Libre évocation de la Du Barry en 2021
Il est temps, au bout d’un un mois, de dévoiler la solution de mon concours, l’hypermégaconcours, de cette année 2021. J’en rappelle l’énoncé : Le passage à l’année 2021 me conduit à choisir, parmi les 36.000 communes de France, deux villages remarquables. L’église du premier s’appelle Saint Maur ; quel est le nom de l’église du second ?
LA RÉPONSE EST : SAINT-LÉGER.
Je donnais trois indications complémentaires, précisant qu’il ne devait s’agir que de vérifications ; cela voulait dire que le chemin vers la solution se trouve entièrement dans l’énoncé. Or vous avez été nombreux à chercher à partir de ces indications, notamment la première qui était la plus fournie. Mais c’était une impasse car le personnage féminin guillotiné sous la Terreur, auquel je faisais allusion, n’est lié qu’au premier village, et ne donne absolument aucune piste pour trouver le second.
Une autre voie également sans issue a été tentée à partir des lieux de production des vins offerts comme récompense aux vainqueurs, l’Étoile dans le Jura et Varrains près de Saumur. Les neurones ont bien travaillé, mais l’énigme est restée inviolée.
Olympe de Gouges a été plusieurs fois citée. Mais ce n’est pas du tout d’elle dont je regrette de ne pas avoir été l’amant. C’est de la fascinante Jeanne Bécu, autrement dit la Du Barry, dont le buste réalisé par Augustin Pajou gagnerait à remplacer toutes les Mariannes en plâtre de nos mairies. Je ne sais quels étaient ses tarifs, au temps où elle n’était qu’une hétaïre parmi d’autres, mais je raclerais volontiers tous mes fonds de poches pour pouvoir bénéficier de ses faveurs, ne serait-ce qu’une seule fois. Rêve vain s’il en est !
Une fois devenue maîtresse du roi, elle se révéla habile dans l’intrigue, et Choiseul en fit les frais. Du moins c’est qu’évoque une chanson d’époque :
Vive le Roi, foin de l’amour !
Le drôle m’a joué d’un tour
Qui peut confondre son audace.
La Du Barry, pour moi de glace,
Va, dit-on, changer mon destin.
Jadis, je dus ma fortune aux catins ;
Je leur devrai donc ma disgrâce.
Une catin, la Pompadour ? Ce n’est point ce que l’on m’enseigna jadis, mais lorsque la pruderie se mêle à l’Histoire, il n’en sort jamais rien de bien édifiant. L’époque bruissait de libelles des plus licencieux et, s’agissant de la Marquise née Jeanne Antoinette Poisson, on les appelait poissonnades. Eh oui, il y avait déjà des « réseaux sociaux » aux temps de l’Encyclopédie. Nous croyons toujours avoir tout inventé, même ce qui remonte au Déluge. Choiseul qui n’avait plus rien à perdre, se mit à l’unisson des poissonnades qui circulaient au début de son gouvernement. Mais ce n’était rien à côté des déluges de grivoiserie dont le peuple (et la Cour) accabla la Du Barry :
Quelle merveille, une fille de rien,
Une fille de rien, quelle merveille,
Donne au roi de l’amour,
Est à la Cour !
Elle est gentille, elle a les yeux fripons,
Elle a les yeux fripons, elle est gentille,
Elle excite avec art
Le vieux paillard !
En maison bonne, elle a pris des leçons,
Elle a pris des leçons, en maison bonne,
Chez Gourdan, chez Brisson,
Elle en sait long.
Que de postures ! Elle a lu l’Arétin,
Elle a lu l’Arétin, que de postures !
Elle sait en tous les sens
Prendre les sens.
Le roi s’écrie : Sangé ! Le beau talent !
Sangé ! Le beau talent ! Le roi s’écrie :
Encore aurais-je su
Faire un cocu !
Viens sur mon trône, je te veux couronner,
Je te veux couronner, viens sur mon trône,
Pour sceptre prends mon vit,
Il vit, il vit, il vit !
La Gourdan et la Brisson étaient de célèbres mères maquerelles de l’époque. Grâce à l’université de Toronto, qu’on ne remerciera jamais assez pour son travail de numérisation, j’ai pu accéder au texte d’un ouvrage de 1908, « La Maison de Madame Gourdan », lecture que je vous recommande, si d’aventure vous étiez enclin à penser qu’à l’instar des réseaux sociaux, la dépravation de nos élites dirigeantes est un acquis d’aujourd’hui (ou de la « génération de mai 68 »). Il est vrai que sur ce plan, les écrits de Pétrone peuvent prétendre à quelque antériorité.
Mais je vois que ma passion m’égare, et il est temps de revenir à mes deux villages, objets premiers de mon concours. Le seul élément permettant de les identifier, comme l’énoncé l’exprime, ce sont les quatre chiffres de l’année : 2021.
Les communes françaises sont répertoriées par le Code officiel géographique, dont la première version date de 1941, et qui attribue à chacune un code à cinq chiffres. Chacun retrouvera le code associé à son lieu de naissance dans son « numéro de sécurité sociale » (dont le vrai nom est « numéro national d’identité ») aux positions 6 à 10. Mais cinq chiffres, pour obtenir 2021, c’est un de trop. Il en est de même pour le code postal, mis en service en 1972 ; il comporte également cinq chiffres.
Alors il faut se souvenir que jadis, il a existé deux systèmes de codes postaux précurseurs, et qu’ils n’utilisaient que quatre chiffres. Ils ne commençaient pas par les deux chiffres du département ; les villes et villages de France où était installé un bureau de poste étaient rangés par ordre alphabétique et numérotés à partir de 1, numéro attribué à Abbeville.
Le système dit des « petits chiffres », le plus ancien, a fonctionné pendant onze années, de 1852 à 1862. Lors de son introduction, il concernait environ 3700 communes, et le numéro 2021 était celui de Molinges, dans le Jura, un bourg dont l’église porte le nom de Saint-Léger, supplicié en 678.
Le 1er janvier 1863, les 4361 bureaux de poste alors en service (il s’en était ouvert plus de 600 nouveaux pendant la période des petits chiffres) furent complètement renumérotés et s’ouvrit la période dite des « gros chiffres » qui dura jusqu’au 31 mars 1876. Le numéro 2021 échut à Lévignac sur Save, près de Toulouse, où se trouvent une église Saint-Maur et surtout la « maison Du Barry » où résidait celui qui donna son nom à la divine catin dont je vous ai entretenu supra.
Bien que Molinges ait porté le numéro 2021 avant Lévignac, j’ai interverti l’ordre des deux localités. En effet les gros chiffres ont eu une durée de vie beaucoup plus longue que leur disparition en 1876 le laisserait supposer. Car ce qui a été supprimé alors, en même temps d’ailleurs que le numéro du département (lequel n’allait revenir dans notre univers quotidien, sur les plaques minéralogiques des voitures, qu’en 1950) c’est le cachet losangique à numéro qui devait être apposé sur chaque lettre et qui a été remplacé par un cachet circulaire à date. Le numéro « gros chiffre » cessait donc d’être visible pour le public, mais il était toujours utilisé en interne par l’administration des postes, et continuait d’être attribué, en séquence, à chaque ouverture d’un nouveau bureau ; ceci a duré jusqu’en 1899, où plus de 9500 bureaux étaient en fonctionnement. Au-delà, ces numéros ont continué à être utilisés sur les cachets « Retour à l’Envoyeur » jusqu’en 1960 et parfois même après.
Vous voyez combien la solution était simple… Il existe une abondante littérature sur l’histoire des Postes et sur les oblitérations petits et gros chiffres. Mais les moteurs de recherche ne sont pas très diserts sur ce sujet.