Passez commande !
Une politique de commandes publiques à destination des auteurs et des autrices de théâtre est plus que nécessaire. Elle est vitale. Pour préserver l’incroyable et talentueuse vitalité de la littérature dramatique dans notre pays.
Quand j’étais président des Écrivains associés du théâtre (E.A.T), je me rendais régulièrement au ministère de la culture, rue de Valois… Parmi tous ces rendez-vous, il y en avait un, en particulier, que j’attendais avec une grande impatience… Une fois par an, j’avais un entretien avec une conseillère qui m’écoutait d’une oreille tout en griffonnant des dessins niveau maternelle sur son petit calepin. J’avais l’impression de rendre visite à ma grand-tante dans un hospice de province. Il ne manquait plus que la boîte de chocolats.
Cet entretien était un préalable à la demande annuelle de soutien financier auprès du ministère. La plupart du temps, nous n’avions même pas le temps de faire le dossier que nous recevions l’aide… ce qui pourrait apparaître comme étant une très bonne chose, la preuve de l’efficacité des services officiant rue de Valois. Mais c’était tout le contraire. Car en cinq ans de mandat, malgré le fait que l’association était en constante progression, nous avons toujours eu droit à la même somme. Ce qui veut dire que personne ne prenait le temps de lire notre demande. En revanche, le ministère nous demandait d’envoyer un dossier alors que nous avions déjà reçu le soutien financier…
Ce rendez-vous ne servait à rien. Justification de son salaire pour la fonctionnaire, perte de temps pour le bénévole. À la fin de l’entretien, à la fin de son dessin, la conseillère terminait toujours par la même question… Si vous pouviez nous faire remonter des informations du terrain ? Parce que nous, au ministère, on manque d’informations sur ce qui se passe dans les régions…
C’est pas beau ça… Le ministère de la culture et ses centaines de fonctionnaires qui demandent à une association professionnelle (deux employées) de faire remonter des informations du terrain. Avec une petite analyse, si c’est possible…
Bref, tout ça pour dire que je n’ai pas les moyens du ministère de la culture et des E.A.T réunis pour certifier les propos qui vont suivre… Mais bon, de toutes manières, le spectacle vivant est un secteur économique qui ne dispose pas de chiffres. Grâce au CNC, on peut savoir quasiment en temps réel le nombre d’entrées dans une salle de cinéma à Brest ou à Saint-Jean-de-Luz mais en ce qui concerne le théâtre, par exemple, c’est mystère et boule de gomme ! Au sujet des théâtres publics, ça serait bien quand même de savoir où passe, au niveau national, l’argent du contribuable, non ? Je dis ça, je dis rien…
Donc, c’est une impression mais pas une impression à la Monet, plutôt une impression lourde de conséquences pour les autrices et les auteurs de théâtre.
Je n’ai pas l’impression que les théâtres publics se décarcassent pour passer des commandes d’écriture pour les saisons à venir… Depuis pas mal de temps déjà, je vois passer des annonces concernant l’adaptation en tongs de Molière, l’adaptation en bermuda et lunettes de soleil de Shakespeare, soulier de satin, Peer Gynt, lecture de À la recherche du temps perdu… Lecture de circonstance quand on pense aux centaines de milliers d’intermittents du spectacle, de créateurs et de créatrices qui n’ont pas pu travailler pendant plus d’un an…
Qu’on se comprenne bien, je n’ai rien contre le répertoire classique. Je ne suis pas du tout dans un raisonnement sectaire et premier degré du genre… Point de salut en dehors du théâtre contemporain ! Vive les auteurs vivants, à mort les auteurs morts ! Tout ce que je dis, c’est qu’une ambition politique fondée sur une volonté commune, au niveau national, de passer des commandes d’écriture à des écrivains et des écrivaines serait la bienvenue.
Il est toujours bon de le rappeler : les auteurs et les autrices de théâtre ne bénéficient pas du chômage partiel. Ils ne bénéficient pas non plus de la saison blanche accordée aux intermittents du spectacle. En fait, pour simplifier, ils ne bénéficient de rien. À part le fonds de solidarité national des artistes-auteurs pour ceux et celles qui peuvent y prétendre et surtout qui ont eu la chance d’avoir fait une bonne année en 2019…
Plus d’un an de galère. À ramer…
Une politique de commandes publiques à destination des auteurs et des autrices de théâtre est plus que nécessaire. Elle est vitale. Pour préserver l’incroyable et talentueuse vitalité de la littérature dramatique dans notre pays.
Mais pour cela, il faudrait que la volonté politique soit soutenue, relayée par une volonté artistique de la part des directeurs et directrices des centres dramatiques nationaux, scènes nationales et scènes conventionnées… Ce qui ne semble pas être le cas.
Bien sûr, le milieu du théâtre est tellement fragmenté, fractionné, pulvérisé façon puzzle qu’il ne faut pas se contenter de propos manichéens. Certains et certaines à la tête de théâtres publics œuvrent avec efficacité et sincérité à la diffusion des textes de théâtre d’auteurs et d’autrices contemporains vivants. Quelques-uns et quelques-unes… Mais dans les faits, cela devrait être l’affaire de tous et de toutes.
En dehors de ce dispositif de commande qui permettrait de soutenir de manière ponctuelle les écrivains et les écrivaines de théâtre, il est un autre dispositif qui permettrait de les soutenir de façon pérenne. Il s’agirait d’associer ces artistes aux théâtres publics. Avec le statut d’auteur associé. Il n’est pas question de direction artistique ou de direction tout court. Les auteurs et les autrices ne sont pas tous assoiffés de pouvoir. Ils veulent simplement pouvoir écrire dans de bonnes conditions. Après des décennies d’exil, ils veulent retourner dans les théâtres. Retrouver le plateau.
Faire entrer les écrivains et les écrivaines de théâtre dans un théâtre… À première vue, ce n’est pas une idée révolutionnaire. Mais là encore, d’après ce que j’ai pu comprendre, cette question pourtant brûlante n’est pas d’actualité. La raison en serait qu’on ne peut pas imposer des auteurs ou des autrices aux directeurs et directrices de théâtre publics. Je vous laisse savourer, à sa juste valeur, le goût acidulé de cette friandise. Après, il faut prendre ce type de propos avec des pincettes car ce qu’il y a de bien et d’avéré avec le ministère de la culture, c’est que ce n’est jamais de sa faute… C’est toujours la faute des artistes.
Pour en finir avec le ministère de la culture, j’ai appris dernièrement que, rue de Valois, ils avaient changé de méthodologie. Ils ont décidé de régler les problèmes par ordre alphabétique. C’est une idée comme une autre. Mais ça ne va pas du tout… C’est la catastrophe, vent de panique à tous les étages, les logiciels font des burn-out, les ordinateurs sont en surchauffe, les téléphones explosent… Cascades d’arrêt-maladie, de chutes devant la machine à café. Une question de survie taraude tous les esprits… Mais qui est le con qui a eu cette idée à la con ? La lettre A… Auteur, Autrice, Artiste, AGESSA…
Pas de bol pour la lettre B. B comme… Bachelot.
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Auteur de théâtre, scénariste de fictions radio, président des Écrivains associés du théâtre (E.A.T) de 2014 à 2019, Philippe Touzet tient une chronique bimensuelle dans Profession Spectacle depuis janvier 2021, intitulée : « Arrêt Buffet ».
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