Développer le spectacle vivant à Saulx-le-Duc : un jeu d’équilibriste entre artistes et règles de vie communale
Installé depuis six mois à une trentaine de kilomètres de Dijon, un couple d’artistes – Baudoin Cristovéanu et Sophie Foster – décide de monter la Solduk compagnie, ainsi qu’un café associatif (Le Chez vous), un théâtre en extérieur et un festival, dans le tout petit village rural de Saulx-le-Duc. Entre choc et rencontre des cultures ?
En trente ans, la commune de Saulx-le-Duc, paisible village d’à peine deux cent cinquante habitants, n’avait probablement pas connu pareil enthousiasme pour de tels projets : un couple fraîchement arrivé entend d’emblée apporter son dynamisme artistique dans la vie locale… Une initiative qui ne se fait pas sans discussions, ni envie, ni frottements.
Un mariage artistique
Issu de l’École supérieure d’art dramatique (ESAD) de Paris, l’acteur et interprète franco-roumain Baudoin Cristovéanu sillonne les routes en camion depuis sept ans. « Quand j’étais à l’école à Paris, je vivais déjà en camion, raconte-t-il. Tous les étés, je partais faire des tournées de spectacles en extérieur. À l’école, on faisait surtout du théâtre de plateau, mais je me destinais plutôt à du théâtre d’extérieur, en forêt ou dans les villages. »
Avec sa future épouse Sophie Foster, acrobate et cracheuse de feu anglaise, ils sont arrivés dans le village en janvier dernier. « J’ai fait étape ici assez souvent, se souvient Baudoin. En réalité, je m’arrêtais dans différentes fermes un peu partout : on arrive, on joue et puis on repart. Ici, j’ai un ami maraîcher ; notre camion est installé à côté de ses cultures. »
Un théâtre de verdure et un café-théâtre
Baudoin Cristovéanu a acquis un terrain situé en haut du village, transformé en théâtre de verdure, avec un mur végétal et des gradins en cours de réalisation, pour une jauge de cent vingt personnes. Il a également acheté une maison de située au cœur du village, qu’ils ont rénovée pour ouvrir le café associatif le Chez vous, qui dispose d’un espace scénique. « C’est un peu un micro théâtre, précise-t-il. Il permet d’accueillir des formes intimistes, avec deux à trois artistes au maximum. On a fait la scène nous-mêmes avec des palettes. »
Leur idée ? Ouvrir un lieu de spectacles et de création, sans se sédentariser. « On le voit comme une base autonome et comme un lieu collectif. Il y a Karine, membre de l’association qui vit ici pour l’instant. Nous, on continue de vivre en camion, on ne s’accroche pas à vivre dans la pierre. » Après l’aménagement des différentes pièces de cette maison d’artistes, dont un atelier pour créer des costumes, ils prévoient des travaux dans le grenier et la fabrication d’une roulotte.
« Comme on est arrivés depuis peu et qu’on est nouveaux, on est un peu copains avec tout le monde, s’enthousiasme Sophie Foster. Il y a toujours quelqu’un qui vient nous dire bonjour ! » L’association est par ailleurs en lien avec deux héliciculteurs, qui organisent la fête des escargots, à laquelle ils comptent s’associer.
Si Baudoin Cristovéanu se défend d’être venu à Saulx-le-Duc tel un « missionnaire porteur d’art, de culture et de vérité », le spectacle vivant manquait ici d’après lui. « Le dernier festival organisé remonte à 1987, insiste-t-il. Notre projet a fait un peu peur au maire, c’est encore inconnu pour lui. Il faut habituer les habitants à voir venir des artistes circassiens. J’essaie de m’adapter à leur culture, d’aller à leur rencontre et de m’inspirer de leur imaginaire. »
Frottements et discussions : une entente progressive
Leur projet d’organiser le festival de la Butte au mois d’août pendant une semaine (du 17 au 22) a en effet inquiété l’équipe municipale. Celle-ci s’est sentie mise devant le fait accompli, à la suite de la parution d’un article annonçant l’événement dans la presse locale, sans que rien ne soit confirmé.
La Solduk Compagnie doit donc faire ses preuves pour gagner la confiance du maire Francis Perderiset, agriculteur de métier, qui reste favorable à la manifestation, mais en format réduit, soucieux de respecter la quiétude des habitants. « Ce qu’on a acté, c’est une journée de spectacles jusqu’à 23 heures, pour commencer petit et voir comment ça se passe, précise-t-il. On leur a autorisé un seul lieu, la place des Marronniers. » Le maire ajoute par ailleurs avoir permis l’organisation de deux soirées par semaine pendant l’été.
Si le spectacle vivant à Saulx-le-Duc était peu développé selon les nouveaux arrivants, il existe tout de même le Foyer rural, association qui propose notamment des animations depuis quarante ans. « On n’était pas à court de culture et de manifestations de toutes sortes, proposées environ une fois toutes les six semaines, rappelle Anne Charpin, conseillère municipale. Ça allait du concert aux pièces de théâtre, en passant par des ateliers de cuisine ou des jeux inter-villages. Quand ils sont arrivés, la façon qu’ils avaient de présenter la chose, c’était qu’il ne se passait rien à Saulx-le-Duc… C’était assez maladroit. »
Maladroit, mais pas rédhibitoire. Le maire et son équipe attendent simplement une meilleure organisation de leur part. « On a découvert le jour même, le matin du 11 juin, qu’il y avait l’inauguration du café associatif, détaille de son côté Francis Perderiset. Il a fallu faire en urgence une autorisation d’occupation du domaine public. Il faut simplement qu’ils apprennent qu’il y a des droits et devoirs dans un village. »
Après deux heures de discussion en conseil municipal, les deux parties se sont finalement entendues. La mairie se défend d’être rétrograde, de fermer les portes à d’autres types de culture, et se dit ouverte au dialogue, proposant même aux deux jeunes nouveaux-venus de participer à un événement. « On organise depuis plus d’un an le “Fantastic picnic”, avec des financements de la région Bourgogne-Franche-Comté, qui a lieu dans les huit départements. Nous leur avons proposé d’y participer… Ils nous ont d’abord répondu que ce n’était pas du spectacle de revue, qu’ils n’étaient pas animateurs, avant de nous dire qu’ils le feraient peut-être. »
Des « colporteurs d’imaginaire »
Ces frottements ne sont ainsi pas définitifs ; l’ajustement se fait progressivement. Baudoin Cristovéanu et Sophie Foster poursuivent leur projet naissant, le définissant comme une bulle de couleurs et d’imaginaire au milieu d’une place. « Je m’amuse à nous définir en colporteurs d’imaginaires et en troubadours de talus, répond le premier. On va jouer dans des endroits où rien n’est prévu ; on ne va pas dans des lieux où existe déjà tout un appareil culturel. »
Le défi qu’ils veulent ainsi relever est de parvenir à s’intégrer, tisser des liens avec les locaux, sans perdre cet esprit d’indépendance et nomade qui leur est cher. Un enjeu effectivement majeur, si l’on en croit les élus de ce petit village où tout le monde, évidemment, se connaît et se côtoie. À la suite d’une demande de l’école du village, le couple d’artistes a présenté un spectacle de contes aux élèves. Ils prévoient des escapades sylvestres au bois de la Bonnière, qu’ils souhaitent proposer aux communes alentour. « C’est une épopée dans la forêt avec de la musique, des contes et du cirque, pour offrir une aventure fantastique aux enfants. »
Développer des propositions artistiques mêlant musique, théâtre, conte et cirque dans ce paisible village implique ainsi, pour la Solduk Compagnie, de proposer des spectacles qui soient encadrés, en lien avec les acteurs locaux, respectueux d’une culture qui précède de loin leur arrivée dans le village et ne perturbant pas le rythme de vie communal, dans le respect des droits culturels de chacun.
Correspondante Bourgogne-Franche-Comté
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Crédits photographiques : Morgane Macé / Profession Spectacle