Jean-Claude Carrière, une belle âme tire sa révérence…
Jean-Claude Carrière nous a quittés lundi, laissant derrière lui une œuvre majeure, considérable qui a marqué à la fois le cinéma, la littérature et le théâtre. Hommage à ce conteur incomparable.
Voilà, il s’en est allé aussi discrètement qu’il a vécu. Dans son sommeil, sans faire de bruit. Pourtant, cette disparition retentit au plus profond de nous…
Une plume multiple
Comment qualifier le grand, l’immense Jean-Claude Carrière qui vient de nous quitter ? Comment rendre hommage le plus justement à celui qui a touché à la fois au cinéma – il a signé plus de soixante scénarii, joué dans de nombreux films –, à la chanson – il fut le parolier de Brigitte Bardot, Jeanne Moreau et Juliette Gréco –, à la littérature et bien sûr au théâtre. Chacun de ses projets était à la fois une rencontre, une interrogation sur l’Homme et une façon qu’il trouvait de servir l’autre, les autres et les auteurs. Être au service était son maître-mot, ne pas se mettre en avant : « J’ai travaillé toutes les formes d’écriture. Je pense que je possède un bon arsenal. Il y a quelque chose en moi qui se satisfait d’être au service d’un auteur, de se couler dans sa pensée, de l’adapter au mieux. Je n’ai pas d’ego », assurait–il par exemple.
Difficile donc de définir celui qui aimait se couler dans le rôle de cet homme entouré de musiciens sur la place de Marrakech, ce bateleur qui se dissimule derrière les personnages qu’il présente, ce « conteur ». Et d’ailleurs, l’histoire de sa vie pourrait commencer ainsi : il était une fois un enfant né dans un milieu modeste, celui de la petite paysannerie française, placé loin de toute érudition, de toute présence de livres, loin de la connaissance intellectuelle en général. Sa première culture est celle de la terre. Mais l’enfant est doué, brillant même et grâce à une bourse, il accède à l’École normale supérieure dont il ressort avec une maîtrise de lettres et d’histoire. Pur produit de la IIIe République. Ses premiers livres lui sont chers à jamais. De ses débuts, Jean-Claude Carrière n’oublie rien et conserve une éternelle et élégante simplicité, une discrétion touchante et un refus des honneurs trop académiques – il refuse par exemple d’entrer à l’Académie française. Car ce ne sont pas les ors des honneurs qui l’intéressent mais bien ce qu’il peut y avoir de beau et de grand en chacun. Une morale du quotidien qu’il applique autant dans sa vie personnelle qu’à ses choix artistiques.
Des choix guidés par des rencontres et notamment une des rencontres essentielles de sa vie, celle de Luis Bunuel. Leur collaboration, doublée d’une indéfectible amitié, dure près de vingt ans et donne naissance, entre autres, à des adaptations hors pair d’Octave Mirbeau – Le Journal d’une femme de chambre, avec Jeanne Moreau – ou du roman de Joseph Kessel, Belle de jour, qui offre un des rôles majeurs à Catherine Deneuve. Deux représentations cruelles de la bourgeoisie.
Car ce conteur contemporain n’a pas pour seule ambition de divertir son prochain, il cherche à transmettre ce qui lui appartient, ce « supplément » qui vient des origines – origines du monde, de la littérature, de la tragédie – en tâchant d’offrir à l’homme des réponses : pourquoi est-il là ? D’où vient-il ? Comment doit-il agir ?
Pour Jean-Claude Carrière, l’autre, c’est-à-dire le public, le lecteur, le spectateur, est nécessaire au bon fonctionnement de son récit. L’histoire racontée se nourrit de la vie de chacun. « Quand je rencontre un ‘‘autre’’, un différent, et même un opposé, voire un ennemi, je ne songe jamais à le ramener à moi, à l’apprécier, à le juger selon mes critères. Au contraire : j’essaie de trouver en lui ce qu’il y a d’intéressant, de rare, de surprenant, de beau. » La beauté qu’il recherche n’est pas, en effet, celle commune, accessible au premier abord.
C’est plutôt celle que l’on ne voit pas…
Une question d’âme et de cœur
C’est pourquoi son travail sur Cyrano de Bergerac avec Jean-Paul Rappeneau n’est pas innocent. Lui qui dit se cacher derrière des personnages pour raconter des histoires trouve ainsi le personnage parfait, celui qui touche le cœur et l’âme de sa cousine Roxane par ses mots, ses lettres sans jamais se montrer : n’est-ce pas finalement le rôle du scénariste et de l’auteur que fut Jean-Claude Carrière ?
Et c’est encore d’âme et de cœur dont il est encore question lorsqu’il se lance dans un travail colossal : l’adaptation du Mahâbhârata, ce grand poème épique indien. Il ne lui faut pas moins de onze ans de travail avec Peter Brook pour parvenir à créer une pièce de près de neuf heures qui est présentée à Avignon en 1985, elle-même déclinée en une mini-série de six heures et un film de trois heures. Une œuvre qu’il qualifie de « cœur profond » en référence au livre d’Hamadou Hampâté Bâ.
Embrasser la connaissance du monde, le vaste monde, ne l’intimide pas. Même lorsqu’il s’agit de raconter l’histoire de la colonisation de l’Amérique du Sud par l’Espagne. Mais alors, il fait cela par le biais de l’intime, du débat, de l’opposition d’idées : ainsi naît La Controverse de Valladolid où l’on voit deux hommes d’Église s’affronter pour savoir si les Indiens ont une âme et donc, s’il est possible de les coloniser.
Ainsi, à l’heure de sa disparition, nous avons tous « l’âme lourde », nous éprouvons une grande tristesse ; mais au-delà de ces sentiments, tâchons de lui être reconnaissants d’avoir ainsi illuminé nos cœurs…
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Photographie à la Une : Jean-Claude Carrière par le Studio Harcourt Paris
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