Lieux culturels émergents : arts des villes et arts des champs
La passionnante série d’articles de Cassandre Jolivet se poursuit avec ce cinquième et avant-dernier volet sur les propositions de lieux culturels, qui diffèrent en fonction des territoires. Auteure d’une thèse professionnelle, à la Burgundy School of Business de Dijon, sur les espaces culturels émergents, autrement appelés « espaces culturels intermédiaires », Cassandre Jolivet souligne les avantages de chaque territoire et dévoile certains préjugés.
Lieux intermédiaires (5/6)
Quand on pense à un lieu culturel alternatif, on l’imagine souvent dans une ancienne zone industrielle urbaine, réaménagée dans le cadre d’un vaste projet de régénération territoriale. Cette image a été bien explorée dans la recherche, les études se concentrant en majorité sur les espaces culturels émergeant en zones urbaines. Cependant, des projets de ce type se développent également en régions rurales et rencontrent d’autres enjeux, en partie dus aux caractéristiques territoriales. Quelles différences liées aux territoires observe-t-on dans l’organisation et la gestion de ces lieux ?
Une logique de départ similaire, mais des activités qui varient selon les territoires
Le phénomène de développement de ces lieux suit une logique qui, a priori, n’est pas influencée par le type de territoire. Le but est souvent de répondre à un besoin des artistes d’espace pour pratiquer et à une nécessité d’occuper des lieux laissés à l’abandon après un changement d’activité. On reconnaît qu’à partir de là, un espace culturel peut se situer aussi bien en zone urbaine qu’en zone rurale, les deux présentant une histoire qui a laissé des bâtiments susceptibles d’être utilisés à ces fins.
Dans les deux cas ils peuvent faire l’objet de l’intérêt des autorités publiques : en ville, la régénération doit souvent se faire vite car les métropoles sont exposées et peuvent devenir des vitrines de l’efficacité des politiques menées ; les campagnes sont des espaces qui se vident de plus en plus, où il est nécessaire de créer des nouveaux pôles d’attractivité, où la présence d’infrastructures culturelles peut donc être un facteur déterminant. Toutefois comme les zones rurales sont moins souvent au centre des attentions, les choses se font plus lentement, tendent à être moins soutenues et parfois ne durent pas, ce qui laisse penser à tort que les périphéries n’ont pas de compétences créatives¹.
Par conséquent, on identifie une première différence : en zone urbaine, l’apparition de ce type de lieux peut être due aux attentes que l’on a vis-à-vis des villes, à savoir qu’elles soient attractives et à la pointe des dernières tendances, alors qu’en milieu rural, il s’agit davantage de penser un écosystème qui va créer une dynamique économique et sociale locale.
Les zones urbaines, une longueur d’avance
Par leur densité, les zones urbaines présentent des avantages non-négligeables pour faciliter la mise en place et le fonctionnement d’un lieu culturel dit intermédiaire. Du côté des artistes, les métropoles accueillent de nombreux talents, attirés par les réseaux et le dynamisme, ou encore par des loyers attractifs quand cela fait partie de la politique pratiquée. Du côté des publics, on peut y trouver une population plus internationale et touristique, selon les villes.
Par ailleurs, les réseaux des villes facilitent le fonctionnement de ces lieux, avec souvent des infrastructures de transports très développées, et la présence de nombreux acteurs qui sont autant de partenaires potentiels pour faire vivre le lieu : entreprises, écoles, associations…
De même, ils sont parfois intégrés à un cluster urbain², permettant ainsi de travailler avec d’autres acteurs du même secteur, afin de répartir les coûts. Pour les artistes également, faire partie d‘un cluster est l’occasion d’échanger avec d’autres artistes et de trouver de nouvelles inspirations.
Les périphéries, victimes de préjugés mais valeur ajoutée : la dimension sociale
Les chercheurs ont reconnu et dénoncé l’image négative dont pâtissent les régions rurales sur le plan culturel ; ils en ont conclu que le manque de communication était la cause principale des préjugés. En effet, si les populations sont généralement peu informées de ce qui existe en milieu rural, c’est parce que les pouvoirs publics tendent à peu en parler³.
On peut toutefois admettre que les campagnes partent avec un désavantage : la difficulté d’attirer et de retenir les artistes. Une étude de 2013³ a en effet démontré que ceux-ci se rendent souvent en milieu rural pour un travail saisonnier ou dans le cadre de résidences ; par conséquent, ils ne s’installent pas de façon permanente ou restent dans des zones proches des villes pour combiner plusieurs activités. Porter un projet culturel intermédiaire dans un tel contexte semble alors relever du défi, quelle est la valeur ajoutée ?
En milieu rural, les projets émergents semblent avoir une plus forte dimension sociale. L’offre culturelle étant rare dans ces zones géographiques, leur rôle va au-delà de celui de producteur et de diffuseur. Ils sont des lieux d’échanges et de partages, où les communautés locales sont investies, par exemple à travers le bénévolat. L’accent est mis sur ce travail avec les habitants, car l’outil est aussi le leur. Par exemple dans la Drôme, la Gare à Coulisses est une fabrique artistique dédiée aux arts de la rue, située dans une ancienne friche SNCF et intégrée à l’éco-site du Val de Drôme. L’objectif est de se faire rencontrer les publics en proposant des spectacles pour tous et des ateliers.
Dans ces projets, on remarque aussi un engagement des artistes. Bien qu’ils tournent, ils apprécient ces temps d’échanges ainsi que la facilité de l’organisation, ce qui peut expliquer leur tendance à un retour en zones rurales.
Les différences observées sont ainsi dues aux spécificités des territoires, mais aussi parfois à un imaginaire collectif influencé par les préjugés sur les milieux ruraux. On retiendra cependant que ces projets émergents naissent à chaque fois dans un contexte bien particulier, qui ne dépend pas des seuls territoires mais aussi des individus qui les portent, et de leur histoire.
Cassandre JOLIVET
Lire aussi :
- 1/6 – Comment appréhender les espaces culturels émergents ?
- 2/6 – Lieux intermédiaires et lieux traditionnels, quelles différences ?
- 3/6 – L’économie sociale et solidaire au cœur du projet des lieux culturels émergents
- 4/6 – Lieux culturels émergents et pouvoirs publics : une relation à plusieurs facettes
Notes
1 Hall H., Donald B, “Innovation and Creativity on the Periphery: Challenges and Opportunities in Northern Ontario”, Martin Prosperity Institute, 2009
2 Boix R., José Luis Hervás O., Blanca De Miguel O., « Micro-geographies of creative industries clusters in Europe: From hot spots to assemblages», Papers in Regional Science, vol. 94, n°4, 2015, p. 753-773
3 Delfosse C., Georges P. M., « Artistes et espace rural : l’émergence d’une dynamique créative », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement, vol.2, n°19/20, 2013, p. 60-76
Photographie de Une – La Gare à Coulisses (DR)