“Les Carnets” d’Albert Camus, mis en scène par Stéphane Olivié-Bisson : de l’intime à la scène
Samedi 26 septembre, le théâtre Lucernaire accueillera la 150e représentation de la mise en scène des Carnets, de Camus, par Stéphane Olivié-Bisson, une quatrième reprise toujours riche en profondeur et en émotions… À ne pas manquer !
Une rencontre fraternelle
Cela fait déjà dix ans que Stéphane Olivié-Bisson s’empare des textes d’Albert Camus pour les faire siens mais aussi, et surtout, pour les offrir à son public.
Tout commence avec l’aventure de Caligula que Stéphane Olivié-Bisson met en scène en 2010, avec Bruno Putzulu dans le rôle de l’empereur. Le choix de la pièce n’est tout d’abord pas anodin : il s’agit en effet de la pièce sans doute la plus emblématique de l’œuvre de Camus, puisqu’il commence à l’écrire en 1936 et qu’il ne cesse de la retoucher jusqu’en 1958. La particularité de cette pièce est qu’une version de 1941, plus poétique que les autres, existe et que c’est précisément celle que choisit de monter Stéphane. Dans cette version en effet, l’empereur n’est pas le satrape sanguinaire, mais un enfant profondément meurtri par la découverte de la mort avec la disparition de sa sœur Drusilla. Pendant la préparation de cette mise en scène – et suivant ainsi les conseils de Patrice Chéreau qu’il admire – S. Olivié-Bisson décide de lire tout l’œuvre de Camus. C’est ainsi qu’il découvre les Carnets, ces notes écrites sur des petits cahiers d’écolier bleus entre mai 1935 et décembre 1959. Immédiatement, le metteur en scène est frappé par l’adresse présente dans ces textes, écrits pourtant pour Camus lui-même. Cette adresse lui semble alors signifiante, « parce que, dit-il, s’il y a adresse, il y a théâtre ».
Entre plusieurs projets – notamment l’écriture de son premier roman, Max, sur Max Linder –, Stéphane Olivié-Bisson s’attelle à la tâche et surtout au choix des textes. Ceux-ci étant choisis, il commence à réfléchir à une façon de les organiser et de les présenter. De manière thématique ? trop plat. De manière chronologique ? Les thèmes se répètent, cela n’a pas d’intérêt. C’est Catherine Camus, la fille de Camus, qui lui souffle l’idée : « Pense à la géographie ». Et, en effet, c’est l’axe qu’il va choisir. Ainsi peut-on suivre les pérégrinations de l’auteur né à Mondovi en 1913 à travers sa ville, Alger, à travers ses voyages – notamment en Italie où il vante les beautés de la route menant à Sienne et les qualités irréprochables des Italiens par rapport aux Français toujours de mauvaise humeur !, à Saint-Brieuc – où son père est enterré – ou encore à Lourmarin, où il achètera la maison grâce à l’argent gagné avec le Prix Nobel obtenu en 1957.
Les textes des Carnets que Camus écrit tout au long de sa vie allient à la fois les réflexions sur la création, sur les œuvres qu’il est en train d’écrire ou qu’il projette d’écrire, mais également sur sa propre vie intime et familiale. Ainsi, lorsqu’il reçoit le Prix Nobel, Camus est-il assailli de doutes sur sa légitimité et sur sa vocation. Il note par exemple, le 17 octobre 1957 : « Nobel. Étrange sentiment d’accablement et de mélancolie. À 20 ans, pauvre, et nu, j’ai connu la vraie gloire. » Ou encore : « Doute absolu sur ma vocation. Créer me coûte mille morts. Il y a en moi une anarchie. »
Il confie également à ses pages, des remarques sur sa famille : Francine, sa femme, qui ne passera que quelques jours trop rapides avec lui et les enfants ou bien Catherine, alors petite fille qui n’arrive pas à s’endormir parce qu’elle a peur de la mort. Et le papa, profondément choqué par cette terreur enfantine, de la consigner dans son cahier et d’y voir le scandale absolu : celui de l’enfant face à la mort que l’on retrouve dans nombre de ses œuvres.
D’ailleurs, plus on avance vers sa mort – Camus meurt le 4 janvier 1960 dans un accident de voiture – plus les textes se font intimes. Il aurait donc été tentant pour un comédien les mettant en scène de chercher à incarner Camus avec ses textes à la première personne du singulier. Mais il n’en est rien. La force du spectacle tient précisément à la juste distance observée par Stéphane Olivié-Bisson. Ni trop près, ni trop loin. Comme Camus qui fut placé à mi-distance de la pauvreté et du soleil, le comédien sait se placer à mi-distance de l’intime et du respect. Il n’est pas Camus et il ne cherche pas à l’incarner mais plutôt à faire retentir sa voix, une voix intime mais qui sonne ainsi de manière universelle.
Une mise en scène du doute camusien
C’est certainement cette juste place qui fait advenir l’émotion, une émotion toujours au rendez-vous, au service du texte de Camus, qui résonne en chacun des spectateurs, au plus fort de son âme. Chaque spectateur qui vient « avec son Camus ». « Chaque soir, je reçois une confidence d’un ou de spectateur(s), confirme Stéphane Olivié-Bisson, que ce soit une maman ayant perdu sa fille grande lectrice de Camus qui me dit qu’elle ira sur sa tombe le lendemain pour lui parler de la représentation ou d’un couple de personnes âgées ayant vécu à Alger et se souvenant d’une maison apparaissant dans le spectacle. »
Outre la force des textes de Camus, admirablement choisis par Stéphane Olivié-Bisson, c’est aussi le jeu du comédien qui nous emporte. On sent en effet l’amitié invisible qui le lie à l’auteur et l’approche quasi organique qu’il a du texte. « Je joue de la façon dont cela résonne en moi, en espérant que cela résonne en l’autre », explique-t-il. En effet, cela résonne en nous, avec nos doutes et nos questions. Le comédien cherche justement à insister sur les finales interrogatives, à appuyer sur le doute présent au sein de cette œuvre. Qu’est-ce qu’on fait de tout ça ?, se demandent conjointement Camus et Stéphane Olivié-Bisson. Les spectateurs s’attendent à recevoir une leçon ; ils reçoivent une adresse fraternelle qui les émeut.
« Pour moi, la vie est secrète », écrit Camus dans ses cahiers bleus… un secret que nous partageons – au théâtre du Lucernaire – chaque soir fraternellement et en toute sincérité avec Stéphane Olivié-Bisson qui nous ouvre les portes de l’intimité de Camus grâce à ses Carnets.
INFORMATIONS
Les Carnets
Public : à partir de 14 ans
Durée : 1h10
Mise en scène et interprétation : Stéphane Olivié-Bisson
Collaboration artistique : Bruno Putzulu
Les Carnets d’Albert Camus ont paru aux éditions Gallimard
Où voir le spectacle ?
– Du 26 août 2020 au 27 septembre 2020 : théâtre du Lucernaire
– Tournée à venir
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Crédits photographiques : Elie Bekhazi
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