Danse – Quand le réel bouleverse les processus de création
Organisé par l’Atelier de Paris, “Indispensable !” est le premier événement chorégraphique de la saison. Danya Hammoud et Nacera Belaza y ont notamment présenté leur dernière création, en écho puissant aux mouvements de notre temps.
“Indispensable !” est un « temps de retrouvailles dansé » après plusieurs mois d’absence des publics. Organisés par l’Atelier de Paris, du 5 au 13 septembre, des spectacles et des créations en cours ont rythmé les espaces intérieurs et extérieurs de la Cartoucherie. Un temps pour prendre la température de cette rentrée sous contrainte sanitaire, et pour découvrir des créations bouleversées par ces derniers mois.
Les différents lieux de la capitale font leur rentrée après, pour la plupart, de long mois de fermeture. Sous les masques se devinent des sourires, une joie de retrouver les salles. À l’Atelier de Paris, c’est sous le slogan “Indispensable !” que se déroule le premier événement de la saison. Du 5 au 13 septembre, dix représentations sur les plateaux et dix représentations gratuites dans les jardins composent un parcours de danse mais aussi de théâtre et de musique. La directrice de l’Atelier de Paris, Anne Sauvage, a choisi cet adjectif « Indispensable » pour les artistes, les publics, l’action, les partenaires et son équipe, et pour cette reprise nécessaire. Le 8 septembre, deux artistes sont mis en lumière : Avec Sérénités était son titre, Danya Hammoud dresse le tableau d’une création qui ne voit jamais le jour. En deuxième partie de soirée, dans L’onde en cours de création, Nacera Belaza aborde la question du rituel et du lâcher-prise.
Sérénités était son titre de Danya Hammoud
Le travail autour de Sérénités commence en 2018, comme une traversée ; la pièce souhaite alors raconter à travers les corps une migration, celle des trois danseuses au plateau. Cette traversée sera finalement transformée par les événements des derniers mois.
À l’ouverture, le public reste éclairé : Danya Hammoud, assise seule sur la scène, nous regarde ; son buste est lentement attiré vers le sol. Puis, presque désarticulée, elle tente de se relever. Elle se dirige alors vers l’un des deux micros présents au plateau et commence à parler… Sérénités était son titre est finalement une histoire, un récit : celui d’une création qui ne voit jamais le jour.
La pièce oscille ainsi entre mouvement et récit. À tour de rôle, Danya Hammoud et Yasmine Youcef emmènent les spectateurs et spectatrices à travers deux ans de création ; se dessinent alors des désirs, des temps de recherches, de grands moments de joies et de doutes. Elles racontent puis tentent de partager, de mettre en mouvement ces moments vécus. Au fur et à mesure, elles dévoilent les raisons, les événements qui ont finalement rendu la création impossible. Il y aura eu les révoltes à partir d’octobre 2019, puis le confinement, la poursuite du travail à distance et finalement l’explosion à Beyrouth.
À travers ce récit de vie plein de finesse et de sincérité, une autre recherche apparaît : comment raconter, rendre visible l’absence d’un corps, d’une personne ? Ghida Hachicho devait être l’une des trois interprètes sur scène ; son retour en France a cependant été impossible par suite de l’explosion. Presque par magie, ou simplement par le prisme de l’imaginaire, elle semble présente dans cette salle de l’Atelier de Paris, grâce aux mots si riches et aux gestes si délicats de Danya Hammoud et Yasmine Youcef.
Si la pièce originale n’a peut-être pas vu le jour, Danya Hammoud prouve cependant humblement, avec Sérénités était son titre, la nécessité du spectacle vivant, du récit et de la création, quand celle-ci se place à ce niveau de sincérité, illustrée par cette dernière phrase : « Aujourd’hui voilà de quoi est faite une pièce. Merci. »
L’Onde de Nacera Belaza
C’est une première étape de création qui a été dévoilée à la Cartoucherie, avant la première – fin octobre – au festival de Marseille. Pendant ces quarante-cinq minutes transparaît déjà la puissance du travail de Nacera Belaza et de ses danseuses.
Le plateau est plongé dans le noir ; un faible faisceau de lumière laisse entrevoir un corps en mouvement. Les pieds sont ancrés dans le sol, tandis que le buste seul se meut et que les bras fendent l’air. La musique est rythmée par les percussions. Noir de nouveau. Quand le faisceau réapparaît, plus grand, ce sont trois corps qui accomplissent le même mouvement. À chaque fois que la salle plonge dans la pénombre, une nouvelle disposition jaillit sur le plateau. Les cinq danseuses emportent la salle dans un rituel et dans cette langueur de la répétition : le temps s’étire, des images surgissent, les corps humains se transforment en créatures. Il est étonnant également d’observer ces bustes en perpétuel mouvement, qui place cette pièce dans un acte performatif d’une rare intensité et explore nécessairement le lâcher-prise pour atteindre un tel niveau de répétition d’un mouvement.
À travers ces états de transe collectifs ou individuels, Nacera Belaza semble questionner ce qui fait unité. Par l’éloignement ou le rapprochement des corps, par la présence d’une seule, de trois ou de cinq danseuses, des imaginaires s’ouvrent ; pourtant, les mouvements du rituel changent peu. Différentes images se créent à chaque nouvelle configuration de l’espace. À l’heure de la distanciation physique, L’onde résonne comme une pulsation et une connexion entre les corps à préserver coûte que coûte.
Spectacle : Sérénités était son titre
Création : 8 septembre 2020 – Paris
Durée : 45 minutes
Public : à partir de 12 ans
Chorégraphie & interprétation : Danya Hammoud
Interprètes : Yasmine Youcef, Ghida Hachicho, Danya Hammoud
Lumière : Abigail Fowler
Création sonore : Anne Lepère
Accompagnatrice : Marion Sage
OÙ VOIR LE SPECTACLE ?
Spectacle vu le 8 septembre à l’Atelier de Paris.
– Juin 2021 Festival Uzès danse – date à confirmer
Spectacle : L’onde
Création : 29 et 30 octobre 2020 à Marseille
Durée : 40 minutes
Public : à partir de 12 ans
Chorégraphie, conception son et lumière : Nacera Belaza
Interprètes : Nacera Belaza, Aurélie Berland, Beth Emmerson, Magdalena Hylak, Mélodie Lasselin
Régie générale : Christophe Renaud, Pablo Simonet
OÙ VOIR LE SPECTACLE ?
Étape de création vue le 8 septembre à l’Atelier de Paris.
– 29 et 30 octobre 2020 : création au festival de Marseille
– Du 4 au 7 novembre 2020 : Théâtre Vidy à Lausanne (Suisse)
– 26 novembre 2020 : Arsenal – Cité Musicale de Metz
– 10 décembre 2020 : L’Échangeur – CDCN de Château-Thierry
– Du 17 au 20 décembre 2020 : MC93 à Bobigny (festival d’Automne à Paris)
Photographie de Une : L’onde de Nacera Belaza
Crédits : Patrick Berger / Atelier de Paris