Le numérique dans l’art : vous reprendrez bien un peu de numérique ? (1/4)
Le numérique est devenu omniprésent et incontournable dans tous les secteurs. Comment le monde artistique s’en est-il emparé ? Où en sommes-nous ?
Ces dernières décennies, les acteurs culturels, du spectacle vivant comme des arts visuels, ont essentiellement travaillé aux déploiements de leurs activités au sein des lieux culturels et parfois hors les murs. Le numérique exerçait alors une fonction support dédiée aux missions de médiation et de communication. Progressivement, il a modifié les comportements, les activités et les pratiques, devenant un point stratégique pour les professionnels.
Depuis 2020, après plusieurs périodes de confinement qui ont engendré la fermeture prolongée des lieux de culture, les structures artistiques ont dû, pour survivre, trouver leur place dans un territoire plus seulement géographique, mais également numérique.
L’internet est, presque instantanément, devenu un troisième espace de travail pour produire, soutenir et diffuser la création, démocratiser l’accès à la culture, encourager les pratiques amateurs, développer les publics…
La culture étant plus que nécessaire dans un contexte marqué par une crise sanitaire, les professionnels ont proposé leurs activités au travers d’outils digitaux pour maintenir le lien avec les publics, et se sont inscrits dans des démarches collectives pour faire face aux difficultés rencontrées par le secteur.
Quelles nouvelles pratiques culturelles se sont développées autour du numérique ? Quels impacts peuvent-elles avoir sur les structures artistiques, les métiers, les publics et sur l’environnement ? Quelles évolutions devrons-nous conserver, modifier ou abandonner ?
Après un premier état des lieux de l’impact du numérique dans les arts en 2016, l’association TMNlab, réseau de professionnels de la communication, de la médiation et des relations avec les publics du spectacle vivant, a travaillé à l’actualisation de l’étude en 2021.
À partir d’un questionnaire, les membres ont tenté de comprendre la manière dont les 549 structures culturelles répondantes intègrent les enjeux, outils et usages liés au numérique.
Il faut noter que les structures interrogées sont soit labellisées par le ministère de la Culture (44 %), subventionnées par une collectivité hors labels et réseaux nationaux (14 %), d’un réseau ou d’une appellation nationale (13 %), régie d’une collectivité (10 %), des théâtres nationaux, établissement public national (3 %). Les 16 % restants correspondent aux structures privées et autres.
N.B. : la majorité des données présentées proviennent de ce rapport.
Tour d’horizon des pratiques numériques dans le secteur culturel et artistique
Certaines activités du secteur culturel ont été plus fortement affectées, en voici trois exemples…
Des ambitions artistiques restreintes par le manque de moyens financiers et humains
Les artistes se sont rapidement pris au jeu des technologies numériques ; faut-il rappeler que le monde artistique a toujours utilisé les outils que le progrès a pu mettre à disposition ?
Ces nouvelles technologies viennent renouveler les propositions artistiques. Tant et si bien que nous pouvons nous questionner sur la place du numérique dans la création : introduit-il un nouveau courant artistique ou est-il un media à part entière ?
En plus de permettre l’émergence de formes nouvelles, la création artistique numérique va à la rencontre et questionne des nouveaux publics. Mais le numérique est complexe, il demande un fort investissement financier et humain.
Les structures interrogées déclarent effectivement manquer de compétences pour accompagner les projets de création numérique qui sont freinés par le « manque de moyens pour l’acquisition de certains outils, des lieux aux architectures non adaptées, des risques de faire face à des défaillances techniques, avec des retombées sur la diffusion et l’image de l’organisation, l’obsolescence rapide des technologies, le temps imparti (long) pour le montage des créations (d’un point de vue artistique comme de la production et de la technique), des jauges parfois nécessairement réduites, des complexités juridiques sur les droits d’auteur, et enfin, des lignes de subventions pas toujours claires avec lesquelles il est difficile de faire coïncider les projets. »
Outre ces enjeux, quid de la qualité performative des artistes ?
Noyée par l’arrivée régulière des nouvelles technologies et leurs utilisations, ne risque-t-on pas de délaisser la performance artistique dans le spectacle vivant au profit d’une performance numérique ?
Une médiation à double tranchant
Selon 75 % des répondants, le numérique offre une diversification des formats de médiation. À cheval entre le développement des publics et la communication, nous observons de nombreuses innovations en ligne (vidéos promotionnelles autour de la programmation, podcasts, articles, relais de contenu, cours, conférences et ateliers en ligne, visites virtuelles, jeux d’acquisition des publics et d’animation de communauté, etc.).
Concrètement, la médiation a été bouleversée par le numérique. « Les structures y voient l’opportunité d’une accessibilité augmentée à leurs propositions, d’une meilleure connaissance des publics, la possibilité de mobiliser de nouveaux publics, de fidéliser des publics existants, voire de “créer une communauté numérique axée sur le lien social”. »
Malgré tout, certains dénoncent « une dématérialisation des relations, la stagnation des nouveaux publics et une sollicitation accrue des publics ».
L’enjeu relationnel est considérable. Certes, le numérique est un moyen pour répondre aux changements de pratiques et pour lutter contre l’éloignement, mais nous sentons-nous moins seul derrière nos écrans ? Et qu’en est-il de la fracture numérique ?
Alors que de plus en plus de monde souffre de solitude dans un monde hyper connecté, les actions de médiations en ligne ne peuvent exister qu’en complémentarité avec des actions en présence, sinon comment créer des nouveaux liens solides et réels ?
Le piège de la diffusion en ligne
La diffusion de spectacles sur l’internet a connu un vrai succès pendant la période de confinement. Cette pratique, qui était encore timide il y a trois ans, perdure même après la réouverture des lieux culturels.
Certains ont mis en place le livestreaming avec ou sans public, d’autres ont diffusé des captations en ligne, quand certains organisent même des événements dédiés à une diffusion sur le web.
Les spectateurs sont-ils vraiment au rendez-vous ?
Assurément, cette diffusion facilite l’accès aux œuvres artistiques (selon les structures interrogées, 84 % des œuvres sont accessibles gratuitement) et renforce la mission de sensibilisation (gain, image et notoriété).
Mais faut-il toujours plus de propositions artistiques, plus d’accès, plus de gratuité, alors que nous savons que le secteur du spectacle vivant arrive à saturation, que certains artistes n’arrivent pas à en vivre et se trouvent dans des situations précaires ?
L’internet offre, une nouvelle fois, des possibilités infinies qui ne sont pas satisfaisantes pour les droits des artistes. Cela impacte aussi les programmateurs qui se retrouvent alors à prendre en compte les diffusions en ligne lors de la construction de leur programmation pour limiter la concurrence.
Ces évolutions questionnent fortement le modèle économique et stratégique des acteurs professionnels : que rapporte une vue ? Sur quelle ligne de financement s’appuyer ? Comment éviter les risques contractuels et sécuriser les artistes ? Comment reverser les droits d’auteur ?
Des nouveaux rôles, des nouveaux métiers pour un nouveau modèle…
Ces trois exemples démontrent la complexité du numérique, mais aussi un fort engouement des acteurs pour ces nouvelles technologies. Certains acteurs s’engouffrent dans la spirale du numérique pour rester « dans la tendance » sans avoir, en amont, défini de stratégie digitale ; en excluant de fait certains publics et au détriment d’artistes non-rémunérés et de professionnels insuffisamment formés…
À suivre…
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Lire les précédentes chroniques de Laura-Lou Rey, de l’éveilleur SCOP :
– La participation : si on changeait de posture ? (2/2)
– La participation : évolution des pratiques (1/2)
– L’entraide dans la culture : la nécessité d’une logique éco-responsable (2/2)
– L’entraide dans la culture : une urgence d’agir pour le collectif (1/2)
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Porteuse d’un projet intermédiaire, la coopérative avignonnaise l’éveilleur se définit comme un trait d’union entre les arts, l’écologie et le numérique. À la recherche d’un équilibre du vivant, les membres de la SCOP s’inscrivent dans une dynamique de changement écologique et social au cœur d’un écosystème créatif par l’expérimentation et l’innovation. L’éveilleur souhaite faire rayonner la participation citoyenne sur son territoire pour favoriser l’expression de chaque singularité et l’émancipation individuelle et collective. L’éveilleur tient une chronique mensuelle dans le journal Profession Spectacle depuis octobre 2021.