La santé et la paix
Où notre chroniqueur, s’apercevant qu’il ne parvient à fuir les actualités, se demande ce qu’il pourrait bien en faire…
Si tu possèdes une bibliothèque et un jardin, tu as tout ce qu’il faut.
Cicéron
Comme les musiques commerciales à rébellion prétendue s’infiltrent on ne sait comment, de parkings souterrains en supermarchés, les actualités, lors même que l’on souhaite tout à fait s’en passer, nous parviennent, en léger différé, de conversations de collègues en discussions de café, à un degré d’altération très grand et souvent assez drôle ; elles sont pourtant encore plus dégueulasses, standardisées, industriées de sérié et montées à la va-vite par de mauvais menteurs, que les musiques précédemment évoquées…
Il ne faut donc pas s’étonner qu’elles soient, ces musiques mondaines et ces actualités journalistiques, sur le point de constituer les plus solides piliers de ce qu’on ose encore appeler la culture — horrible chose contre laquelle personne ne cherche de vaccin (restez chez vous).
Il faut dire, pour la défendre un peu, cette culture, que le commentaire infini à prétention artistique, cette valeur ajoutée, de mensonges affreux — en pensée, en parole, par action et par omission, pour utiliser tel repère orthonormé — s’ingère beaucoup mieux accompagné d’un long dégueulis prémâché de musiquettes binaires et entraînantes à taux de rébellion autorisée variés.
C’est par ces moyens insidieux, donc, que j’ai récemment appris un changement de je ne sais trop quoi au 15 février dans le fameux passe vaccinal permettant d’appartenir, même provisoirement, à la race sanitaire supérieure ; ainsi qu’une éventuelle guerre en Ukraine, qui serait hypothétiquement initiée incessamment par des Russes qu’on dirait décongelés de la Guerre froide et rejouant à l’envers la crise des missiles de Cuba — guerre au surplus que le président Macron, cette tête de pont, serait parvenu à éviter ou reporter, grâce à des qualités diplomatiques dont il n’avait jusque là pas fait preuve. Tout cela, évidemment, est un foutu tas de bêtises superficielles, un récit de pure propagande à destination des opinions publiques — dictatures intégralement manipulées.
Je me doute bien que les grands reporters de nos journaux chéris à la solde de milliardaires ne se sont pas lancés dans de grandes investigations ; cette fable que le pouvoir réel continuerait d’être détenu intégralement par des chefs d’État assimilés à leurs caricatures, est assez amusante. Les journées des patrons des grands groupes pharmaceutiques, ni celles des grands marchands d’armes — pas seulement des légales —, dans leur versant professionnel comme dans leur versant intime, ne nous seront pas contées, ni même seulement évoquées. Cela, somme toute, n’est pas censé exister. On doit pouvoir trouver là, pourtant, des Docteur Folamour d’un acabit nouveau, qu’il s’agisse de soigner, contrôler ou tuer — voire les trois.
Bien plus qu’aux hommes de paille immédiatement révocables qui jouent à diriger des démocraties qui n’en sont pas, c’est pourtant à ces psychopathes discrets, impeccables hommes d’affaires humanistes, que nous devrions nous attaquer, par la farce plutôt que par la tragédie. Avec ce luxe étrange, cette liberté, puisqu’ils sont quasiment inconnus, de les inventer, les caricaturer, les orduriser à souhait dans leur vernis philanthrope. Ces types, dans tous les sens, sont à inventer.
Mais ne sommes-nous pas tous pris, incessamment, dans un long flot de commentaires de ce dont il nous est parlé par ces médias nous disant de quels politiciens qu’ils ont eux-mêmes fabriqués il faut avoir une peur bleue ? Houlala, houlala, nous craignons le retour des pétainistes et présentons nos laissez-passer aux autorités compétentes. Hum.
En attendant, si j’en ai les capacités, ce qui n’est pas gagné d’avance, de me lancer dans ce type de travail très méchamment farcesque, j’écris dans ma bibliothèque — dont l’avenir même ne semble pas assuré. Ainsi que l’attesterait cette série d’hyperbrèves originalement intitulées Bibliothèque, dont voici un extrait — les prénoms des personnages, un frère et une sœur, sont provisoires.
La scène est dans la bibliothèque.
HIACINTE — Que va-t-on faire des livres ?
LÉANDRE — Les revendre.
HIACINTE — Ça ne se vend plus. Ou très peu cher. Et plus que rarement. On les jette ?
LÉANDRE — On les jette. Pauvre vieux. Quand je pense au stock de fric immobilisé là.
HIACINTE — Quel con.
LÉANDRE — Tu m’étonnes.
HIACINTE — Vivement qu’il crève.
Fin
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Avec un goût prononcé pour le paradoxe, la provocation, voire la mauvaise foi, le dramaturge, metteur en scène et comédien Pascal Adam prend sa plume pour donner un ultime conseil : « Restez chez vous » ! Tel est le titre de sa chronique bimensuelle, tendre et féroce, libre et caustique, qu’il tient depuis janvier 2018. Un recueil choisi de ces chroniques paraîtra aux éditions Corlevour en 2022.