pièces de théâtre publiées aux éditions de L’école des loisirs, Nathalie Papin est une figure majeure de ce que l’on appelle la « littérature jeunesse » et au sein de celle-ci, particulièrement, du théâtre à destination de la jeunesse. Mais l’on peut heureusement, bien qu’ayant cessé de se compter parmi elle, apprécier l’écriture de Nathalie Papin.
Il en va ainsi pour l’une de ses dernières pièces (avec Le Gardien des ombres), Quand j’aurai mille et un ans, qui fait se rencontrer deux enfants au milieu d’une station sous-marine plongée dans l’obscurité des profondeurs de l’océan. Rencontre étrange qui, en réalité, ne met pas en présence deux enfants mais un enfant rescapé d’un naufrage (une fille de onze ans) et un être humain « augmenté » (un garçon « qui aura mille ans »), issu non pas d’un père et d’une mère mais d’une « cellule créée », en ce sens aussi orphelin que l’enfant qu’il rencontre.
De manière simple, drôle et subtile, donc accessible aux enfants, Nathalie Papin expose le programme transhumaniste et sa promesse d’immortalité, disant bien la lassitude et la tristesse qu’il engendre chez ceux qui en « bénéficient », montrant aussi de manière salutaire ce qui lui échappe et qui confère à la vie son drame et sa beauté.
Anthroponymie prédictive
Cendi, âgée de onze ans, est réfugiée et rescapée. Elle a fui son pays en guerre et a voyagé, avec sa famille probablement, dans une embarcation de fortune qui a fait naufrage. Elle y a survécu grâce à son exceptionnelle capacité à retenir sa respiration et elle a ainsi pu échouer dans une station sous-marine située « quelque part dans les profondeurs de la zone mésopélagique », c’est-à-dire dans une zone située à une centaine de mètres sous la surface de l’océan. Une zone où la lumière ne pénètre plus.
Cendi y rencontre Mili, garçon qui a à peu près son âge, et Furoufushi, une très vieille dame de cent vingt-cinq ans (on connaît la longévité des Japonais, celle des Japonaises est encore plus étonnante…).
Ce qui pourrait être la rencontre de deux enfants se révèle être cependant la confrontation entre une enfant « normale », qui désire « simplement » vivre longtemps, cent dix-sept ans tout de même, mais de manière « naturelle », entre cette enfant donc et un garçon qui n’a rien d’un enfant puisqu’il ne vient pas de ses parents mais de la science.
Selon une subtile anthroponymie prédictive, Nathalie Papin inscrit dans le nom de ses deux héros l’âge qu’il atteindra, cent dix-sept ans pour Cendi et mille ans pour Mili. Mille ans, c’est-à-dire plus qu’Adam et tous les Patriarches, c’est-à-dire toujours.
Apophatisme de l’homme augmenté
Ce Mili est certainement la plus grande réussite de la pièce : à travers ce personnage, Nathalie Papin pousse à son extrême l’insensibilité, l’impassibilité et finalement la tristesse qui résultent d’une existence, qui est une condamnation à vie. Car Mili, qui est un produit de la science, qui a été conçu non dans un corps à corps mais dans une éprouvette, n’a jamais mal ; il ne souffre pas, ne pleure pas, ne dort pas. Son discours est apophatique et lancine autour de deux expressions (qui font songer un temps au « I would prefer not to » de Bartleby) : « pas ou plus besoin » et « ça va disparaître ».
Pas ou plus besoin des parents, pas besoin de lumière du jour, de rayon du soleil, pas besoin de dormir, pas besoin de mourir et pas besoin donc d’avoir des enfants pour remplacer ceux qui sont morts, finalement plus besoin de corps. Et, ça va disparaître – les limites, les descendants, la vieillesse (car on avancera en âge sans vieillir grâce aux vertus rajeunissantes procurées par les méduses), la faim, l’amour…
Restera donc une existence sans douleur et sans joie, sans joie plus belle de s’être levée sur la douleur. Restera donc une impassible perpétuité.
L’amour n’est pas au programme
Ce Mili si parfaitement programmé, si parfaitement décourageant, ne peut que susciter l’irritation de l’enfant « naturelle » qu’est Cendi. Elle incarne et manifeste l’enjouement, l’émotion, l’étonnement, la colère, la joie simple, tout ce qui est inutile à l’être humain augmenté qu’est Mili.
Ce qui n’était que confrontation lassante entre une véritable jeune fille et un garçon vieux de toutes les promesses de la technique prend une nouvelle tournure ; c’est là l’un des mérites de la pièce, quand la première prend les mains du second, lequel se met à briller (car il est aussi le premier être humain luminescent) et constate alors que son cœur s’est mis à battre plus vite que le programme de battements qui lui a été depuis toujours assigné. « C’est pas le programme. Mon cœur ne bat jamais vite », dit Mili paniqué qui essaie alors, mais sans grande conviction et sans beaucoup de succès cette fois, sa formule incantatoire : « L’amour ça va disparaître ».
L’amour n’est donc pas au programme, c’est plutôt une bonne nouvelle.
Par l’amour, le transhumain s’humanise, jusqu’à verser une larme (pas au programme non plus) lorsque Cendi décide de quitter la station sous-marine, jusqu’à prendre goût aussi à la nourriture naturelle (le bol de nouilles) qui était la sienne. Jusqu’à s’arracher au programme donc.
On peut alors trouver curieuse la fin de la pièce qui annonce le prochain retour de Cendi dans cette sombre station sous-marine : on se serait plutôt attendu à ce que Mili s’affranchisse là aussi de son programme et suive sa nouvelle compagne jusqu’à la surface de l’océan, jusqu’à la lumière du jour.
Mais cela enlève peu à l’émotion de la rencontre entre une jeune fille réchappée d’un naufrage et un jeune homme sauvé d’un programme.
À lire :
Nathalie Papin, Quand j’aurai mille et un ans, L’école des loisirs, 2018, 80 p., 7,20 €.
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