RSO et culture : “Sans planète vivante, pas de spectacle vivant !”

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La question de la responsabilité sociétale des organisations (RSO) a pris une importance considérable au sein du milieu culturel, surtout depuis l’irruption de la pandémie. Une démarche urgente, aux forts enjeux environnementaux et sociaux.

« Se poser la question d’avoir ou non le temps pour entrer dans une démarche de RSO, cela revient à dire que c’est optionnel. Or ce n’est pas une option, puisque la survie de nos organisations en dépend. » La parole jaillit comme un cri du cœur. Il est celui d’une jeune femme qui participe à l’atelier collaboratif organisé par l’association Opale dans le cadre du forum Entreprendre dans la culture.

Ce temps de réflexion et d’échange, mené par Claire Chaduc, fondatrice d’Alterculture, et Lucile Rivera-Bailacq, co-directrice d’Opale, a souligné l’importance de la responsabilité des organisations vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société et la nécessité d’une démarche qui soit à la fois individuelle et collective.

La RSO : une prise de conscience majeure avec la pandémie

Après avoir travaillé pendant une vingtaine d’années dans le réseau des scènes labellisées du spectacle vivant, Claire Chaduc éprouve le besoin de faire un pas de côté et s’intéresse à la démarche de « responsabilité sociétale des organisations » (RSO). Elle crée Alterculture, travaillant avec Opale et Artis, l’agence culturelle régionale de Bourgogne-Franche-Comté, à un guide – qui vient de paraître – sur la mise en œuvre de la RSO dans le spectacle vivant.

« Depuis un an et demi, je ressens vraiment une prise de conscience plus forte sur cette question de la responsabilité sociétale des organisations, explique Claire Chaduc. Il y a une question de Laure Noualhat, journaliste environnementaliste, que je trouve particulièrement éclairante : “Quelle éthique personnelle guide ma manière d’être au monde ?” Depuis un an et demi, nous sommes tous questionnés sur notre manière de vivre, sur notre avenir. Chacun est porteur d’un projet de société, si l’on est un tant soit peu éveillé à ce qui se passe autour de nous, et même si nous sommes plus ou moins capables de l’énoncer, de le définir. »

Avec Alterculture, Claire Chaduc questionne le désir des organisations à élaborer un projet collectif, dans une dynamique altruiste. L’idée est d’interroger sur la manière dont nous menons notre activité et les ressources à mettre en œuvre pour travailler dans une société plus juste et équitable.

Une démarche personnelle pour une dynamique collective

Si la dimension collective est fondamentale, Claire Chaduc met en exergue la démarche éminemment personnelle que nécessite la RSO, afin que les résultats soient efficients et vraiment transformateurs.

« Il y a deux conditions pour que cette démarche aboutisse : un engagement sincère, marqué et assumé comme tel par les instances dirigeantes, et un mouvement d’assentiment de l’ensemble des salariés d’une structure, confirme-t-elle. C’est d’abord une démarche individuelle, avant d’être collective, parce qu’elle questionne chacun de nous sur l’endroit où l’on se situe par rapport à ces enjeux. Cela implique un non jugement, et plus encore un respect du vécu, de la sensibilité et de la conscience de l’autre, car nous n’avons pas tous les mêmes niveaux d’information et de conscientisation. »

La RSO, pour reprendre les termes d’un participant à l’atelier, « n’est pas une montagne à affronter, mais un chemin à emprunter ». Une affirmation avec laquelle Claire Chaduc résonne. « On ne sait pas d’emblée où l’on va, on n’a pas décidé d’un objectif précis, reconnaît-elle. Nous accompagnons davantage un flux, une trajectoire collective, une dynamique qui va être définie par l’ensemble de l’organisation. »

Des objections courantes à la RSO

L’un des obstacles les plus courants à la mise en œuvre d’une démarche de RSO, c’est le temps. Flux, trajectoire, dynamique, changement, accompagnement… Autant de termes qui impliquent un investissement sur le temps long. « Je ne pense pas que ce ne soit qu’une démarche personnelle, témoigne un participant. Si la direction ne nous donne pas de temps, on n’en a pas. C’est tout. Il ne faut pas oublier qu’il y a des problèmes structurels dans quantité d’entreprises. » Une participante du secteur culturel évoque quant à elle des oppositions de tutelles aux velléités d’une équipe à changer les choses.

Ces objections, Claire Chaduc les entend. « La RSO peut effectivement apparaître comme une démarche contraignante dans un secteur où l’on travaille tous à flux tendu, admet-elle. Je l’ai vécu moi-même pendant des années : on a rarement le temps de se poser, de s’interroger sur la manière dont on travaille. Voir arriver cette dynamique de RSO peut être vécu comme un énième truc énergivore, chronophage, alors que tout dépend de l’angle avec lequel c’est abordé. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il s’agit d’une opportunité extraordinaire de transformation individuelle et d’organisation collective. »

S’il s’agit d’une démarche personnelle avant tout, alors il est possible d’y aller par petits pas. Pour une des participantes, la RSO n’ajoute pas du temps à l’existant, mais constitue une transformation de paradigme, d’organisation du travail.

Mais dès lors que l’on met en avant la démarche personnelle « avant tout », il y a le risque de penser qu’elle n’a aucun impact véritable, sinon de se donner bonne conscience. En comparaison avec les « vrais » problèmes, la RSO paraît dès lors bien naïve…

« Ça fait un peu penser à du greewashing, quand on sait que 80 % des effets de serre sont dus aux seules industries du gaz, du pétrole et du charbon, s’interroge un participant. Qu’est-ce que cela peut bien faire que je change ma manière d’agir ? » À l’échelle de la vie de la planète, l’impact individuel est en effet négligeable. Mais par effets cumulés, lui répond un autre participant, par une dynamique de plus en plus collective, cela prend une tout autre dimension.

ONU - Objectifs de développement durable (ODD)

ONU – Objectifs de développement durable (ODD)

Des objectifs de développement durable à la RSO

Reste qu’il ne s’agit pas d’une préoccupation uniquement individuelle… En septembre 2015, cent quatre-vingt-treize pays ont adopté à l’ONU un programme de développement durable, qui identifie dix-sept objectifs de développement durable (ODD) à atteindre d’ici 2030. Cela va de la protection de la planète à l’éradication de la pauvreté en passant par la réduction des inégalités, l’accès à l’éducation ou encore une production et une consommation responsables.

C’est dans ce cadre que s’inscrit la RSO. « C’est la contribution des organisations – entreprises, associations, etc. – aux enjeux du développement durable ou, pour reprendre un terme que je préfère, soutenable, explique Claire Chaduc. En d’autres termes, c’est la responsabilité des organisations vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société. »

Mais pour autant, la RSO n’est pas l’émanation des ODD. Cinq ans avant l’adoption de ces dix-sept objectifs, la norme européenne ISO 26 000 sur la responsabilité sociétale avait déjà dégagé sept questions principales, dans une approche holistique et d’interdépendance. Au cœur, il y a l’enjeu de la gouvernance, autour de laquelle gravitent les droits de l’homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs et les communautés en lien avec le développement local. Sept questions, donc, qui constituent autant de lignes directrices pour les organisations et les personnes qui les constituent.

« Ce qui est intéressant dans la feuille de route de l’ONU, c’est de voir la transversalité de ces enjeux, poursuit la fondatrice d’Alterculture. La RSO constitue une modalité de réponse de l’organisation à toutes ces interpellations sociétales. »

Norme ISO 26 000 - 7 questions centrales

Norme ISO 26 000 : les 7 questions centrales

 

La RSO appliquée au secteur culturel

Comment la RSO peut-elle être interprétée et appliquée par les artistes et tous ceux qui travaillent dans le secteur ? « La porte d’entrée dans la culture, c’est bien souvent l’impact écologique et environnemental, constate Claire Chaduc. Il y a déjà une vingtaine d’années que des festivals travaillent sur ce sujet, parce que c’est le plus visible et le plus concret : quand, au bout de trois ou quatre jours de festival, un terrain naturel est laissé avec des rangées de déchets, ça parle immédiatement ! C’est évidemment plus compliqué avec la pollution numérique, qui ne se voit pas. »

Parmi les initiatives récentes, il y a le travail de The Shift Project, un groupe de réflexion qui œuvre à la « décarbonisation » du secteur culturel, en interaction avec de nombreux autres secteurs économiques, par la production d’études pointues et de données précises et par une action d’information auprès des décideurs politiques et de l’opinion publique.

« La question environnementale n’est cependant pas la seule sur laquelle nous devons travailler, il y a aussi la question sociale et celle liée aux inégalités de genre, poursuit la fondatrice d’Alterculture. La Convention citoyenne pour le climat avait par exemple comme feuille de route de travailler sur des transitions socio-écologiques, car il est devenu difficile de parler de l’une sans évoquer l’autre : on voit bien que les crises climatiques touchent les plus vulnérables. »

Ces enjeux divers ont été pris en compte dans l’important travail mené par COFEES, collectif de vingt-quatre festivals de la région Sud-PACA, pour adapter la RSO au secteur culturel. À partir des sept questions centrales posées par la norme ISO 26 000, le collectif du Sud-Est de la France a identifié près de cent trente actions possibles dans un document intitulé : La RSE adaptée aux festivals et autres structures culturelles.

Deux interrogations en suspens

S’il y a eu un certain nombre d’initiatives en amont, l’irruption de la pandémie au printemps 2020 constitue indéniablement un point de bascule. « Depuis un an et demi, le niveau de conscience s’est accru, confirme Claire Chaduc. Je ressens à Dijon, où je suis, un grand besoin d’agir, une grande envie de réfléchir et de répondre à un nouveau modèle de développement. Mais je m’interroge : le secteur culturel est-il vraiment capable de s’emparer de sujets qui dépassent les enjeux strictement sectoriels traditionnels ? C’est un enjeu fondamental parce que sans planète vivante, il n’y a pas de spectacle vivant ! »

S’il y a de fait beaucoup d’artistes qui revendiquent aujourd’hui d’autres manières de créer, de remettre du temps dans la création, de prendre soin des œuvres, de changer les modes de production, etc., certains obstacles structurels demeurent. La transition ne peut se faire sans une volonté affirmée de toutes les parties prenantes, du ministère aux compagnies en passant par les collectivités territoriales, les sociétés de production, les tourneurs

Ces freins, Claire Chaduc en a parfaitement conscience, ce qui la conduit à se poser une seconde question : « Quelles politiques publiques de la culture en temps de crise ?, s’interroge-t-elle. Cela revient à se poser la question d’un modèle qui a largement démontré ses failles. Il y a une opportunité à saisir pour transformer cet ordre de la création afin de le rendre plus résilient. »

Exemple des parties prenantes du RIM, le Réseau des indépendants de la musique

Exemple des parties prenantes du RIM, le Réseau des indépendants de la musique

 

Conseils pour initier une démarche de RSO

Pour entrer dans une démarche de responsabilité sociétale des organisations, Claire Chaduc recommande d’identifier ses parties prenantes, c’est-à-dire de situer son organisation au sein de son écosystème, à l’instar du RIM en Nouvelle-Aquitaine ou de La Vapeur, SMAC de Dijon : faire un bilan, lister les parties prenantes, dialoguer avec elles, définir les enjeux, fixer des objectifs, établir un échéancier…

La mise en œuvre de la RSO répondant à une méthodologie assez précise et poussée, nécessitant du temps et de l’expertise, il existe également la possibilité de se faire accompagner. Le dispositif local d’accompagnement (DLA), que gère l’association Opale pour le secteur culturel, propose une forme d’accompagnement adaptée à cet enjeu. L’Afdas et L’AGECIF offrent également des possibilités de formation à la RSO. À noter enfin que l’ADEME, agence de la transition écologique, a un dispositif (« Tremplin ») qui permet de financer le bilan carbone de son entreprise.

Autant de leviers qui permettent déjà de poser les premiers pas sur cette voie de transition éthique, personnelle et collective.

Pierre GELIN-MONASTIER

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En téléchargement : Guide sur la mise en œuvre de la RSO dans le spectacle vivant

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Exemple des parties prenantes de La Vapeur, SMAC de Dijon

Exemple des parties prenantes de La Vapeur, SMAC de Dijon

 



 

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