Le numérique dans l’art : des mutations professionnelles (2/4)

Le numérique dans l’art : des mutations professionnelles (2/4)
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La reconfiguration par le numérique des pratiques professionnelles n’a pas épargné le secteur culturel et artistique. Professionnels ! À quelle sauce êtes-vous mangés ?

Deuxième volet d’une série de quatre articles sur le numérique dans l’art.

« La crise sanitaire du COVID-19 a précipité plusieurs évolutions amorcées auparavant. Le numérique est devenu indispensable au quotidien, que ce soit au travail (succès des plateformes de visioconférence comme Teams, Skype ou Zoom), pour consommer (développement du click and collect, des drives et plus largement des achats en ligne), dans les loisirs ou les relations sociales (les «apéros zoom», les applications de discussion instantanée comme WhatsApp, les réseaux sociaux tels que Facebook) », explique Maud Navarre dans un article intitulé « Des crises naissent les changements ».

Le numérique et les nouvelles technologies révolutionnent nos façons de faire et de penser, au travail comme dans notre vie privée. Ainsi, les structures professionnelles doivent adapter leurs organisations de travail et leurs pratiques, sans cesse, afin de faire face à la concurrence et répondre aux attentes des équipes, publics, usagers…

La reconfiguration par le numérique des pratiques professionnelles n’a pas épargné le secteur culturel et artistique. Les plates-formes sont devenues les nouvelles scènes ; les réseaux, des nouvelles vitrines qui aident à moderniser l’image des structures vis-à-vis de publics plus jeunes, éloignés, moins habitués.

Comment ces professionnels ont-ils apprivoisé ces changements au sein de leur organisation de travail ?

Le numérique et les nouvelles technologies transforment profondément les métiers, les manières de collaborer mais également de communiquer. Cette transition vers des nouveaux métiers nécessite de repenser l’écosystème du travail et imaginer de nouveaux modes de représentation, de conception, d’organisation, d’échange, de production et de médiation.

Suite de notre tour d’horizon !
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Lire le premier volet :
Le numérique dans l’art : vous reprendrez bien un peu de numérique ? (1/4)


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Comme précédemment, la majorité des données présentées proviennent de l’état des lieux de l’impact du numériquedans les arts de l’association du TMNlab.

Professionnels ! À quelle sauce êtes-vous mangés ?

Un phénomène de fragilisation des compétences des équipes

Les structures et les équipes professionnelles sont emportées par le courant du tout numérique. Cette tendance digitale « invite à se saisir des enjeux sans injonction ni uniformisation mais avec curiosité ».

Les structures interrogées par le TMNlab mettent en place des dispositifs numériques, principalement fondés sur la volonté et l’envie des équipes : « Sur le terrain, dans deux tiers des structures ayant des missions formalisées liées au numérique, 60 % des personnels concernés sont autodidactes, et la formation des équipes repose plus sur de la veille active et l’échange entre pairs (72 %) que sur des formations transversales (42–44 %). »

La transformation numérique est un élément de contexte qui peut être parfois affirmé par des politiques internes. Malheureusement, il semblerait que l’effet de tendance du numérique impose des prises de décision et des ajustements rapides qui manquent de stratégie, cela au détriment des équipes. Elles doivent acquérir des nouvelles connaissances, dès l’arrivée d’une nouvelle technologie numérique, sans avoir défini au préalable un parcours de formation. Même la crise sanitaire n’a pas incité beaucoup de lieux à proposer des formations sur le numérique, alors que le temps s’y prête davantage.

Cela engendre un phénomène de fragilisation des compétences des équipes qui travaillent avec des lacunes sur le plan des outils et de la culture numérique. Les structures culturelles tentent de s’entourer de profils opérationnels, souvent jeunes, avec de lourdes responsabilités.

Si la formation aux enjeux du numérique est absente, comment faire évoluer les savoirs et savoir-faire des équipes de façon ambitieuse et durable ?

Un peu de silence !

La principale difficulté avec le numérique réside dans le fait de pouvoir être connecté partout et à tout moment, si bien que certains déclarent des formes de dépendance. Les acteurs de la santé évoquent le syndrome FOMO, « Fear Of Missing Out », aussi appelé anxiété de ratage, qui s’apparente à de l’anxiété sociale marquée par la peur permanente de manquer une nouvelle importante ou un autre événement quelconque.

Ces troubles liés au numérique, l’extension du travail, la charge mentale, la veille active… nous amènent à nous questionner sur l’éthique et le droit du travail, notamment sur le droit à la déconnexion. L’arrivée du COVID-19 a permis la démocratisation générale du télétravail qui a réduit fortement la frontière entre vie privée et vie professionnelle. Le droit à la déconnexion, c’est-à-dire le droit d’un salarié à ne pas être connecté en dehors des heures de travail, doit être appliqué par les managers au nom de la santé mentale, ainsi que physique, des équipes salariées.

Entre sensation d’enrichissement et de saturation, les équipes dénoncent une suractivité numérique liée à la « dimension ‘’vertigineuse‘’ de la technologie », qui questionne la nécessité d’un « silence numérique ». Ainsi, une prise de recul, une sobriété, voire un silence numérique, doivent être au cœur des préoccupations des structures, notamment dans une démarche RSO.

Dans ce contexte, les structures interrogées évoquent leurs regrets de ne pas être accompagnées suffisamment « par les pouvoirs publics ou tutelles de référence : en termes de moyens humains, de ressources professionnelles, de formation, de lignes budgétaires, de reconnaissance et valorisation des métiers liés au numérique… »

L’intervention des politiques pour une politique du numérique

L’étude du TMNlab est « une photographie utile au positionnement des professionnels, mais également un outil pour définir les modalités d’une politique numérique du ministère spécifique au spectacle vivant et aux arts visuels, répondant aux grands enjeux comme l’ouverture des données, la création de communs ou la sobriété numérique. »

Le TMNlab s’est intéressé à la façon dont les acteurs culturels se sont appuyés sur le numérique, notamment en période de confinement, et s’interroge sur les enseignements à en tirer pour des propositions de politiques culturelles.

En quoi consisterait cette construction d’une politique culturelle numérique ? Vincent Guillon et Emmanuel Vergès tentent de répondre à la question dans un dossier consacré par la revue de L’Observatoire des politiques culturelles (été 2021), à « l’art d’humaniser la civilisation numérique ». Ils mettent en avant « onze dilemmes de politique culturelle pour le numérique » par lesquels nous pouvons comprendre la difficulté d’application d’une politique culturelle en faveur du numérique. « En redéfinissant ce que nous entendons par service public et intérêt général en matière de culture, les réponses qui y seront apportées constitueront le socle des politiques culturelles à venir : celles des sociétés digitalisées du XXIe siècle. »

Malgré tout, ce sont les acteurs culturels, par l’expérimentation puis le partage et l’échange, qui construisent ensemble les réponses culturelles et numériques de demain.

« Tandis que 3/4 des structures entrevoient la possibilité d’un rapport augmenté à l’œuvre, […] 37 % des lieux estiment que la nature de leur mission est incompatible avec la transformation numérique. »

Une grande majorité des structures interrogées ne savaient pas encore si elles maintiendraient les diffusions en ligne. Certaines ont annoncé vouloir maintenir les actions mises en place. Selon elles, la diffusion numérique est un outil de communication pour les structures artistiques qui permet de conserver le lien avec le public. Elles mettent en avant la bonne intégration des formes numériques dans leur programmation artistique.

Le numérique semble offrir des opportunités d’évolution pour des lieux tout en présentant un intérêt économique.

A contrario, d’autres souhaitent abandonner certaines actions numériques, déclarent manquer de moyens et de temps pour la création artistique, comme évoqué précédemment, et ajoutent que « le numérique reste antinomique avec la nature même de l’activité de spectacle vivant, qui doit impérativement se faire en présentiel lorsque cela est possible. »

À suivre…

Laura-Lou REY

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Lire les précédentes chroniques de Laura-Lou Rey, de l’éveilleur SCOP :
Le numérique dans l’art : vous reprendrez bien un peu de numérique ? (1/4)
La participation : si on changeait de posture ? (2/2)
La participation : évolution des pratiques (1/2)
L’entraide dans la culture : la nécessité d’une logique éco-responsable (2/2)
L’entraide dans la culture : une urgence d’agir pour le collectif (1/2)

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Porteuse d’un projet intermédiaire, la coopérative avignonnaise l’éveilleur se définit comme un trait d’union entre les arts, l’écologie et le numérique. À la recherche d’un équilibre du vivant, les membres de la SCOP s’inscrivent dans une dynamique de changement écologique et social au cœur d’un écosystème créatif par l’expérimentation et l’innovation. L’éveilleur souhaite faire rayonner la participation citoyenne sur son territoire pour favoriser l’expression de chaque singularité et l’émancipation individuelle et collective. L’éveilleur tient une chronique mensuelle dans le journal Profession Spectacle depuis octobre 2021.


 

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