Festival IMAGO 2020 : le handicap se saisit du spectacle vivant
Le festival IMAGO, biennale francilienne consacrée à la relation entre l’art et le handicap, s’ouvre ce 19 septembre. Pendant trois mois, près de cent vingt événements auront lieu dans une petite cinquantaine de lieux en Île-de-France : théâtre, danse, musique, exposition, cinéma et rencontres sont au programme de ce rendez-vous hors normes.
Après une première édition particulièrement réussie en 2018, le second festival régional IMAGO – né de la fusion du festival Orphée dans les Yvelines (créé en 2004) et du festival Viva la vida dans le Val-d’Oise (créé en 2012) – s’ouvre ce 19 septembre, dans le contexte si difficile que nous connaissons tous.
« En mars-avril, nous nous sommes évidemment interrogés sur le maintien de l’événement, mais nous avons rapidement été convaincus que, politiquement, il était important de maintenir le festival IMAGO, confirme Richard Leteurtre, codirecteur de l’événement. C’était important pour les compagnies, notamment celles qui travaillent avec des personnes en situation de handicap. Nous sommes fiers d’avoir réussi à faire un festival encore plus important que le précédent. »
Conquête d’une légitimité
IMAGO affiche en effet une forme rayonnante : plus de créations, plus de spectacles, plus de lieux, plus de partenaires… La notoriété du festival a entraîné des demandes, tant de nouveaux lieux, comme le Collectif 77 qui rassemble une vingtaine de salles en Seine-et-Marne, que d’organismes professionnels tels que le réseau des musiques actuelles (RIF) qui fédère quelque cent cinquante structures en Ile-de-France et avec qui IMAGO organisera deux rencontres professionnelles.
La région Île-de-France, qui apporte le financement principal, a également choisi d’accroître son soutien. « Le handicap a une vice-présidence authentique, ce qui démontre la préoccupation de Valérie Pécresse, explique Pierre Deniziot, vice-président chargé du logement et du handicap. Une thématique qui nous est chère est l’accès à la pratique culturelle, qui doit être encouragée et favorisée. C’est un vrai sujet ! La culture inclusive ne veut rien dire si on ne met pas les moyens pour que chacun ait accès à la pratique culturelle, amateur comme professionnelle. On sort d’une crise qui a été assez difficile, et notamment pour le monde de la culture. Donc bravo à toutes les équipes d’avoir maintenu le festival envers et contre tout : la programmation reste très riche, elle n’a presque pas changé, ou simplement à la marge. »
Le réseau “art et handicap”, constitué aujourd’hui en pôles départementaux (les Yvelines, le Val-d’Oise, l’Essonne, Paris et, en cours de construction, la Seine-Saint-Denis et la Seine-et-Marne), contribue à cette reconnaissance progressive. « Les pratiques art et handicap ont ça de particulier qu’elles ont toujours une légitimité à conquérir, précise Olivier Couder, codirecteur du festival. Mais nous sentons, avec l’édition 2020, qu’une première légitimité a été conquise. Certes, tout est encore à consolider, mais nous avons confiance : il y a quelque chose qui est en train de s’installer dans le paysage artistique. »
Art et handicap : une relation en chantier
Cette difficulté à conquérir une légitimité tient au rapport même entre théâtre et handicap. Certains y voient une tendance au voyeurisme, avec la présentation de « monstres », ou la ramènent à une pratique sociale proche de l’art thérapie, tandis que d’autres affirment au contraire qu’il s’agit là d’une esthétique à part entière. Un colloque, intitulé “le handicap dans le processus de création artistique, enjeux esthétiques et politiques”, abordera précisément tous ces questionnements, le jeudi 3 décembre au théâtre 95 de Cergy ; Profession Spectacle étant partenaire de l’événement, nous ne manquerons évidemment pas d’y revenir.
« Les comédiens en situation de handicap doivent être formés au même titre que les autres comédiens, résume de son côté Richard Leteurtre. Il y a un art théâtral à acquérir. Si je vois des différences, je vois également les authenticités : je les traite donc comme des comédiens professionnels à part entière. Ils ont une très grande présence sur scène, ce qui est précisément ce qu’on attend d’un bon comédien. Il faut donc rappeler que l’exigence est la même, bien que l’on biaise parfois un peu, en fonction du handicap de chaque comédien. »
Cette similitude, évidente pour Olivier Couder et Richard Leteurtre qui travaillent avec des comédiens en situation de handicap depuis de longues années, n’est pourtant pas reconnue par tous. Ainsi, lors d’une création commune, les deux metteurs en scène furent pris à partie lorsqu’ils ont choisi de présenter un comédien nu sur scène. Ce qui se fait naturellement (et parfois bien complaisamment) ailleurs n’avait – dans ce cas – pas le droit d’exister : une manière de rappeler la différence de traitement dont font l’objet ces comédiens, qui ne sont dès lors plus des professionnels comme les autres.
Une telle problématique affleure dans nombre d’œuvres cinématographiques aujourd’hui, de Pazza Gioia, une cavale effrénée et hilarante signée par l’Italien Paolo Virzi, au puissant et subtil Dora, film suisse réalisé par Stina Werenfels, qui pose la question de la sexualité des personnes en situation de handicap. Le cinéma aurait-il des droits artistiques qui seraient déniés au spectacle vivant ? Pour les fondateurs du festival IMAGO, la question même est inconcevable. « C’est de la manipulation, rétorque Richard Leteurtre. On les considère comme des enfants qui n’auraient pas leur libre arbitre. »
Faire bouger les esthétiques
Pour autant, il serait hypocrite de penser que le spectateur fait totalement l’impasse sur la situation particulière des comédiens, sous prétexte qu’il ne serait pas politiquement correct d’avoir un début de commencement de discrimination. Il ne suffit effectivement pas de le vouloir pour que notre intelligence et notre sensibilité se soumettent aussitôt à cette putative toute-puissance.
« Est-ce que je vois des handicapés ou des artistes ? Il est certain que la question se pose, consciemment ou non, résume Richard Leteurtre. Mais finalement, là n’est pas l’important. Selon moi, il y a un double enjeu : suis-je ému par l’histoire qu’on me raconte sur scène, avec ces signaux théâtraux choisis par le metteur en scène ? Si l’histoire me parvient, je suis déjà un spectateur comblé. Mais ils ont en plus un truc bizarre qui me fascine. Certes, c’est comme le cholestérol, il peut y avoir une mauvaise fascination, mais en un sens, ces comédiens m’apportent quelque chose de nouveau. Je les regarde autrement. »
Le metteur en scène se souvient ainsi d’un débat entre tous les cadres de la direction générale de Bouygues et les comédiens de sa troupe, à l’issue d’une représentation. L’un deux avait ainsi reconnu être incapable de faire ce que les acteurs faisaient. « Pourquoi ?, s’exclame le codirecteur d’IMAGO. Tout simplement parce qu’ils sont authentiquement comédiens. Évidemment qu’il y a le regard un peu voyeur du monstre, tu ne peux pas te l’empêcher, mais le monstre fait quelque chose de merveilleux, car avec lui arrivent la poésie et la beauté. »
« Faire bouger les esthétiques est notre slogan, conclut Richard Leteurtre. La preuve la plus évidente est que la langue des signes n’est plus seulement une traduction de ce qui a lieu sur scène, c’est devenu un geste artistique pleinement intégré aux spectacles. La langue des signes est devenue un moteur à part entière de la création artistique. »
Festival IMAGO, en Île-de-France
19 septembre au 20 décembre 2020
En savoir plus : programmation du festival IMAGO
Photographie de Une – « Allez on remballe », du Créahm de Bruxelles
Crédits : Jeanne Bidlot